➡ Vu au cinéma Caméo des Grignoux - Sortie du film le 28 novembre 2018
Signe(s) particulier(s) :
– Prix du Jury, Prix du jury œcuménique et et pour la première édition en 2018, Prix de la Citoyenneté au Festival de Cannes 2018 ;
– tous les acteurs du film viennent d’un casting sauvage, eux qui sont donc des gens ordinaires, dont la vie ressemble à peu de choses près à celle du film ;
– le jeune acteur principal Zain al-Rafeea est un réfugier syrien arrivé au Liban à l’âge de sept ans (jusqu’à ses treize ans), aujourd’hui parti vivre en Norvège avec sa famille ayant obtenu l’asile politique ;
– trois années de recherches ont été nécessaires à la réalisation du film, étant donné la volonté de sa réalisatrice de croire en son histoire avant de la raconter, et de retranscrire tout ce qu’elle a réellement vu et vécu au cours de sur le terrain, aussi bien dans les quartiers défavorisés, que dans les centres de détentions ou des prisons pour mineurs ;
– six mois de tournage ont été nécessaires avec plus de 520 heures de rushes au compteur, avec une intervention minime sur les décors.
Résumé : À l’intérieur d’un tribunal, Zain, un garçon de 12 ans, est présenté devant le juge. À la question : "Pourquoi attaquez-vous vos parents en justice ?", Zain lui répond : "Pour m’avoir donné la vie !". Capharnaüm retrace l’incroyable parcours de cet enfant en quête d’identité et qui se rebelle contre la vie qu’on cherche à lui imposer.
La critique de Julien
Tourné au cœur des bidonvilles de Beyrouth avec des acteurs non-professionnels, dont le jeune Zain al-Rafeea jouant son propre rôle, "Capharnaüm" est une fiction tirée en partie du vécu de la réalisatrice libanaise Nadine Labaki ("Caramel" en 2007), mais surtout de ce qu’elle a pu voir sur le terrain lors de ses innombrables recherches et repères effectués sur trois années dans les rues oubliées de la capitale libanaise, où résident des habitants laissés-pour-compte. Prix du Jury au dernier Festival de Cannes, "Capharnaüm" est un film éprouvant, mais terriblement réaliste et vibrant, dans lequel un enfant vit des choses que n’importe quel enfant ne devrait avoir à vivre...
L’œuvre s’ouvre alors sur une scène non-équivoque se déroulant au tribunal, devant un juge, où Zain porte plainte contre ses parents pour lui avoir donné vie. Tout est donc dit, mais rien n’a encore été montré. S’en suit alors un long flash-back qui nous explique comment cet enfant des rues, à l’expression faciale désincarnée, en est venu à ce jugement, pour le moins terrible, mais compréhensible.
Même si la trame scénaristique est ici romancée, l’ensemble des personnages puisent dans leur quotidien pour incarner ces hommes et femmes authentiques, lesquels connaissent la misère, et toute l’injustice de monde, mais surtout Zain. À travers son portrait misérabiliste, Nadine Labaki questionne sur des thèmes universels tels que l’enfance maltraitée, les conditions des immigrés clandestins, la nécessite de n’exister aux yeux de l’Etat qu’à travers des papiers, et dès lors aussi des frontières établies entre les pays.
Zain décide de fuir ses parents irresponsables pour tenter une vie meilleures dans les rues, car elle est ne peut être que meilleure par rapport celle que peuvent lui offrir ses parents, totalement incapables de s’occuper de leurs enfants, de là même à se séparer de leur propre fille tout juste réglée, et de l’offrir à un adulte...
Dans son parcours du combattant, Zain croisera alors le destin de Kawthar et son fils Yonas, une clandestine éthiopienne en séjour illégal...
"Capharnaüm" possède une force d’image inouïe, tandis qu’il présente, tout le long de son récit de survie (car il s’agit bien ici de ça), des destins croisés qui connaissent (trop) bien les conditions dont lesquels ils jouent, et cela se ressent, se transpire. On est littéralement scotché dans notre siège par le jeu sans faille et d’un répondant extrêmement marquant de Zain, tandis qu’il ne sourit jamais. Un peu répétitif et parfois long, ce film n’est pas un plaidoyer politique ou social, mais bien la face submergée de l’iceberg vécue par de trop nombreuses personnes à travers le monde, et principalement ici les enfants. L’injustice avec laquelle ils peuvent parfois grandir devant les yeux fuyant du monde est atroce, et insupportable. Mais aussi bien Zain que le petit Yonas font preuve ici d’une force et d’une maturité débordantes, lesquels grandissent trop vite, livrés à eux-mêmes. Et c’est justement cette soif de s’en sortir, de ne pas donner raison à cette vie toute tracée d’avance depuis la naissance qui ressort aussi de ce drame humanitaire.
On pourrait reprocher à Nadine Labaki d’être parfois trop démonstrative dans sa narration, appuyée par une musique un brin envahissante, bien que les émotions, pudiques et justes, viennent contrecarrer ce pathos de mise en scène. Le film en est donc bouleversant, jusqu’à sa dernière image, d’une symbolique dévastatrice.