➡ Vu au cinéma Caméo des Grignoux - Sortie du film le 24 octobre 2018
Signe(s) particulier(s) :
– premier film tourné intégralement en langue anglaise par le réalisateur français Jacques Audiard, suivant l’idée du comédien John C. Reilly et de son épouse (et productrice de cinéma) Alison Dickey, lesquels ont invité (lors du festival de Toronto où était projeté "De rouille et d’Os" en 2012) à lire le roman de Patrick deWitt paru en 2011, dont ils détenaient les droits ;
– le film est dédié au frère aîné de Jacques Audiard, disparu à l’âge de 25 ans ;
– Lion d’argent du meilleur réalisateur à la Mostra de Venise 2018.
Résumé : Charlie et Eli Sisters évoluent dans un monde sauvage et hostile, ils ont du sang sur les mains : celui de criminels, celui d’innocents... Ils n’éprouvent aucun état d’âme à tuer. C’est leur métier. Charlie, le cadet, est né pour ça. Eli, lui, ne rêve que d’une vie normale. Ils sont engagés par le Commodore pour rechercher et tuer un homme. De l’Oregon à la Californie, une traque implacable commence, un parcours initiatique qui va éprouver ce lien fou qui les unit. Un chemin vers leur humanité ?
La critique de Julien
Après sept longs métrages tournés en français, une multitude de prix et un style de travail reconnaissable alliant le cinéma de genre et d’auteur, le réalisateur Jacques Audiard s’est (enfin) lancé à la conquête du marché anglophone avec "Les Frères Sisters", adapté du roman de Patrick deWitt paru en 2011, et cela sous l’impulsion du couple formé par l’acteur, scénariste et producteur John C. Reilly et la productrice Allison Dickey. Grand bien à eux qui ont eu raison de croire en Jacques Audiard pour mettre en images ce western se déroulant dans l’Oregon en 1851, lui qui est principalement joué par des acteurs américains, et qui a été tourné en Espagne pour les scènes extérieures, et en Roumanie pour les scènes intérieures, que ça soit à la fois pour une question de coût que pour la qualité des décors.
Vous qui n’êtes peut-être pas trop amoureux des westerns, ce film n’en est un que sur la forme, étant donné que le contexte spatio-temporel est prétexte ici à raconter le parcours stagnant de deux frangins inséparables, poursuivis par une enfance difficile, depuis laquelle ils sont restés figés dans le temps. Eli (l’aîné - John C. Reilly) et Charlie (le cadet - Joachim Phoenix) sont devenus, par la force des choses, des tueurs à gages, lesquels travaillent pour le Commodore. Tandis que le premier, sensible, rêve d’une vie normale, et protège coûte que coûte sont petit frère, rongé par la violence, car n’ayant jamais rien appris d’autre, une nouvelle mission s’ouvre à eux, soit celle de récupérer une formule chimique détenue par le chercheur d’or Hermann Kermit Warm (Riz Ahmed, notamment vu dans "Venom"), avec l’aide du détective John Morris (Jake Gyllenhaal), qui suit sa trace pour eux...
Alors que ces derniers n’éprouvent aucun état d’âme à tuer, étant donné qui s’agit de leur métier, cette quête se révélera bien plus initiatique que prévue, laquelle remettra en question leurs liens fraternels, leurs parts d’humanité, et leurs raisons de vivre...
Visuellement splendide, "Les Frères Sisters" nous offre une reconstitution imparable des terres du Nord-ouest américain du milieu du dix-neuvième siècle. De la photographie granuleuse, aux couleurs sablées et rocailleuses, jusqu’aux décors vastes et hostiles, la caméra du réalisateur français l’essence-même du western et de la conquête de l’Ouest américain. Mais comme dit plus haut, ce film ne se veut pas être une énième démonstration du mythe représenté par ce cinéma, ayant connu son apogée avec l’âge d’or des studios hollywoodiens. Non, cette aventure se veut plus profonde, plus intimiste, puisqu’elle permet de creuser la psychologie de deux vieux cow-boys rincés, aux tempéraments radicalement opposés, et liés par le même sang, tout comme par la seule occupation meurtrière à laquelle ils s’adonnent. Tandis qu’il traite du droit d’aînesse et de ses responsabilités, tout comme en sous-texte des marques indélébiles laissés par un parent, "Les Frères Sisters" est le témoin direct de la notion de fraternité, portée par ses deux formidables acteurs principaux, que sont John C. Reilly et Joachim Phoenix.
Alors que l’humour noir s’invite dans cette exploration méticuleuse des liens indéfectibles entre frères dans l’Amérique de la Rue vers l’or, Jacques Audiard rend un vibrant hommage aux classiques du western, revisitant le genre de manière touchante et efficace. Sa mise en scène audacieuse, nette, précise et sans artifices est d’une qualité irréprochable, laquelle nous invite à un voyage en bonne et due forme, aussi violent que tendre, en compagnie de personnages qui se révèlent, au fur et à mesure, un peu plus humains, au travers d’un récit passant (un peu trop) calmement de l’écorchement psychologique à son apaisement. Car finalement, la quête initiale en révélera une autre...
Si la chevauchée manque de figure féminine et d’originalité dans son écriture en surface, c’est véritablement dans la représentation plus sentimentale de son genre que cette œuvre s’épanouit et lui apporte un état d’âme supplémentaire.