Signe(s) particulier(s) :
– révélé en 2009 avec son film "Canine" récompensé par le prix "Un certain regard" au Festival de Cannes et nommé à l’Oscar du Meilleur film en langue étrangère, le réalisateur et dramaturge grec Yórgos Lánthimos revient avec son sixième long métrage, un an après la sortie de son précédent, "Mise à Mort du Cerf Sacré", quant à lui Prix du scénario à Cannes ;
– Prix du Jury, Coupe Volpi de la meilleur actrice pour Olivia Colman à la dernière Mostra de Venise, et Golden Globe de la Meilleur actrice dans une comédie ou comédie musicale.
Résumé : Début du XVIIIème siècle. L’Angleterre et la France sont en guerre. Toutefois, à la cour, la mode est aux courses de canards et à la dégustation d’ananas. La reine Anne, à la santé fragile et au caractère instable, occupe le trône tandis que son amie Lady Sarah gouverne le pays à sa place. Lorsqu’une nouvelle servante, Abigail Hill, arrive à la cour, Lady Sarah la prend sous son aile, pensant qu’elle pourrait être une alliée. Abigail va y voir l’opportunité de renouer avec ses racines aristocratiques. Alors que les enjeux politiques de la guerre absorbent Sarah, Abigail quant à elle parvient à gagner la confiance de la reine et devient sa nouvelle confidente. Cette amitié naissante donne à la jeune femme l’occasion de satisfaire ses ambitions, et elle ne laissera ni homme, ni femme, ni politique, ni même un lapin se mettre en travers de son chemin.
La critique de Julien
Bienvenue à la cour d’Angleterre du début du XVIIIème siècle, qui voit couronner la reine Anne à partir du 08 mars 1702, et cela jusqu’au 01 août 1714, date de son décès, tandis qu’elle fut la dernière souveraine de la Maison Stuart, n’ayant eu aucune descendance malgré ses dix-sept grossesses. Pour son nouveau film après "The Lobster" (2015) et "Mise à Mort du Cerf Sacré (2017), Yórgos Lánthimos laisse un peu de côté le mysticisme et l’inéluctabilité de ses scénarios pour se pencher sur cette figure décriée de l’histoire de Grande-Bretagne, et plus précisément sur la rivalité entre deux de ses favoris, Sarah Churchill et Abigail Masham. Bref, un petit cours d’histoire s’impose, avant de statuer !
Sarah Churchill (1660-1744), la duchesse de Marlborough, est devenue par sa proximité avec la reine l’une des femmes les plus influentes de l’histoire des îles Britanniques, et nommée "Groom of the Stole", la maîtresse de la garde-robe et gardienne de la bourse privée d’Anne. Mais Sarah était proche à son tour des whigs (parti politique s’opposant à l’absolutisme royal, et donc à la reine), et l’épouse du premier duc de Marlborough, John Churchill, lequel accéda notamment à la tête du gouvernement britannique en partie grâce à la connaissance parfaite qu’avait Sarah de la politique, et surtout de son influence sur Anne, à laquelle elle pouvait dangereusement retourner la tête, en sa faveur et ses idées. "La Favorite" va encore plus loin dans cette histoire, et s’intéresse précisément à l’une des raisons de la fin de leurs relations, à savoir l’arrivée dans les jupes de la reine d’Abigail Masham, la cousine de Sarah Churchill.
Flatteuse, rusée et effacée, à l’opposé de Sarah qui est dominatrice, franche et caustique, Abigail fera du rentre-dedans avec la reine, influençable et rendue fragile par la maladie, en vue de comploter et de s’assurer une place de choix à la cour. Jalouse de l’affection d’Anne pour sa cousine, Sarah tentera vaille que vaille de prévenir la reine des médisances de sa cousine envers son égard, jusqu’à son propre renvoi de la cour. Sans jamais avoir mis à plat leurs divergences, Sarah ne cessera alors de dénigrer Anne, même dans ses mémoires et écrits partiaux, elle qui la considéra d’ailleurs comme une femme faible, ignorante, craintive, ou encore sans beaucoup de jugement. Bref, on en passe des vertes et des pas mûres ! Quoi que, "La Favorite" revient sur ces querelles royales et manipulatrices entre ces deux rivales, pour nous offrir un spectacle historique d’une cruauté malsaine et jubilatoire.
S’il l’on entend autant de bien de ce film, c’est avant tout pour son trio d’actrices, formidables et déchaînées, en commençant par Olivia Colman (qui sera très certainement récompensée aux prochains Oscar du cinéma, sauf si Glenn Close lui vole la statuette pour "The Wife", ou encore Lady Gaga pour "A Star is Born"), puis Rachel Weisz (Sarah) et Emma Stone (Abigail), se partageant les faveurs de la reine, et surtout une place de choix. L’une comme l’autre ne sont effectivement pas innocentes dans cette histoire, elles qui profitent du pouvoir pour assouvir leur soif de politique devant la confiance aveugle d’Anne. D’actualité, "La Favorite" nous montre via un jeu de massacre sans pitié comment le relationnel, la manigance ou encore la cupidité peuvent gangrener un système, et déshonorer un pouvoir en place. Sous l’influence de ses favoris, bien plus intuitifs qu’elle, Anne n’aura jamais été alors qu’une descendante forcée au trône d’Angleterre qui, même si elle n’était pas idiote, ne pouvait s’empêcher de refourguer ses responsabilités à qui en voulait bien. Et autant dire qu’il y avait du monde au balcon pour cela ! Rachel Weisz et Emma Stone nous offrent ainsi des partitions raffinées, enlevées et cinglantes. Quant à Olivia Colman, elle ne joue pas, elle est ! De crises de goutte aux crises de bipolarité de la reine, l’actrice est saisissante, sans pour autant à chercher à exagérer les traits de caractère. Yórgos Lánthimos permet donc à ses actrices d’interpréter des rôles de composition pour un résultat aussi glacial que réjouissant. Mais l’efficacité de leurs rôles doit aussi à celle du scénario, et des dialogues, majoritairement percutants, derrière lesquels se cachent pas mal d’arrières-pensées, et donc un second degré assumé.
Habitué à soigner ses mises en scène, le cinéaste grec ne fait pas exempt ici de ses talents dans le domaine, et fait dans la dentelle. Alors qu’il manie déjà sa caméra avec audace (certains mouvements et plans surprennent, et d’autant plus dans ce style de film), Lánthimos s’est entouré d’une équipe technique bien choisie, laquelle fait ici des merveilles. Des costumes au maquillage, en passant par les décors et la photographie, "La Favorite" est un véritable film d’époque, de reconstitution comme on aime en revivre, et d’autant plus avec une telle histoire. Maintenant, on se doit de faire la part des choses. Inspiré, et non pas véridique sur toute la ligne, ce film s’apprécie davantage qu’il ne touche, et donc qu’il ne s’inscrira dans nos cœurs.
Lien vers la critique de Cinécure
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