Synopsis : Christian est un père divorcé qui aime consacrer du temps à ses deux enfants. Conservateur apprécié d’un musée d’art contemporain, il fait aussi partie de ces gens qui roulent en voiture électrique et soutiennent les grandes causes humanitaires. Il prépare sa prochaine exposition, intitulée "The Square", autour d’une installation incitant les visiteurs à l’altruisme et leur rappelant leur devoir à l’égard de leurs prochains. Mais il est parfois difficile de vivre en accord avec ses valeurs : quand Christian se fait voler son téléphone portable, sa réaction ne l’honore guère… Au même moment, l’agence de communication du musée lance une campagne surprenante pour The Square : l’accueil est totalement inattendu et plonge Christian dans une crise existentielle.
Acteurs : Elizabeth Moss, Terry Notary, Claes Bang, Dominic West.
En treize ans et cinq films Ruben Östlund a pris ses marques dans le cinéma suédois. Les spectateurs l’auront vraiment découvert il y a trois ans avec Snow Therapy (Turist) ; (ou Force majeure, son titre pour le Festival de Cannes en 2014). Il jetait un regard cruel et ironique sur les identités masculines. Essentiellement celle de l’homme (et de la famille) suédois. Le rapport entre l’être et le paraître, le dire et le (ne pas) faire, l’image de soi et regard des autres est au centre des longs-métrages de fictions de Ruben Östlund. Depuis ses premiers films Gitarrmongot, De ofrivilliga, et Play, le quadragénaire met le citoyen suédois sous le microscope. Il s’agissait déjà de l’image de l’individu et sa réalité ou conduite propre, son éducation, mais aussi son rapport, sa relation à l’autre, l’étrange, l’étranger ! Il questionne, interroge et met le doigt (ou l’objectif) là où cela fait mal. Et il le fait avec une certaine (auto)dérision et avec (beaucoup d’)humour. Celui-ci frise parfois l’absurde, comme le fait son ainé Roy Anderson, de façon beaucoup plus formelle [à noter que dans De ofrivilliga Happy Sweden (Involuntary) le réalisateur utilise aussi les scènes en plans séquences fixes].
La Palme d’Or de cette année ne déroge pas à la règle, ajoutant un fil conducteur, la critique de l’art contemporain... mais ce qui ne serait, somme toute, qu’une variante sur l’être et le paraître, entre ce que l’on dit et ce que l’on fait. Ainsi, le fameux carré qui serait, en d’autres temps et lieux l’église comme sanctuaire où l’on peut demander le droit d’asile ou encore les "villes-refuge" de l’Ancien Testament où l’on ne pouvait poursuivre un criminel. Ici, le carré est non seulement la délimitation d’un territoire d’asile, mais aussi de solidarité où les droits et les devoirs sont les mêmes pour tous : "Le Carré est un sanctuaire de confiance et de bienveillance. En son sein, nous avons tous les mêmes droits et les mêmes devoirs.". Le directeur du musée d’art contemporain va en faire le clou d’une future exposition/performance, défendant "intellectuellement" l’oeuvre de l’artiste et voulant en faire une publicité étendue. Qu’en sera-t-il lorsque lui-même suite à une succession d’incidents - dont certains indépendants de sa volonté - va être amené à être en totale contradiction avec les valeurs qu’il défend. Entre son paraître et ses dire et son être intérieur et ce qu’il (ne) réalise (pas) ! C’est qu’il dit et ne fait pas. Le coup classique bien entendu, mais exprimé ici de façon remarquable à l’écran dans une succession de tableaux... d’une exposition où des cultures et des discours s’opposent. C’est que s’ajoute aussi, une dimension récurrente chez le réalisateur, le rapport à l’étranger. Entre ceux-ci et une société suédoise bien, très, trop policée, il y a un abîme que même un carré de bienfaisance ne pourra combler.
Avec un humour cruel, Ruben Östlund, parfois aux limites de l’absurde, nous montre un art contemporain et ceux qui s’en gaussent, s’en enrichissent et se pavanent qui ne serait, finalement, que "tas de sable"... ou singeries sociétales (que le singe soit animal ou que l’homme soit animal singe). Jusqu’où vont la bienséance ? La conformité aux normes sociales ? L’accueil de l’autre ? La peur de l’autre ? L’amour et le sexe ? Que garde-t-on pour soi et que l’on ne veut ni montrer ni partager... et qui se retrouve finalement dans une poubelle ? Quelle est la place de la femme, de l’enfant ? Un autre des fils de trame du récit sera celui des nouveaux communicants et l’utilisation des réseaux sociaux ? Jusqu’où peut-on aller pour vendre sa marchandise ? Ces questions-là et bien d’autres sont au coeur d’un film qui risque de déconcerter pas mal de spectateurs dont certains se demanderont s’il méritait la Palme d’Or qui aurait pu, par exemple, être attribuée à Loveless. Nous serions de ceux-là, même si nous ne pouvons que conseiller la vision de ce cinquième opus suédois ne serait que pour son acteur principal, Claes Bang, dans le rôle de Christian quasiment de toutes les scènes et pour celle qui lui donne la répartie dans certaines, Elizabeth Moss. Ajoutons la bande-son et certaines images, envoutantes, ainsi celles prises de la montée des marches d’un escalier... vertigineuse !
Nous vous invitons aussi chaleureusement à compléter cette lecture par celle de la critique que fait Nicolas Gilson sur le site ungrandmoment.be.
Bande annonce (VO)