"Parfois, ce sont ceux à qui on ne pense jamais qui font les choses auxquelles personne n’aurait pensé."
Synopsis : L’histoire hors-norme d’Alan Turing, le mathématicien anglais qui aida à percer le code de l’outil de communication des Allemands durant la Seconde Guerre mondiale : la machine Enigma. Imitation Game s’appuie sur la biographie de Alan Turing, écrite par Andrew Hodges, pour raconter le rôle important qu’a joué le mathématicien durant la Seconde Guerre mondiale. Ses recherches sur la cryptographie ont permis de déchiffrer plusieurs messages ennemis ce qui, selon plusieurs historiens, aurait accéléré la chute du nazisme. Le film s’attache aussi aux persécutions qu’il a endurées pour son homosexualité, dans la période d’après-guerre. (source : Allociné).
Acteurs : Benedict Cumberbatch, Keira Knightley, Matthew Goode, Mark Strong, Charles Dance, Rory Kinnear, Allen Leech.
Des critiques partagés !
Au sortir de la vision presse de The Imitation Game, les réactions d’amis confrères et consœurs journalistes étaient mitigées. « Pas un mauvais film », « Formaté pour les Oscars », « Pas d’empathie pour les personnages », « Vision de la femme avec un regard contemporain », « Pourquoi signaler à la fin la condamnation en Angleterre de 49.000 homosexuels pour ‘homosexualité’ ? Ce n’est pas l’objet du film ! »… En gros de la déception à l’acquiescement poli, sans plus, le film n’a pas suscité de véritable enthousiasme de la part de certains de mes confrères alors qu’il semble cartonner ailleurs…
Il m’incomberait donc, à moi qui l’ai apprécié, la tâche d’habiliter ce film qui est, mais pas uniquement, un procès en réhabilitation d’Alan Turing.
Du livre au film : réhabiliter Alan Turing
Ce mathématicien et cryptoanalyste de génie, mort à 42 ans, probablement par suicide au cyanure, est connu, notamment, pour ses travaux sur la machine de codage Enigma utilisée par les nazis pendant la seconde guerre mondiale pour crypter leurs messages, travaux qui auront comme conséquence de probablement raccourcir la guerre de deux ans. Il a été condamné pour homosexualité en 1952. Ses recherches ont été couvertes part le secret jusque dans les années 2000. Sa réhabilitation, demandée par plus de cent mille personnes, a été accordée par la reine d’Angleterre le 24 décembre 2013, il y a à peine onze mois donc !
Le film est une adaptation de la vie d’Alan Turing (ou plutôt de diverses périodes de celle-ci) d’après la biographie écrite par Andrew Hodges, mathématicien et activiste de la libération gay, en 1983 (réédition en 1992). Alan Turing : The Enigma a été sélectionné en 2002 par The Guardian comme faisant partie de 50 livres indispensables. Le livre a été réédité à l’occasion de la sortie du film (voir ci-contre).
Le réalisateur débute par une scène où Turing (interprété par Benedict Cumberbatch excellent dans ce rôle) est seul, assis à une table. Nous comprendrons assez vite qu’il va rencontrer un policier à qui il va (ou pas) raconter une histoire incroyable et qu’il n’a pas le droit de raconter. Nous sommes en 1952 et le biopic se concentrera sur divers épisodes de la vie d’Alan, souvent sous formes de flashbacks narratifs : son enfance/adolescence, son entrée au service de sa Majesté au centre secret de la GC&CS à Bletchley Park et l’évolution de ses travaux et recherches.
Le réalisateur s’attache également à la quête de vérité d’un policier au sujet de cet homme au moment même où des scandales d’espionnage en lien avec des personnes homosexuelles marquent l’Angleterre. Il estime que celles-ci ont des relations perverses et ne peut accepter que ces hommes soient au service du Royaume.
Vivre et aimer autrement : "Thing different !"
Le film est avant-tout un plaidoyer pour la différence.
Une idée revient de manière récurrente tout au long du film, reprise en exergue de cet article : "Parfois, ce sont ceux à qui on ne pense jamais qui font les choses auxquelles personne n’aurait pensé."
Peut-être que comme gaucher, végétarien et utilisateur de Mac (parmi d’autres « singularités ») je suis plus sensible que d’autres à ce qui est "hors normes". Comme passionné par la littérature et l’univers bibliques je ne puis qu’être attentif aussi à ce qui en est un des fils rouge : le choix du cadet au préjudice de l’ainé, la pierre rejetée par les bâtisseurs devenue la pierre angulaire…
The Imitation Game n’est donc pas uniquement un film d’espionnage lié au cassage du code Enigma. Ce n’est pas non plus un véritable biopic d’Alan Turing même s’il s’agit de l’histoire (probablement romancée) de cet-homme-là, singulier et qui par/à cause de/grâce à cette singularité (qui lui va valoir l’infamie de sa condamnation) va révolutionner non seulement l’issue de la guerre mais aussi toute l’histoire de l’informatique d’aujourd’hui !
D’autres éléments sont également apportés à la narration : Turing, le grand sportif (nous le voyons régulièrement courir), l’apport décisif de William Gordon Welchman à la "bombe cryptologique" par l’utilisation des "diagonales" entre les roues codées, les peurs liées à l’espionnage durant la guerre froide... S’ajoutent également plusieurs facettes de son enfance et adolescence...
Les désarrois de l’élève Turing !
C’est ainsi que ce qui est narré de l’adolescence Turing, de son rejet du fait de son altérité (qui le fait se tourner vers le "même" : de par son orientation affective mais également ses compétences intellectuelles) nous aide à découvrir l’humain blessé, torturé qui se figera dans une carapace propre à le protéger de tout affect (ainsi lorsqu’enfant encore il est enfermé sous le plancher par des condisciples ou lorsqu’adolescent il apprend la mort de son condisciple Christopher à cause de la tuberculose bovine). Naîtra ainsi un homme d’une intelligence hors norme, si sûr de son bon droit (entre autres d’être celui et ce qu’il est), que l’aversion et le rejet des autres en sortira renforcée ! Alex Lawther, le jeune acteur qui donne corps à Turing dans ces phases de désarroi arrive ainsi à rendre palpable l’émotion contenue et la violence intériorisée. Dès ce moment, l’écart entre les autres, le monde, et lui commence à se creuser avec cette certitude d’être probablement à jamais hors normes, hors et au-dessus des autres ! L’histoire d’amour avec Christopher sur fond de cryptographie lui permettra de développer ses dons avec un autre... une machine, et non pas « elle » mais « IL », nommée Christopher : en quelque sorte une autre histoire d’amour avec un autre langage, bien plus complexe, à déchiffrer.
NB : On prolongera cette chronique avec intérêt en lisant la critique que fait Thibault Van de Werve.