Signe(s) particulier(s) :
– troisième volet d’une trilogie de longs métrages documentaires signés Asif Kapadia et son équipe oscarisée du Meilleur film documentaire pour "Amy", et à qui l’on devait avant cela "Senna" (2010) ;
– présenté en sélection officielle hors compétition au Festival de Cannes 2019.
Résumé : Le 5 juillet 1984, Diego Maradona débarque à Naples pour un montant qui établit un nouveau record du monde. Pendant sept ans, il enflamme les stades. Le footballeur le plus mythique de la planète a parfaitement trouvé ses marques dans la ville la plus passionnante – mais aussi la plus dangereuse – d’Europe. Sur le terrain, Diego Maradona était un génie. En dehors du terrain, il était considéré comme un dieu. Cet Argentin charismatique aimait se battre contre l’adversité et il a mené le SCC Napoli en tête du tableau pour la première fois de son histoire. C’était un rêve éveillé ! Mais le prix à payer était élevé. Diego pouvait faire tout ce qu’il voulait tant qu’il accomplissait des miracles sur le terrain. Pourtant, des heures plus sombres ont fini par succéder à ces années fastes… Diego Maradona a été réalisé à partir de plus de 500 heures d’images inédites issues des archives personnelles du footballeur.
La critique de Julien
Plus qu’un simple documentaire qui retrace la carrière de l’un des plus grands joueurs de l’histoire du football, "Diego Maradona" donne à voir un autre regard sur ce champion du terrain, aussi bien adulé que détesté par le public. Et cela, on le doit au cinéaste Asif Kapadia, véritable virtuose du documentaire, lui a qui l’on doit "Amy" (2015), Oscar du Meilleur film documentaire revenant sur la carrière et la chute de la chanteuse récompensée de six Grammy Awards.
S’il aborde l’enfance, la famille, le début de carrière en Argentine et en Espagne, ce documentaire s’intéresse surtout à la période napolitaine (1984-1991) du joueur, alors qu’il rejoignait le modeste club de Série A italienne SSC Napoli. Le film s’ouvre ainsi sur un générique électrique, au travers duquel le montage nous montre comment il a atterri dans ce club, suite à sa longue série de frasques et gestes violents et polémiques, que ça soit lors de sa prestation à la finale de la Coupe du monde de football de 1982, ou lors de la finale de la Coupe du Roi contre l’Athletic Bilbao, en 1984.
De son arrivée pharaonique à Naples pour douze millions de dollars (vue d’un mauvais œil par l’opinion publique, car pointant du doigt le fait que Naples dépensait une fortune pour un joueur de foot plutôt que de nettoyer ses rues de sa pègre et de la mafia), à son changement d’agent qui lui vaudra de devenir millionnaire, et dès lors de ne plus craindre les scandales ni la presse, alors protégé par la mafia napolitaine, la Camorra, dont le clan Giuliano, qui lui fournissait sa cocaïne, le documentaire illustre dans un premier temps la renaissance de Maradona, à l’aube d’une des plus brillantes parties de sa carrière de footballeur.
Malgré une première saison au club relativement décevante mais prometteuse, c’est alors véritablement le match victorieux en quart de finale contre l’Angleterre à la Coupe du Monde 1986 qui marquera les esprits par ses deux buts, dont son goal triché et surnommé la "Main de Dieu", encore synonyme aujourd’hui de revanche du peuple argentin sur leur humiliation vécue pendant la Guerre des Malouines (1982) face à l’Angleterre, sans oublier leur victoire en finale face à l’Allemagne, lorsque que Maradona offra une ouverture à son coéquipier Jorge Burruchaga, qui marqua le but de la victoire. Puis vinrent les années napolitaines, devenant l’un des plus grands clubs d’Europe, où le champion fit adopté et adulé par Naples, considéré comme un dieu vivant, et incarnant aussi la revanche des pauvres du Sud, lui qui a grandi dans le bidonville de Villa Fiorito à Buenos Aires. Mais c’est finalement sa troisième Coupe du monde en Italie pour l’Argentine en 1990 qui débutera le début de sa disgrâce. En effet, Maradona qualifiera son pays aux tirs au but face à l’Italie, dans le stade de Naples où il jouait durant la saison régulière... Et même si beaucoup de Napolitains se sont ralliés à sa cause, une partie du public italien sifflera l’hymne argentin au Stadio olimpico de Rome lors de la finale face aux Allemands, à l’issue de laquelle ils se sont inclinés, entre provocation et rancœur.
Grâce à d’incroyables images d’archive inédites filmées aussi bien par son entourage que lors d’interview ou reportages, Asif Kapadia retrace avec une incroyable maestria la période napolitaine de Maradona, lequel réalise ici un montage digne d’un travail d’orfèvre, où il a notamment dû élaborer une histoire à partir d’images disparates parfois non-datées, et ensuite leur coller des voix-off en post-production. Aussi, le cinéaste a rencontré quelques fois Maradona, pour plus de huit heures d’interview au total, bien que la personne rencontrée n’est plus la même qu’à son arrivée à Naples en 84, et que ses propos ne reflètent pas les images filmées. "Diego Maradona" nous montre alors qu’il y avait Diego et Maradona, soit un génie et un tricheur, lui dont les scandales ont toujours trouvé écho au sein des médias, comme son fils illégitime, ses liens avec la Camorra, sa dépendance à la cocaïne, ses excès de violence, etc. D’un côté, son innocence et ses pertes de contrôle auront eu raison de son talent, tout comme le public et peuple napolitain en a eu assez de lui, de là à vouloir s’en débarrasser à l’issue irréversible de la rencontre en quatre de finale de la Coupe du monde 1990 entre l’Argentine et l’Italie, suivi comme par hasard par une suspension suite à un contrôle positif à la cocaïne enregistré en mars 1991, puis par une peine de quatorze mois de prison avec sursis de la part des autorités italiennes, tout cela alors que l’on savait depuis longtemps qu’il était accro à ce stupéfiant...
Mais outre les déboires et la chute de cette légende, qui représentent certes la partie émouvante du film, bien que la moins intéressante, "Diego Maradona" permet au public de revivre des matchs de football décisifs dans la carrière de Maradona. Et qu’ils soient vus par un fan du sport en question, ou par quelqu’un qui n’aime pas cette discipline, ces moments de l’Histoire du football feront vibrer le spectateur sur son siège, qu’ils connaissent ou non leurs issues, et cela par leurs pouvoirs évocateurs. De même, ce documentaire, inspirant et terriblement entraînant, a la capacité de rassembler tel que lors d’un match de football de Coupe du monde. Qu’il est ainsi incroyable de voir comment une seule personne a pu rendre fières et heureuses des millions d’autres, en faisant tout simplement son métier. D’un autre côté, ce dernier a payé cher d’avoir été un si grand champion, ce qui reflète en quelque sorte le revers de la médaille, et la fatalité de la vie.
Avec un sens inné du montage, une capacité à recréer la tension du terrain, et d’évoquer sans jugement, mais réconciliation, le parcours d’une légende, Asif Kapadia signe avec "Diego Maradona" l’une des meilleurs documentaires de l’année, qui ne s’intéresse donc pas seulement aux défenseurs du ballon-rond, mais bien à tout le monde. Et s’il y a bien ici une part de responsabilités personnelles dans le déclin de ce champion, il est fort à parier que ses détracteurs regretteront les leurs dans ce portrait éclairant et documenté. Car personne ne mérite un tel mépris d’autrui, et encore moins après tout ce qu’il a accompli...