➡ Vu au cinéma Caméo des Grignoux - Sortie du film le 12 décembre 2018
Signe(s) particulier(s) :
– après avoir remporté le Prix du Jury en 2013 pour son film "Tel Père, Tel Fils", Kore-eda est reparti cette année du Festival de Cannes avec la Palme d’Or attribuée à son nouveau film, traitant une fois de plus de la thématique familiale et de la filiation ;
– inspiré en partie d’un fait divers Japonais, de plus en plus récurrent...
Résumé : Au retour d’une nouvelle expédition de vol à l’étalage, Osamu et son fils recueillent dans la rue une petite fille qui semble livrée à elle-même. D’abord réticente à l’idée d’abriter l’enfant pour la nuit, la femme d’Osamu accepte de s’occuper d’elle lorsqu‘elle comprend que ses parents la maltraitent. En dépit de leur pauvreté, survivant de petites rapines qui complètent leurs maigres salaires, les membres de cette famille semblent vivre heureux – jusqu’à ce qu’un incident révèle brutalement leurs plus terribles secrets…
La critique de Julien
Le réalisateur japonais Kore-eda est réputé pour ses œuvres humanistes, délicates, mais aussi pour sa direction hors pair d’acteurs non-professionnels, et un cinéma de fiction filmé de manière minimaliste, quasiment à la façon d’un documentaire. Une fois de plus, avec "Manbiki Kazoku" (en version originale), il ne déroge pas à sa filmographie. Littéralement traduit par "La Famille des Vols à l’Étalage", le cinéaste s’intéresse une fois de plus à la famille et les liens qui se tissent entre ses différents membres, avant de la déconstruire magistralement, tout en soulevant des questions perturbantes, mais résolument pertinentes.
Pourtant reparti avec la Palme d’Or à Cannes en mai dernier, Kore-eda n’a toujours pas reçu les félicitations du gouvernement japonais, lequel ne serait pas très emballé par le film, étant donné les effets néfastes de la division de la société japonaise qu’il dénonce, et cela depuis que Shinzō Abe en est le Premier ministre. Bien que, de manière générale, cette chronique montre le fossé qui s’agrandit continuellement entre riches et pauvres, lesquels n’ont parfois d’autres choix que de magouiller pour s’en sortir...
Kore-eda filme donc ici une famille au bord du gouffre, vivant dans la petite maison de la grand-mère, et survenant à ses besoins à l’aide du maigre salaire des parents, mais surtout grâce à des fraudes, comme une assurance-retraite falsifiée. Pourtant, le cœur sur la main, Osamu et sa femme décident d’héberger une petite fille livrée à elle-même, et maltraitée par ses parents, avant de lui proposer de vivre avec eux.
"Une Affaire de Famille" livre dans ses premières lignes le long et lent portrait entravé d’un foyer japonais qui tente de survivre comme il peut, nonobstant (malgré lui) certaines formes de criminalité. Qu’importe, chez les Shibata, on s’entraide et s’accroche pour ne pas sombrer. D’ailleurs, l’aînée (Aki) vit de ses charmes en cabine privative, tandis que Shōta, le jeune garçon s’adonne à du vol à l’étage tel que lui a appris son père, ce qu’il va aussi apprendre à Yuri (devenue Rin), la petite fille recueillie, et illégalement adoptée par la famille, pendant que sa propre famille la recherche encore...
Réaliste, cette chronique sociale est filmée au plus près des visages, ne laissant pas à la moindre réplique des six acteurs de l’histoire une part de non-sens. En effet, l’écriture et les dialogues hautement travaillés nous préparent par tâtonnements, à l’aide de signaux révélateurs sur chacun des membres, à la véritable identité de ladite famille. Leur récit prend alors une tournure troublante, voire totalement terrifiante. Car s’il faut du temps (propre au cinéma japonais) pour installer, d’une part, les enjeux du récit, et d’autre part pour secouer le ménage afin d’y déceler ses fondements cachés, cela vaut bien la peine d’attendre, étant donné la baffe à laquelle on assiste, médusés.
Le spectateur ne peut alors qu’être secoué par sa propre réinterprétation de cette famille, et d’autant plus par la force des sentiments construits au fils des saisons, notamment ceux qui concernent la petite Yuri vis-à-vis de la famille qui l’a accueillie. Dès lors, le film soulève notamment la question de la filiation. En l’occurrence, procréer ne suffit pas à devenir parents. Toute l’importance, c’est l’après, car il faut s’occuper de ses enfants, et les conduire à un avenir heureux. Aussi, les révélations sur Shōta transpirent à l’écran et questionnent sur la paternité, tout comme au travers du regard foudroyant de son jeune acteur.
S’il faut parfois s’accrocher une fois le processus de déconstruction enclenché pour capter toutes les finalités entre les personnages, Kore-eda réussit ici une œuvre singulière, lumineuse, pessimiste, et qui laisse surtout place à la rédemption. Car finalement, personne n’est ici jugé, si ce n’est un système (japonais) dont les failles sociales et politiques creusent le peuple, et l’invite involontairement à contourner la loi pour rester en surface.