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Nadine Labaki
Capharnaüm
Sortie le 28 novembre 2018
Article mis en ligne le 20 octobre 2018

par Charles De Clercq

Synopsis : À l’intérieur d’un tribunal, Zain, un garçon de 12 ans, est présenté devant le juge. Le juge : « Pourquoi attaquez-vous vos parents en justice ? », Zain : « Pour m’avoir donné la vie ».

Acteurs : Zain Alrafeea, Nadine Labaki, Yordanos, Shifera Boluwatife, Treasure Bankole

Le synopsis du film, tel qu’il a été rendu public pourra paraître trompeur, réducteur et, même s’il n’est pas faux, il est loin de révéler la réalité et la profondeur d’un film présenté en sélection officielle au Festival de Cannes 2018. Il ya a reçu, à juste titre, trois prix : celui du Jury, celui du jury œcuménique et enfin le Prix de la citoyenneté. Il nous faut ici être honnête, le film a divisé fortement la critique. Face à l’enthousiasme de certains (une des plus longues standing ovation : 7 minutes), d’autres on trouvé que le film était mélodramatique, manquait de subtilité et était complaisant. Certains de nos amis critiques, tout comme d’éminents spécialistes du cinéma partagent ce point de vue négatif, ce qui n’est pas notre cas, loin de là ! Et osons ici, il s’agit d’un (très) mauvais procès intenté à Nadine Labaki (qui joue dans le film le rôle de l’avocate de Zain).

C’est bien plus qu’un procès dont il s’agit et, en réalité, celui-ci n’est qu’une façon de théâtraliser l’obscène. Nous jouons volontiers ici sur les mots. Car il s’agit d’une mise en scène, du cadrage de la vie dans le théâtre d’une cour de justice (à noter celui qui joue le président de la Cour est d’ailleurs un ancien magistrat). Il fallait ce cadre-là pour poser une question inaugurale dont la réponse sera donnée sous forme de flashbacks. Ceux-ci seront l’occasion de découvrir le "théâtre" de la vie, ou plutôt de quelques vies au Liban. Car c’est là que le film situe son "action" (et il faudra revenir sur ce terme) dans tout ce qu’elle a d’obscène (au sens littéral du terme, à savoir ce qui doit rester caché, sous la scène). Action pourrait ne pas convenir car ces jours qui se déroulent dans la famille de Zain sont le train train quotidien d’un enfant coincé dans une famille pauvre, dans un pays tout aussi pauvre et en guerre. De celle-ci, il n’est pas question, pas plus que de religion d’ailleurs (genre : voile ou autre) mais simplement d’une vie aux limites de l’humanité. Dans une famille qui doit vendre sa fille de onze ans à un adulte qui croit avoir le droit de l’acheter et d’en profiter et d’user de celle qui "est mûre" ! Une famille dont l’ainé, Zain, justement voudra défendre (les droits de) sa soeur et veut l’aider à s’enfuir.

Certains se souviendront peut-être de Little Fugitive (Le petit fugitif) réalisé en 1953 par Ray Ashley et Morris Engel. Au départ de l’histoire toute simple du vagabondage d’un enfant dans un parc d’attraction new yorkais durant une journée (il s’agit d’un film charnière dans l’histoire du cinéma [1]). Il s’agit ici, avec Capharnaüm, de tribulations sur plusieurs semaines qui ont précédé l’emprisonnement du jeune Zain. Capharnaüm au titre bien trouvé, car il s’agit, selon des écrits bibliques du "carrefour des nations" [et c’est probablement aussi le lieu ou Jésus [2] habitait et serait né [3]] et, ici, dans le film le carrefour d’interactions entre des destins croisés pour le meilleur et pour le pire.

Certains ont vu dans ce film une remise en question de la responsabilité parentale, s’agissant, en quelque sorte de la question inaugurale. L’essentiel n’est pas là pour nous qui n’y voyons qu’une question d’accroche (que certains qualifierons d’accrocheuse !). Le coeur même du film est cette réalité sans fard qui nous est montrée. Et si les deux enfants "jouent" il est probable qu’ils puisent dans leur "vécu" et qu’il leur a été facile de rendre compte devant la caméra d’une réalité qui fut probablement la leur. A ce sujet, il peut être intéressant de découvrir ce qu’en pense Nadine Labaki !


Cliquer pour lire l’avis de la réalisatrice

Oui, la vraie vie de Zain est similaire (à quelques détails près) à celle de son personnage, pareil pour Rahil qui était sans papiers. Pour le personnage de la maman de Zain, je me suis inspirée d’une femme que j’ai rencontrée, qui a 16 enfants qui vivent dans les mêmes conditions que celles de Capharnaüm. Six de ses enfants sont décédés et d’autres sont dans des orphelinats à défaut de pouvoir s’en occuper. Celle qui joue le rôle de Kawthar a, elle, réellement nourri ses enfants au sucre et aux glaçons.

À ce casting où, même le juge est un juge, j’étais la seule « fausse-note » au milieu des acteurs. C’est la raison pour laquelle mon intervention en tant qu’actrice, au coeur de la vérité des autres, a été minime. Le terme « jouer » m’a toujours posé problème, et précisément dans le cas de Capharnaüm où le propos requiert une sincérité absolue.

Je devais ça à tous ceux pour qui ce film servira d’étendard pour leur cause. Il fallait donc absolument que les acteurs soient des gens qui connaissent les conditions dont il est question, afin d’avoir une légitimité quant à parler de leur cause.

De toute façon, il aurait été impossible, à mon avis, que des acteurs incarnent ces gens aux bagages si pesants, qui vivent un enfer. En fait, j’ai voulu que le film rentre dans la peau de mes personnages plutôt que l’inverse.

Le casting sauvage s’est imposé, dans la rue, et comme par magie, car je suis convaincue qu’une force veillait sur ce film, tout s’est mis en place. À mesure que j’écrivais mes personnages sur papier, ils surgissaient dans la rue et la directrice de casting les retrouvait. Ensuite, je n’ai eu qu’à leur demander d’être eux-mêmes car leur vérité suffisait, et que j’étais fascinée, quasiment amoureuse de qui ils sont, de la manière dont ils parlent, réagissent, bougent. Je suis heureuse car c’était aussi et surtout une manière de leur offrir ce film comme champ d’expression, un espace où eux-mêmes ont exposé leurs souffrances.


Certains "acteurs" du film ont été arrêtés durant le tournage, étant eux-mêmes sans papiers. Ce film jette un regard cru, presque documentaire sur ces gens qui veulent trouver un monde meilleur, qui ne peuvent même pas vivre au quotidien, sur les conditions d’existence, d’emprisonnement. Et l’on se rendra compte, à la fin du film qu’il ne s’agit pas d’un procès fait aux parents qui produiraient des enfants sans conscience de leurs responsabilité à leur égard, mais que si procès il y a, nous en sommes en (grande) partie... partie prenante parce que nous sommes, nous du bon côté de la frontière, des frontières en général. Et, en cela, il faut se lever, remercier et applaudir Nadine Labaki !



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