➡ Vu au cinéma Caméo des Grignoux - Sortie du film le 31 janvier 2018
Signe(s) particulier(s) :
- lauréat du Lion d’Or au Festival de Venise 2017, de deux Golden Globe 2018 (meilleur réalisateur pour Guillermo Del Toro et meilleure bande-originale pour Alexandre Desplat) et notamment 13 nominations aux Oscars 2018 ;
- septième collaboration entre le réalisateur et l’acteur Doug Jones, habitué à incarner ses créatures, dont le faune dans "Le Labyrinthe de Pan", le fantôme de Lady Sharpe dans "Crimson Peak", ou encore "Abe Sapien" dans "Hellboy" et sa suite ;
- quatre personnes étaient nécessaires afin que Doug Jones puisse enfiler son costume ;
- l’actrice Sally Hawkins a appris le langage des signes américain pour son rôle, dans l’optique de la maîtriser sur le bout... des doigts, afin de pouvoir improviser si besoin.
Résumé : Modeste employée d’un laboratoire gouvernemental ultrasecret, Elisa mène une existence solitaire, d’autant plus isolée qu’elle est muette. Sa vie bascule à jamais lorsqu’elle et sa collègue Zelda découvrent une expérience encore plus secrète que les autres…
La critique
Depuis sa récompense suprême du Lion d’Or au dernier festival du film de Venise, le dernier film du réalisateur mexicain Guillermo Del Toro ne cesse d’exciter la toile. Si l’on est fan de son cinéma, alors l’attente de ce film remonte à bien plus longtemps, soit depuis la post-production de son "Pacific Rim" (2014). À ce moment-là, Del Toro a financé, sur ses propres fonds, la genèse de son film, soit des dessins et maquettes, qu’il présentera au studio Fox Searchlight, qui acceptera dès lors son projet sans plus attendre. La suite, on la connaît tous, puisque à l’aube de la nonantième cérémonie des Oscars, le film y fait figure de grand favori, avec pas moins de treize nominations. Mais peu importe le nombre de trophées avec lesquels il repartira, "La Forme de l’Eau" débarque enfin sur nos écrans, et prouve l’attachement fidèle et dévoué de l’auteur pour les monstres, depuis son enfance, et qui pour lui sont "les saints-patrons de nos imperfections béates, et permettent et incarnent la possibilité de nos échecs", discours qu’il a partagé lors de sa victoire du Golden Globe du meilleur réalisateur en janvier dernier, et amplement mérité.
Une fois n’est pas coutume, il plante son récit dans un contexte politique bien ciblé, soit ici en pleine guerre froide, afin d’en augmenter la part fantastique permettant une parenthèse inouïe, mais non dénuée de sens, dans cette guerre entre les États-Unis et l’URSS.
On y découvre Elisa (Sally Hawkins), une femme de ménage muette travaillant dans un laboratoire gouvernemental secret. Un jour, Elisa est appelée, avec son ami Zelda (Octavia Spencer), à nettoyer une salle dans laquelle s’y cache une créature amphibienne amazonienne, étudiée par les scientifiques, dont le Docteur Robert Hoffstetler (Michael Stuhlbarg), mais soumise à d’effroyables pratiques par le colonel Richard Strickland (Michael Shannon). De la rencontre entre Elisa et cette créature, naîtra une histoire d’amour, entre deux êtres blessés par la vie, et qui amènera Elisa (et ses complices) à la libération, vaille que vaille, de la créature.
Choisi de circonstance, le casting brille par son savoir-faire dans cet univers, qui est finalement le leur. Pour ne citer qu’eux, Sally Hawkins illumine une nouvelle fois l’écran après "Maudie", tandis que Michael Shannon possède la tête de l’emploi pour jouer le rôle de fripouille du film, et même avec deux doigts en moins... Doug Jones est quant à lui parfait sous cette combinaison au caractère authentique.
On reconnaît ici sans hésitation le cinéma de Guillermo Del Toro, qui plus est au (presque) meilleur de sa forme. Il est aussi facile de retrouver dans ce film des clins d’œil à des œuvres l’ayant inspiré, telle que, par exemple, "L’Étrange Créature du Lac Noir" (1954) de Jack Arnold. D’ailleurs, certains classiques du cinéma s’invitent dans l’histoire, que ça soit sur un écran de télévision ou de cinéma, tels que "Le Petit Colonel" (1960) de Shirley Temple ou "L’Histoire de Ruth" (1960) de Henry Koster. C’est que ce film, avant d’être le témoin de la part de bestialité chez les humains, et d’humanité chez les monstres, est un hommage au cinéma. En l’occurrence, le réalisateur le rend assez bien, avec mélancolie et virtuosité. Une scène de numéro de danse en noir et blanc en est le parfait exemple. Rien qu’à en voir le travail artistique réalisé pour son film, on ne doute pas une seule seconde de l’amour avec lequel il a entrepris cette réalisation. Car c’est peut-être ici de son film le plus intimiste dont il accouche, celui qui lui tenait le plus à cœur.
De la conception du laboratoire et du cylindre dans lequel baigne la créature, en passant par son design, Del Toro a déboursé de sa propre poche pour s’entourer des meilleurs dans le domaine. Tout ça pour dire que si le film existe aujourd’hui, c’est bien grâce à sa dévotion, et sa foi envers les monstres. Ainsi, pour la lumière, Del Toro a fait appel à Dan Laustsen (lui qui l’avait déjà aidé sur "Mimic" ou "Crimson Peak") en vue de tons monochromatiques, principalement bleus et verts, contrebalancés par de l’ambre, alors que le rouge, lui, n’est utilisé que pour le sang, et surtout l’amour. Un choix visuel judicieux, qui reflète parfaitement l’environnement avoisinant cette histoire, et dans laquelle s’invite, pratiquement sur chaque plan, de l’eau. D’ailleurs, le montage utilise à bon escient cet élément de la nature, qui, comme l’amour, possède une forme malléable, au regard de l’être qui porte la flamme. Pour les scènes où les personnages apparaissent, engloutis dans de l’eau, Del Toro parvient aussi à nous donner une hallucinante impression de réalisme, alors que ces séquences sous-marines ont été tournées suivant une vieille technique appelée le "dry for wet", donnant l’illusion de l’eau grâce à de la fumée, des ventilateurs et des projections lumineuses. Fort ! Le compositeur (déjà récompensé aux Oscars) Alexandre Desplat a, quant à lui, imaginé une musique à thèmes différents pour chaque personnage, et où la musique (et pas que) rappelle celle d’un certain film de Jean-Pierre Jeunet.
Mais "La Forme de l’Eau", grâce à ses décors minutieux, teintés de couleurs et lumières surprenantes, est une invitation à un univers à part, poétique, mais bien ancré dans son époque.
En effet, le film, même s’il n’y centre pas son sujet, aborde avec efficacité et cocasserie le thème de la politique via la recherche scientifique autour de cette créature, pointée du doigt par les Américains et les Soviétiques, dont ils espèrent trouver des réponses, empêchant l’autre d’en avoir. Il fallait y penser. Mais "La Forme de l’Eau" reste avant tout une romance inter-espèce, un plaidoyer pour la force qui habite en ces êtres différents, cassés d’une quelconque manière.
S’il livre une oeuvre remarquable sur le plan artistique, Guillermo Del Toro ne peut s’empêcher malheureusement de filmer son film comme un grand enfant. En effet, s’il se permet encore et toujours quelques scènes assez gores, c’est d’un problème de profondeur dont souffre son intrigue. Avec lui, c’est un peu tout, ou rien. Et dans ce cas, cette histoire d’amour est un peu trop premier degré pour sortir du lot, tout comme c’est le cas de certaines scènes clefs du film, qui au lieu de créer l’émotion suscitée, passent à côté par un trop-plein de bonne volonté, telle que celle où la créature est persécutée, ou lorsque Elisa et cette dernière se retrouvent, avant la fin... Finalement, si le voyage en vaut la chandelle, il n’en reste pas inoubliable.