Signe(s) particulier(s) :
– tiré de la propre histoire du réalisateur Edouard Bergeon, descendant d’une longue lignée de paysans, tant du côté de sa mère que de son père, Christian Bergeon ;
– le cinéaste signe ici son premier long métrage, lui a qui l’on doit de nombreux reportages et documentaires pour la télévision, ainsi que "Les Fils de la Terre", un quatre-vingt-dix minutes dans lequel il suivait Sébastien, un agriculteur dont la trajectoire lui rappelait celle de son père ;
– Edouard Bergeon qualifie son film de "saga familiale qui porte un point de vue humain sur l’évolution du monde agricole de ces 40 dernières années" ;
– Prix Valois du meilleur acteur pour Anthony Bajon au Festival du film francophone d’Angoulême 2019.
Résumé : Pierre a 25 ans quand il rentre du Wyoming pour retrouver Claire sa fiancée et reprendre la ferme familiale. Vingt ans plus tard, l’exploitation s’est agrandie, la famille aussi. C’est le temps des jours heureux, du moins au début… Les dettes s’accumulent et Pierre s’épuise au travail. Malgré l’amour de sa femme et ses enfants, il sombre peu à peu… Construit comme une saga familiale, et d’après la propre histoire du réalisateur, le film porte un regard humain sur l’évolution du monde agricole de ces 40 dernières années.
La critique de Julien
Porté par Guillaume Canet depuis des mois sur les réseaux sociaux, "Au Nom de la Terre" est un projet qui portait particulièrement à cœur à l’acteur et réalisateur, lui qui endosse d’ailleurs ici la casquette de co-producteur. En effet, c’est en découvrant au hasard le documentaire "Les fils de la Terre" (2012) d’Édouard Bergeon une semaine avant le tournage du film "Mon Garçon" (2017), produit par Christophe Rossignon, que Guillaume Canet éprouva un grand intérêt à adapter en long métrage ce documentaire, qu’il souhaitait aussi réaliser. Sauf que son producteur, Christophe Rossignon, lui expliqua que ce projet était déjà en développement, tandis qu’il en sera le co-producteur délégué. Or, quelques temps après cette conversation, Edouard et lui-même lui ont alors proposé d’interpréter Pierre, le père de famille, et personnage central de cette tragédie familiale en milieu agricole. Et pour son réalisateur Édouard Bergeon, il s’agit-là d’une terrible histoire vraie, née de la sienne.
"Au Nom de la Terre" débute alors par le retour au pays de Pierre Jarjeau (Guillaume Canet), en 1979, lequel retrouve sa fiancée Claire (Veerle Baetens), et reprend la ferme familiale tenue jusque-là par son père Jacques, et avant ça par son arrière-grand-père ; le plus important étant que le domaine reste dans la famille. Puis, dix-sept ans plus tard, en 1996, alors que mondialisation est passée, Pierre s’endettera davantage, en n’ayant d’autre choix que de réclamer un nouveau crédit de trésorerie à sa banque, afin de nourrir ses bêtes. Il ressortira alors de là avec un nouvel emprunt destiné à diversifier sa production, avec la création d’un élevage (en plus) de poulet, soit un projet pharaonique et coûteux, soutenu cependant par Chambre d’agriculture et la Coopérative, autour de contrats agricoles pervers et d’élevage intensif, loin de favoriser le bien-être animal et la qualité de la viande, ce que lui reprochera ainsi son père, Jacques Jarjeau (Rufus). Ce projet sonnera le début de la descente aux enfers de Pierre...
Alors que la MSA (la Sécurité Sociale Agricole) estime qu’un agriculteur se suicide tous les deux jours en France, Édouard Bergeon réussit à filmer sa propre histoire sans forcer le trait, et sans pathos émotionnel. Le cinéaste se révèle être alors un humble porte-parole de la cause des agriculteurs et de leur dur labeur quotidien sans cesse transformé par de nouvelles mesures, en la personne de cet homme, soit son père, qui n’aura jamais su rehausser la tête de sa dépression, de là à ne plus être lui-même. Il est aussi question de la confrontation entre deux mondes et deux méthodes d’agriculture différentes, entre Pierre et son père, lequel, dénué de psychologie, ne jure que par le travail, et ne peut s’empêcher d’envoyer des scuds à son fils, ainsi qu’à ressasser le passé, alors qu’ils sont en plus incapables de se parler, et encore moins de se dire "je t’aime".
Le film parvient à rendre crédible cet univers rural et à retranscrire les tensions et jalousies qui opèrent dans ce milieu grâce à une écriture fine, où chaque personnage est très humain. C’est d’ailleurs un film qui parle avant tout de la famille, et du soutien indéfectible des uns envers les autres, malgré les pires épreuves. Et dans son rôle, Guillaume Canet, métamorphosé, s’est particulièrement investi, lequel est totalement habité, puissant, et cela jusqu’au dénouement, très éprouvant. Mais Veerle Baetens n’est pas en reste dans le reste dans le rôle de son épouse, Claire. Cette mère s’occupe alors de la comptabilité, des enfants, du ménage, et surtout de l’appui envers son mari. Et malgré la transformation de son mari, cette femme, et maman, est toujours là pour rassurer ses enfants sur le fait que malgré les pénibles dires de leur père dans ses pires moments, ce dernier les aime plus que tout, et que ce n’est pas (plus) lui qui parle... Tellement fort ! Aussi, Anthony Bajon (révélé au grand public dans "La Prière" de Cédric Kahn) est absolument tétanisant dans le rôle de son fils, soit celui du réalisateur lui-même, lequel tenait ainsi à être fidèle à ce qu’il avait vu, et vécu, et ainsi à coller au plus près de la terrible réalité...
S’il transcende la détresse du monde des paysans d’aujourd’hui, "Au Nom de la Terre" le fait sans appuyer le mélodrame, ni en lançant un message politique de vive-voix. Édouard Bergeon retranscrit juste, à sa mesure, et sans grande expérience de mise en scène, son histoire, laquelle, en plus d’être indispensable, traduit avec authenticité l’amour familial. Mais âmes sensibles, s’abstenir, étant donné le caractère réaliste, et quelque peu dramatique des faits racontés. Autant dire que vous ne ressortirez pas de la salle sans être touchés par les images que vous venez de voir...