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Synopsis : La Ciotat, été 2016. Antoine a accepté de suivre un atelier d’écriture où quelques jeunes en insertion doivent écrire un roman noir avec l’aide d’Olivia, une romancière connue. Le travail d’écriture va faire resurgir le passé ouvrier de la ville, son chantier naval fermé depuis 25 ans, toute une nostalgie qui n’intéresse pas Antoine. Davantage connecté à l’anxiété du monde actuel, il va s’opposer rapidement au groupe et à Olivia, que la violence du jeune homme va alarmer autant que séduire.
Acteurs : Marina Foïs, Warda Rammach, Matthieu Lucci, Florian Beaujean, Issam Talbi.
Nous sommes sorti presque déçu de la vision de L’Atelier. Nous pensions voir un film dans la mouvance de Entre les murs et ce n’est pas le cas. Nous avions vu quelques vidéos qui montraient le travail des jeunes comédiens, en particulier du jeune Matthieu Lucci dont c’est le premier rôle au cinéma. A l’arrivée il faut reconnaître que ce jeune a du talent et une réelle présence à l’écran, écrasant presque Marina Foïs. Malgré cela, le charme n’a pas opéré. Retour à Ithaque de Laurent Cantet nous avait déjà laissé dubitatif. L’Atelier, plus encore ; à la fois parce que le titre du film "vend" autre chose et parce que de trop nombreux thèmes sont traités. C’est un peu comme si le réalisateur avait mis beaucoup trop de fers au feu ou d’ingrédients dans le plat à tel point qu’il est bien difficile de définir le focus du film.
Celui-ci commence par une longue scène de jeu vidéo sans commentaire ni explication. On passera ensuite à une séance de l’atelier d’écriture. Nous pouvons penser que le film se poursuivra dans ce cadre-là, entre ces murs donc, mais ce ne sera pas le cas et les séances dans l’atelier proprement dit seront peu nombreuses. Nous comprenons bien sûr que celles-ci sont occasion d’un travail d’expression quasiment cathartique. Nous supposons même qu’une partie des scènes a pu être jouée en libre interprétation, voire en mode improvisation. Et sur celle-ci, un de nos maitres nous disait que pour improviser il fallait disposer de provisions. Pour l’exprimer autrement, il est plus que probable que ces jeunes de la classe d’écriture ont puisé en eux-mêmes des éléments propres à apporter une certaine authenticité à leur interprétation. En cela, le travail en amont pour préparer le casting a porté de très bons fruits. L’on regrette donc que le scénario donne l’impression de se disperser. Ainsi parmi les thèmes abordés ou évoqués, la fermeture du chantier naval il y a trente ans, les occupations par quelques ouvriers qui s’ensuivirent, la crise économique, Daesh, le Bataclan, l’extrême droite... Cela fait beaucoup. On peut comprendre à lire la genèse du projet (cf. infra).
Plu que l’atelier, c’est un de ses participants qui nous est apparu comme le fil conducteur du film. A tel point, référence assumée, que nous l’aurions titré "Les désarrois de l’élève Antoine". C’est que celui-ci est au coeur du film et il écrase presque Marina Foïs qui semble ici plutôt en roue libre. Adolescent que l’on découvre très solitaire, ayant un culte du corps (comme c’est le cas de nombreux jeunes), que la caméra nous montre fréquemment en short plongeant ou faisant la planche sur l’eau. Mais c’est aussi celui qui regarde des discours de droite sur YouTube et équivalent ou joue à des jeux vidéos. On le découvre aussi en bande, avec des potes désœuvrés qui jouent avec un pistolet. Ce sont quelques mois d’adolescence que nous découvrons. L’attrait d’Antoine pour la romancière Olivia... possiblement réciproque. Sa violence verbale, mais aussi physique et psychologique vis-à-vis de l’écrivaine. Il nous semble que le film aurait gagné à être plus court et a être resserré sur cet aspect tout en donnant plus d’ampleur aux scènes de l’atelier. La suite de cette critique laissera place au réalisateur avec cet extrait du dossier presse où il expose les origines du projet.
Pour en savoir plus, Le directeur de la photographie Pierre Milon, AFC, parle de son travail sur "L’Atelier", de Laurent Cantet (sur le web ou, ici, en pdf).
Enfin, comme souvent, lorsque nous manquons d’enthousiasme, nous renvoyons vers la critique d’un confrère qui n’en manque pas. Voici le lien vers la critique de Nicolas Gilson sur le site Un grand moment.be.
Les origines du projet
(source : dossier presse)
Tout est parti d’un reportage de 1999 pour France 3 sur lequel avait travaillé Robin Campillo, mon co-scénariste, à l’époque où il était monteur pour la télévision. On y voyait une romancière anglaise animer un atelier d’écriture à La Ciotat. Ce dispositif, mis en place par la Mission locale, devait permettre à une dizaine de jeunes d’écrire ensemble un roman dont la seule contrainte était de se situer dans le cadre de la ville. Nous avions alors commencé à réfléchir à un film.
À l’époque, La Ciotat était encore sous le choc de la fermeture du chantier naval : elle datait officiellement de 1987-88, mais des salariés avaient ensuite occupé le chantier pendant plusieurs années pour en retarder la fin programmée. Les jeunes du reportage témoignaient d’un rapport à la culture ouvrière de leur ville qui, bien que déjà un peu nostalgique, semblait encore vivant. Ils se sentaient dépositaires de cette mémoire qui était la matière même du livre qu’ils écrivaient.
Ce projet a été laissé en plan. J’y suis revenu, dixsept ans plus tard, avec l’intuition que cette histoire ouvrière est maintenant de la préhistoire pour les jeunes d’aujourd’hui. Ils en ont bien sûr entendu parler. Ils vivent à proximité de ce qui reste du chantier, aujourd’hui reconverti dans la réparation de yachts. Mais depuis que la ville a entrepris de devenir une station balnéaire, elle a tourné le dos au chantier. C’est tout au plus un décor grandiose, qu’on ne regarde plus.
Ce dont le film témoigne, c’est de cette mutation radicale d’une société, d’une culture qui, sans doute sous l’effet des crises économiques et politiques, ne se reconnaît plus dans le monde tel qu’il était et tel que les « vieux » voudraient continuer à le représenter.
Ce que nous disent les jeunes de l’atelier, c’est qu’ils refusent d’être assignés à une histoire qui ne peut plus être la leur. Ils sont maintenant confrontés à des problèmes tout autres. Trouver leur place dans un monde qui ne les prend pas en compte, avoir l’impression de n’avoir aucune prise sur le déroulement des choses et sur leur propre vie. Et faire face aussi à une société violente, déchirée par des enjeux sociaux et politiques inquiétants : précarité, terrorisme, montée de l’extrême droite…