Près de deux ans après la sortie de A Beautiful Day (You Were Never Really Here), le dernier film de Lynne Ramsay, je sors de mes archives une lecture ou relecture très personnelle que j’avais faite le 3 février 2013 de son film précédent et qui m’avait beaucoup touché : We Need To Talk About Kevin de Lynne Ramsay (2011). Ce ne sera pas tant une critique qu’un regard très personnel, en je, contextualisé dans sa réception et les questions qui m’ont été posées sur le film !
Synopsis : Eva a mis sa vie professionnelle et ses ambitions personnelles entre parenthèses pour donner naissance à Kevin. La communication entre mère et fils s’avère d’emblée très compliquée. A l’aube de ses 16 ans, il commet l’irréparable. Eva est tiraillée entre la culpabilité et son sentiment maternel. A-t-elle jamais aimé son fils ? Quelle est sa part de responsabilité dans l’acte qu’a commis Kevin ?
Acteurs : Tilda Swinton, John C. Reilly ,Ezra Miller, Siobhan Fallon, Lauren Fox ,Ashley Gerasimovich.
Il arrive que certains films me hantent à tel point que j’ai beaucoup de plaisir à les revoir et que j’ai surtout le désir d’en parler à des amis. Tel est le cas de We Need To Talk About Kevin de Lynne Ramsay.
J’avais vu le film non pas en salle, mais en BlueRay. Après le film, je me suis intéressé aux bonus - près de vingt minutes d’interviews de la réalisatrice, des trois principaux protagonistes et du chef opérateur – m’avaient apporté un éclairage passablement intéressant et loin d’être un simple exercice auto-promotionnel.
Des amis m’avaient dit combien le film leur avait déplu et leur paraissait réducteur et racoleur.
C’est avec quatre autres que j’ai revu le film quelques jours plus tard, leur proposant même de terminer par les bonus. L’un de nous, pendant le film disait : « Est-ce que l’on peut divorcer se ses enfants ? ». A la fin, une mère qui tout en ayant apprécié le film nous disait qu’il s’agissait-là d’un film d’horreur (dans son climat, plus que dans les images plus allusives que gore).
Les interviews donnaient une lecture du film, celle de la réalisatrice, à défaut de celle de l’auteur du roman, Lionel Shriver. En gros, au risque de tordre le sens, la question posée est relative à la maternité (ou, plus généralement, à la parentalité) : que fait-on lorsque nait l’enfant et qu’on ne l’aime pas ? Ici, cela va loin puisqu’entre celle qui n’aime pas et celui qui n’est pas aimé va naître un emballement qui ira jusqu’à l’ultime folie d’un point de non retour, presque seize ans plus tard. Le bonus mettait en avant une chose que tous ne pouvaient cependant admettre à ce point : la fiction selon laquelle il fallait que l’enfant soit aimé à 100% ! Mais aussi que somme toute Kevin n’était pas psychopathe – au grand dam de plusieurs parmi nous - mais le fruit d’une relation qui dégénère lorsque son principal protagoniste est manipulateur et d’une très grande intelligence. Plus loin... que la mère portait une large part de culpabilité mais que le plus grand était le père. Absent comme père et mal présent comme copain.
L’analyse proposée par le bonus ne faisait pas l’unanimité. Un seul parmi nous avait acheté le roman, en anglais, mais l’avait abandonné assez vite : sa structure narrative sous forme de lettres paraissait lourde et rébarbative.
Aussi nos échanges se poursuivirent sur le film dont nous avions apprécié la cohérence, la richesse des images, du montage, de la bande-son, le jeu des acteurs – notamment les trois interprètes de Kevin - et convenions que nous avions vu un grand film.
De mon côté, je me disais que je le reverrais volontiers. C’est que le film continuait à me trotter en tête. J’en avais parlé quelques heures plus tôt à mes amis qui n’avaient pas aimé le film à qui j’avais fait part de ma lecture. Devant un fait sordide commis par son fils, une femme s’interroge sur sa responsabilité. Le film étant cet itinéraire en sa mémoire en quête d’exercice de responsabilité et de culpabilité.
Non seulement la troisième vision du film a conforté mon analyse mais à permis de découvrir combien celui-ci était finalement « rédempteur » et ouvrait des portes vers une probable et potentielle espérance.
C’est donc devant le grand écran, la télécommande avec le doigt sur pause, du papier et un crayon que j’ai commencé à regarder le film et que je me suis arrêté sur certains plans, en particulier au début et à la fin.
Voici donc un retour sur quelques plans du film We Need To Talk About Kevin
Ouverture :
Nuit, voile diaphane à la fenêtre. Bruit du système d’arrosage. La caméra va vers le voile. Scène de la fête des tomates. Le rouge occupe la totalité de l’écran.
Voiles diaphanes. On devine le rouge sur l’extérieur d’une maison.
Intérieur. Cuisine.
T-Shirt marron Led Zeppelin. Vue sur la fenêtre côté chemin de fer. Table cognée. Médicaments tombent sur le sol.
Sortie vers la porte. Lumière rouge de l’extérieur sur le visage d’Eve.
La poignée lâche ! Recul. Ouverture. Trois carreaux dont deux en verre gaufré. Couleur rouge sur ces deux-là. Dans le troisième, visage d’Eve éclairé par la lumière de l’extérieur, dominante rouge. Vue vers l’extérieur – maison dans le dos d’Eve -, avec le toit de la voiture. Blanc et on devine le pare-brise tâché de rouge. Eve se retourne et regarde.
Plan : voiture (avec couleur rouge tagguée) – Eve – Petite maison de province (tagguée en rouge). Eve entre dans la petite maison de province. La porte se referme…
Nous entrons dans une « belle et grande demeure ». Quatre chaises blanches dans la cuisine. une petite fille : chaussures rouges. La fille se retourne avec un œil pansé. Elle regarde…
…Plan sur la mère qui plonge la tête dans l’eau (elle porte le T-Shirt Led Zeppelin).
Transition sur le visage de Kevin dans l’eau également – son visage en sort. Retour sur le visage d’Eve qui sort maintenant de l’eau.
Retour vers le passé : prendre le temps de penser !
A ce moment-là le film va alterner vision de l’instant « présent » et analyse du passé et de ce qui s’est passé. Il s’agira pour Eve de gérer, répondre et questionner sa culpabilité. Celle qu’elle ressent, celle que lui renvoie en miroir la petite bourgade de province où elle s’est retirée, enfuie ? Où est-ce que cela a foiré ? Qu’ai-je fait ou pas fait ? Qu’avons-nous fait ou pas ? Où cela a-t-il commencé ?
Il ne sera pas question de remonter aux origines du cosmos comme Malick mais plusieurs axes seront abordés avec plus ou moins d’intensité (je les prends dans le désordre) :
➢ La relation de couple.
➢ La relation professionnelle
➢ L’exclusion le rejet et la condamnation par la société tant dans le boulot, la vie publique et quotidienne, le (petit) logement à trouver en banlieue… après.
➢ Sa relation avec Kevin
➢ Celle de Kevin avec son père.
➢ Un deuxième enfant – non concerté avec le père - comme tentative de solution.
➢ Est-ce déjà avec ses livres (Robin Hood), ses jeux (arc/flèche) que nous avons fait une erreur ?
➢ L’absence d’une parole/échang(é)e sur/avec/au sujet de Kevin.
Le rouge sera la couleur dominante jusqu’à l’avant dernière partie du film… mais un rouge que l’on enlèvera peu à peu, à la force des poignets, des mains, qu’il faut laver, relaver, diluer.
Plan après plan, l’indicible, impensable, apparaît. Ce qu’a fait l’enfant-monstre et que j’aurais-dû-voir-depuis-le-début-c’était-pourtant-clair-oui-j’ai-merdé !
Au fur et à mesure de l’avancée du film, la culpabilité pourra se gérer.
Ce n’est pas moi, en tout cas pas moi seulement.
Pas Kevin, en tout cas pas Kevin tout seul.
Ce n’est pas mon mari… en tout cas pas lui seul.
Nous sommes plusieurs à porter ce poids.
Que (me) reste-t-il ?
(en principe) Le spectateur compatit à la détresse de la mère, découvre que Kevin est un monstre mais que ses parents y sont (aussi) pour quelque chose.
Jour J+1 (NB : A 1h34 dans le film).
La mère revient (après la tragédie commise par Kevin).
C’est le soir, dans la belle et grande demeure. Entre dans la maison. Appelle son époux et sa fille.
Absence (de réponse).Voile diaphane à la fenêtre. Arrêt de la mère dans le salon avec les deux grandes photos de Kevin en N&B.
Voile diaphane. Son de l’arrosage. Regard vers la porte-fenêtre.
Visage éclairé. La mère passe derrière le voile. Corps du mari/père. Corps de la fille. Arrosage maximum. La cible avec des flèches.
La mère repasse le voile pour entrer dans la maison. Visage dans la pénombre.
Kevin dans la salle de gym, pleine lumière. Seul avec son arc. Il salue. Mère dans la pénombre. Kevin/lumière. Mère/pénombre. Kevin. Lumières bleues et rouges. Cris de la foule.
Deux ans plus tard.
Eve s’assied dans le salon dans la grande maison, avec un T-Shirt Led-Zeppelin. Elle hume le T-Shirt. La mère pleure.
Lampe avec abat-jour rouge. Repasse vêtements d’enfants. Prend l’escalier vers la chambre bleue. Y range les vêtements. Fait le lit. Range le livre de Robin des bois.
Plan extérieur sur la petite maison de banlieue et la voiture. Celles-ci sont ‘clean’.
Plus de peinture rouge !
Un (dernier ?) regard vers la maison.
Dans la voiture.
Dans la prison.
Fils, tête rasée. Champ/contrechamp.
Fils. Mère. « Tu n’as pas l’air heureux ! » « J’ai déjà eu l’air heureux ? J’ai presque dix-huit ans. » Echange mère/fils sur le passage chez les grands. Sur la peur. « Tu es déjà allée dans ce genre d’endroit ? » « Tu t’en es bien sorti » (cf. jugement comme mineur). « Tu seras sorti dans deux ans ». « Tu sais quel jour on est, pourquoi je viens un lundi ? ». « Oui, c’est la date anniversaire ».
« Deux ans. Cela laisse le temps d’y penser. Je veux que tu me dises ‘Pourquoi’. »
« Avant, je pensais savoir… Mais je ne sais plus ».
Echanges non verbaux. Mouvements de glotte.
(pardon/compréhension/acceptation) ???
Gardien : « C’est l’heure ».
Kevin se lève.
Eve le prend dans ses bras. Musique (style manège d’enfant). Eve tient la tête de Kevin.
Eve dans le couloir. Passe peu à peu dans la lumière.
Le couloir est sans personnel et sans prisonnier (cf. celui qui criait dans ce même couloir lors d’une visite antérieure : « Je n’ai rien fait »).
Double porte ouverte. Lumière sur un couloir.
Eve entre dans la blancheur de cette lumière.
Blanc.
Rédemption.
Fin.