Signe(s) particulier(s) :
– troisième long métrage pour Benoit Forgeard, si l’on compte "Réussir sa Vie" (2012), un film composé de trois courts métrages, tandis que "Gaz de France" (2016) a été sélectionné au Festival de Cannes en 2015 dans la section ACID ;
– présenté en clôture à la Quinzaine des Réalisateurs au Festival de Cannes 2019.
Résumé : Jérem s’installe dans la maison de sa mémé pour y composer son premier disque. Il y fait la rencontre de So, mystérieuse enquêtrice pour le compte de la start-up Digital Cool. Elle le persuade de prendre à l’essai Yves, un réfrigérateur intelligent, censé lui simplifier la vie…
La critique de Julien
Incroyable, mais vrai ! C’est lors d’une conférence sur les robots à laquelle il a assisté en 2012 que le réalisateur et acteur français Benoit Forgeard a eu l’idée du scénario de son prochain film, "Yves", autour d’une intelligence artificielle qui aiderait "à mieux vivre". En l’occurrence, il s’agit ici du "Fribot", un frigo prénommé Yves, que va alors tester Jérem (William Lebghil), un rappeur suranné qui tente de finaliser son premier disque dans le garage de sa grand-mère. Mais ce qu’il ne sait pas encore, c’est qu’il a été choisi pour son profil, sous l’influence de So (Doria Tillier), une enquêtrice au compte d’une start-up en plein essor, laquelle doit alors trouver le meilleur cobaye...
On ne trouvera sans doute pas aussi barré cette année-ci au rayon de la comédie française. Avec "Yves", Benoit Forgeard nous régale avec ce récit dystopique, et pertinemment absurde. "Yves" est donc plus intelligent qu’il en a l’air, étant donné sa critique de notre monde sur-connecté, et de notre culte de la performance. Dans une moindre mesure, le film traite aussi du milieu du rap, et du machisme qui en déborde. Mais le cinéaste fait tout cela sur un ton comique aussi profond que surréaliste, qu’il assume amplement. Certaines situations ne peuvent dès lors que nous faire rire, telle qu’un concours de l’Eurovision "2.0", où la technologie a remplacé l’humain, ou encore toutes les scènes où les personnages échangent avec leurs appareils électroménagers. D’autres dérangent, ce qui est le cas des scènes romantiques, étant donné une technologique capable de s’exprimer, de penser, et donc répondre aux sentiments et à la psychologique de ses interlocuteurs. Ainsi, la complétude que ressentent les personnages vis-à-vis de leur robot est quelque peu étrange, eux qui se laissent littéralement séduire, comme nous par le virtuel, et ce que nous sommes capable d’en faire. Le cinéaste peut en tout cas remercier ses acteurs, eux qui s’adonnent au jeu de l’intimité avec des machines, lesquels n’ont dès lors pas peur du ridicule.
Tout comme ce frigo en question est capable d’anticiper ce dont a besoin son propriétaire, en vue notamment d’optimiser son rendement professionnel, Benoit Forgeard joue constamment de son propos pour à la fois nous bousculer, nous extasier devant son originalité, nous faire réfléchir, tout comme nous angoisser. Ainsi, "Yves" nous propose un univers décalé, inventif, dans lequel évoluent ses personnages naïfs, et pourtant conditionnés dans leur réalité, tout comme nous le sommes dans la nôtre. Mais là où "Yves" détonne, c’est par rapport à son l’image, et le ton sérieux du film, au niveau des dialogues. Cependant, on reste perplexe face à quelques envolées sans queue ni tête, qui balancent parfois "Yves" dans le n’importe quoi, tout comme le film ne va pas au bout de ses positions.