Synopsis : Une série de retrouvailles après plusieurs décennies, certaines en chair et en os, d’autres par le souvenir, dans la vie d’un réalisateur en souffrance. Premières amours, les suivantes, la mère, la mort, des acteurs avec qui il a travaillé, les années 60, les années 80 et le présent. L’impossibilité de séparer création et vie privée. Et le vide, l’insondable vide face à l’incapacité de continuer à tourner.
Acteurs : Antonio Banderas, Penélope Cruz, Asier Etxeandia, Julieta Serrano, Leonardo Sbaraglia
Dolor y Gloria n’est peut-être pas le plus grand film de Pedro Almodóvar mais il est certainement sur le podium de ses films les plus personnels. A la fois intime et flamboyant, mêlant deux temporalités, l’enfance et l’âge mûr, voire la vieillesse d’un réalisateur confronté à son passé. La Cinémathèque veut lui rendre hommage pour l’un de ses premiers films dont il garde un désagréable souvenir du fait d’une relation tendue avec son acteur principal, confronté à l’emprise du cheval (héroïne). Pour cette relation difficile et conflictuelle, nous pouvons penser à celle que le réalisateur a eue avec Gael García Bernal dans La mala educación (pour de tout autres raisons que celles, ici avec Federico (Leonardo Sbaraglia, fabuleux).
Le film est un biopic sans l’être, une mise en abîme de la vie, des passions, des amours et des angoisses du réalisateur qui nous offre ici son 22e long métrage. Alors que le réalisateur avait l’habitude de mettre les femmes en valeurs, celles-ci sont en retrait par rapport aux hommes, en particulier l’impressionnant Antonio Banderas dans le rôle de Salvador Mallo (alter ego de Pedro Almodóvar). Banderas est fascinant et il ne serait pas surprenant qu’il soit primé à Cannes. C’est que son interprétation est fascinante. Alors que le réalisateur lui avait permis de le "copier", il a pris ses distances et a voulu être lui-même ou plutôt un autre qui ne soit pas la copie, l’imitation, l’habitation du réalisateur et scénariste !
C’est que ce biopic n’est pas la réalité (au sens historique) mais la Vérité du réalisateur (un peu comme en milieu chrétien, les écrits bibliques et surtout évangéliques ne sont pas la "réalité" mais une vérité transmise pour faire entendre un message. Ici, sans spoiler aucunement le film, nous pouvons dire que le hiatus entre le réel et le construit permet d’exprimer avec énormément de densité la nostalgie, le manque, l’angoisse, d’un réalisateur arrivé au terme du dernier versant de sa vie. Le film est triste, presque pessimiste et si certains éléments sont fictifs (ainsi Pedro Almodóvar ne s’est jamais drogué à l’héroïne) ils disent quelque chose d’une relation perdue avec Alberto Crespo (Asier Etxeandia, lui aussi fabuleux dans le rôle d’un amour de jeunesse). Nous le découvrons d’abord à travers un récit sur l’ordinateur de Salvador, Addiction. Et nous avons pensé à ce moment à la relation d’Ira Sach avec Bill Clegg (abordée sur un versant dans le film de Sach Keep the Lights (2012) et à son pendant ou miroir littéraire dans Portrait of an Addict as a Young Man (Portrait d’un fumeur de crack en jeune homme) ou Bill Cleg racontait sa relation avec Ira Sachs, mais, plus encore son addiction au « crack ».
L’on retiendra aussi, dans un film à l’omniprésente couleur rouge flamboyante, la présence de Pénélope Cruz dans le rôle de sa mère et le très convaincant jeune acteur Asier Flores qui dans son premier rôle au cinéma donne corps au jeune Salvador.
Dans ce film, le passé et le présent se télescopent, l’imaginaire et le réel se mêlent, le construit et la reconstruction interfèrent dans une double mise en abîme, un film dans le film, le plan final qui vient, comme un point d’orgue et une apothéose donner au spectateur une clé de (re)lecture d’un homme passionné par le cinéma et qui regarde la fuite du temps qui passe à jamais.