Synopsis : Chaque année à l’Université de Saint-Denis se déroule le concours "Eloquentia", qui vise à élire « le meilleur orateur du 93 ». Des étudiants issus de tout cursus décident d’y participer et s’y préparent grâce à des professionnels (avocats, slameurs, metteurs en scène...) qui leur enseignent le difficile exercice de la prise de parole en public. Au fil des semaines, ils vont apprendre les ressorts subtils de la rhétorique, et vont s’affirmer, se révéler aux autres, et surtout à eux-mêmes. Munis de ces armes, Leïla, Elhadj, Eddy et les autres, s’affrontent et tentent de remporter ce concours pour devenir « le meilleur orateur du 93 ».
Le 93, ce n’est pas le nonante-trois, non pas qu’il s’agirait de s’exprimer à la française pour dire et écrire quatre-vingt-treize, mais que l’on dit plutôt le 9-3, le neuf/trois. Alors qu’il ne faudrait pas, comme le faisait remarquer Rachida Dati en 2012 : "En Seine-Saint-Denis, dans le quatre-vingt-treize. Vous ne dites pas le Neuf-Deux ou le Sept-Cinq". Un cri du cœur. C’était sur le plateau du Grand Journal de Canal+, il y a peu. En face de moi un jeune chroniqueur déstabilisé, cassé dans son élan, qui n’a sans doute pas compris pourquoi je me suis mise à le reprendre. Le "Neuf-Trois" : de l’humour ? Nous avons sans doute tous déjà utilisé cette expression. Elle s’est installée dans le langage courant et elle fait sourire. Pas tant que cela manifestement. Vous avez été nombreux à me remercier pour ce cri du cœur. Le témoin d’un ras-le-bol de cette expression perçue par ceux qui y vivent comme une caricature, pour ne pas dire de la condescendance Car évidemment, le "Neuf-Trois", c’est un département, la Seine-Saint-Denis. Mais le "Neuf-Trois" renvoie a bien plus que cela : à ces banlieues, "parents pauvres" de la République, dans lesquelles on ne penserait pas un instant s’aventurer (source). Le documentaire A voix haute vient briser ces préjugés et nous montre que la banlieue et celle-là en particulier (qu’il fallait nettoyer au karcher !) ne signifie pas uniquement violence, insécurité, racaille, précarité, mais nous dit haut et fort qu’autre chose est possible.
Tout le film se tient dans le synopsis. Cela n’a l’air de rien, une expérience pédagogique, sociologique comme il doit en exister ailleurs dans l’Hexagone et dans le monde. Et c’est pourtant bien plus que nous proposent les réalisateurs en accompagnant des jeunes de Saint-Denis dans le projet Eloquentia dont on trouvera ici la présentation de la démarche. Ces dix-huit jeunes - de l’Université ou pas - ont plus ou moins vingt ans, garçons et filles - dont une, Leïla, est voilée qui revendique son identité et sa liberté. Elle "s’est spécialisée dans les questions de genre et de racisme et continue son militantisme sur ces thématiques". Un autre, Elhadj "développe un projet d’école en Afrique de l’Ouest et s’investit dans le développement durable" ou encore Souleïla qui "s’investit dans de nombreux projets liés au théâtre et au social (...) et a intégré le Conservatoire de Théâtre de Toulouse où elle se produit sur scène" et enfin, quatrième jeune mis plus particulièrement en avant dans ce documentaire, Eddy qui réside à 10 km d’une gare (et qui doit consacrer cinq à six heures par jour pour rejoindre ce lieu de parole). "Eddy s’est fait remarquer par Edouard Baer, le soir de la finale. Ce dernier lui a permis de réaliser son rêve en l’invitant à jouer dans son prochain film". C’est chose... réalisée aujourd’hui puisque Eddy Moniot y a un petit rôle.
Ce sont aussi quatre "professeurs" qui sont mis en avant et qui grâce à leurs multiples talents vont permettre aux jeunes de la "classe" de développer les leurs, de prendre la parole après en avoir découvert l’importance. Très vite le spectateur sera pris et submergé par l’émotion, non pas que l’on joue sur la corde sensible pour faire du mélodrame, mais simplement parce que les différents protagonistes font découvrir qu’il existe un potentiel qui ne demande qu’à être développé. Cela apparaît aussi lorsque la caméra rejoint les quatre jeunes sur leurs lieux de vie respectifs et que "parole" leur est donnée pour se dire.
Enfin, "Le hasard veut que le premier jour de tournage ait lieu le 7 janvier 2015, jour de l’attentat contre Charlie Hebdo : alors que la France était secouée d’horreur, que des terroristes bafouaient la liberté d’expression, nous tournions un film pour célébrer la parole. Nous étions en complet décalage par rapport aux événements ; comme dans une bulle d’oxygène. Face à la caméra, les inhibitions se sont levées instantanément".
Ce film risque de passer inaperçu, ici aux portes des vacances scolaires, sans compter une diffusion restreinte (Liege - Namur - Bruxelles Toison d’or et Galeries). C’est le lot de certains films plus confidentiels... mais nous espérons que certain-e-s pourront - avec éloquence !- se faire ambassadeurs de ce film (comme Véronique Chartier sur Ecran et Toile). Pour ceux qui voudraient aller plus loin, nous joignons exceptionnellement le dossier presse du film parce qu’il peut d’abord et avant tout être vu comme un dossier pédagogique.
Bande-annonce :
Eddy Moniot et Maitre Bertrand Perier - On n’est pas couché 29 avril 2017