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CINECURE
L’actualité du cinéma

Cinécure est un site appartenant à Charles Declercq et est consacré à ses critiques cinéma, interviews sur la radio RCF Bruxelles (celle-ci n’est aucunement responsable du site ou de ses contenus et aucun lien contractuel ne les relie). Depuis l’automne 2017, Julien apporte sa collaboration au site qui publie ses critiques et en devient le principal rédacteur depuis 2022.

Dan Fogelman
Life Itself (Seule la vie)
Sortie le 7 novembre 2018
Article mis en ligne le 27 septembre 2018

par Charles De Clercq

Synopsis : Amoureux depuis l’université, Will et Abby, deux jeunes New-yorkais, se marient. Alors qu’ils s’apprêtent à devenir parents, leur trajectoire se mêle à d’autres destins. Ceux de Dylan, jeune femme perturbée qui tente d’apaiser sa souffrance, d’Irwin, qui élève sa petite-fille dans un monde dangereux, de M. Saccione, riche propriétaire terrien espagnol, et de son intendant Javier, entouré de sa femme Isabelle et de leur fils Rodrigo.

Acteurs : Oscar Isaac, Olivia Wilde, Samuel L. Jackson, Antonio Banderas, Olivia Cooke, Annette Bening, Mandy Patinkin.

Nous avons été séduit par ce film, son intrigue, son développement et les histoires racontées. Ecrivons de suite que ce n’est pas l’avis de nombreux membres de la presse cinématographique qui sont loin de partager notre enthousiasme et reflètent ainsi la moyenne des cotations IMDB qui tournent autour de 5/10 ! Avons-nous vu un film différent ou, ce qui est à notre hypothèse, avons-nous été séduit par la construction du récit et ses intrications (sans compter le jeu des acteurs !).

C’est que le film - soutenu tout du long d’une voix "off" - se découpe en quatre tableaux, annoncés comme tels. Chacune des parties est clairement numérotée. Cependant, il en est une cinquième, enchâssée dans les pages d’un livre qui est lu dans une séance de lecture publique (spoiler : [1]).

Nous avons rapidement pensé, s’agissant de destins (entre)croisés - l’on comprendra à la projection - à la théorie des ’six degrés de séparation’ "établie par le Hongrois Frigyes Karinthy en 1929 qui évoque la possibilité que toute personne sur le globe peut être reliée à n’importe quelle autre, au travers d’une chaîne de relations individuelles comprenant au plus six maillons". Le réalisateur n’en parle pas et il est probable qu’il ne s’en inspire pas (explicitement ou implicitement), s’agissant d’un thème déjà abordé (autrement) au cinéma. Qu’il soit question de la multiplication de points de vue (ou de regards) différents sur une même "réalité" ou de la rencontre de destins, apparemment indépendant les uns des autres.

Il nous est apparu que plusieurs clés ou grilles de lecture nous sont données durant le film et quasiment dès son ouverture. C’est que nous assistons à la création d’une histoire en mode essais/erreurs, recadrages, etc. Et nous avons songé, au début du film, à Le Magnifique de Philippe de Broca, sorti en 1973. c’est que l’on sort du cadre, de ce cadre-là, pour passer à un autre niveau de réalité. Comme si nous étions dans une mise en abime ou dans un processus d’interrogation sur la création (artistique ou littéraire) et sur sa vérité ou sa fiabilité. Après tout, s’agissant de la fiction qu’il nous est donné à voir, ce que l’on pouvait penser comme réel ne l’est pas.

Il nous sera donc donné de voir plusieurs couples, trois générations, trois pays aussi, deux continents, liés ou pas d’une manière ou d’une autre au travers de récits ou de destins croisés. La clé essentielle du film réside dans le projet de la première protagoniste qui écrit une thèse sur la création littéraire et le statut du narrateur (omniscient ?!). Et cela tient en quelques mots : "le narrateur n’est pas fiable". Ceux-ci nous ont de suite marqué, probablement parce qu’habitué à l’exégèse biblique, ce concept est immédiatement opératoire pour nous. Non seulement le narrateur n’est pas fiable, mais ajoute-t-on, la vie est le plus grand narrateur, tout aussi peu fiable, sans compter que ce narrateur-là ne connait pas la fin de l’histoire.

Nous ne voulons pas "spoiler" en (ré)écrivant les fils de trame de l’intrigue, ce qui lie les uns aux autres, si ce n’est qu’une autre clé se trouve dans une chanson et un album de Bob Dylan : Make You Feel My Love que l’on trouve dans Time Out of Mind de 1997. Une chanson qui semble mièvre et/ou joyeuse dans un album qui est ou semble désespéré. Cette clé explique, à notre estime, ce qui n’a pas été compris et ou apprécié par de nombreux critiques, à savoir la fin du film qu’ils accusent de sentimentalisme exagéré, à l’eau de rose. En revanche, nous y avons vu un énième mise en abime du réalisateur. N’est-il pas le narrateur qui nous conte une histoire, qui la modèle comme relecture (potentielle) d’un album de Dylan et d’une chanson intrigante qui s’y trouve ? N’est-il pas le narrateur qui nous conte une histoire de vie, de mort et de relation, où finalement, il n’y aurait que du bonheur malgré les heurts, malheurs et souffrances tissés sur trois générations ? N’est-il pas celui qui nous narre une histoire où la pénultième parole serait celle d’une femme, impliquée dans sa chair et ses ascendants, jusque dans la souffrance et la mort ? Une femme, elle même narratrice d’un récit devant un auditoire toute ouïe. Et si d’aventure, Dan Fogelman, est bien ce dernier narrateur, n’est-il pas celui qui nous crie, grâce à son film, qu’il n’est pas fiable et qu’il faut nous méfier des films, de son film, celui qu’il nous donne à voir ?

Le spectateur se souviendra alors du début du film. Il était, dans le premier tableau, un auditeur qui, à défaut d’être omniscient, est celui qui écoute par profession. Un auditeur à qui un narrateur se confie. Ou plutôt confie, narre sa vie. Il peut mener l’auditeur au coeur du récit de sa vie (occasion de plans cinématographiques qui intègrent au récit, et comme observateurs de celui-ci !, ceux qui parlent/écoutent !). Ce narrateur singulier est-il fiable, lui qui narre sa propre existence ? Lui qui la relit. Et ce récit, dont il est le seul à pouvoir mettre un terme, est-il le dernier ? Est-ce que le grand récit de la vie et de la mort ne se poursuit pas, justement grâce au réalisateur qui nous invite donc à une ultime prise de distance : le narrateur n’est pas fiable !

Lien vers la critique de Julien (aux antipodes de la nôtre !)

https://www.youtube.com/embed/OXGJx8G5sEE
Seule la vie (Life Itself) - Bande-annonce teaser vostfr - YouTube


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