Synopsis : Ismaël Vuillard fabrique des films. Celui qu’il invente en ce moment est le portrait d’Ivan, un diplomate atypique inspiré de son frère. Avec Bloom, son maître et beau-père, Ismaël pleure encore la mort de Carlotta, disparue il y a vingt ans. Aux côtés de Sylvia, Ismaël s’est inventé une nouvelle vie, lumineuse ; mais un jour, Carlotta, déclarée officiellement morte, revient. Sylvia s’enfuit ; Ismaël rejette Carlotta. Sa raison semble vaciller et il quitte le tournage pour retrouver sa maison familiale à Roubaix. Là, il s’enferme, assailli par ses fantômes. Jusqu’à ce que la vie s’impose à lui…
Acteurs : Mathieu Amalric, Marion Cotillard, Charlotte Gainsbourg, Louis Garrel, Alba Rohrwacher, Hippolyte Girardot.
Un excellent film qui divisera !
Le film d’ouverture du Festival de Cannes ne devrait pas laisser indifférent. Il divisera critiques et spectateurs. Nous avons apprécié le film et c’est peu dire, s’agissant, notamment d’une mise en abime (un genre que nous apprécions), ici un film dans le film. Toutefois, le risque est très grand de se perdre dans le dédale du scénario et de l’intrigue. Et de dédale, justement, vous ne serez pas surpris de découvrir un personnage nommé Dédalus ! Normal, c’était le personnage principal de Comment je me suis disputé... (ma vie sexuelle) (1996) que l’on retrouve près de vingt ans plus tard dans Trois souvenirs de ma jeunesse, préquelle du précité. Pas surpris mais pour éviter d’être totalement perdu, mieux vaut, une fois n’est pas coutume lire le synopsis et plutôt deux fois qu’une. C’est que le film dans le film n’est pas perçu immédiatement comme tel, d’autant que la bande-annonce ne montre rien (à l’heure actuelle) de ce film, tourné en fait par Ismael Vuillard (Mathieu Amalric).
Un dédale pour Dedalus ?
Si vous entrez en salle sans vous renseigner, votre séance (de lutte ?!) risque de virer au cauchemar. D’ailleurs les rêves ou plutôt les cauchemars sont un des éléments important du film, à tel point que l’on peut se demander si le tout n’est pas un immense rêve éveillé d’Ismael. Revenons à Dedalus/Ivan, jeune diplomate, peut-être espion - mais tout cela c’est du cinéma, n’est-ce pas - interprété par un Louis Garrel, quasi méconnaissable avec ses cheveux très courts qui lui donne un physique de post-adolescent.
Absent de l’écran pendant une bonne partie du film à tel point que l’on l’on se demande ce qu’il vient faire dans le récit - si l’on ne sait pas qu’il s’agit d’un personnage de fiction, soit donc le film tourné par Ismaël. Serait-ce son alter ego qu’il met en scène (sans compter qu’Ismaël peut être ici l’alter ego de d’Arnaud Desplechin lui-même) ? Ce peut être une clé de lecture, parmi d’autres, parce qu’il est bien possible que les tableaux de nus de Jackson Pollock en soient une autre. Ce sont des fragments de vie qui éclatent à l’écran. Ce sont des femmes qui font irruption dans la vie d’Ismaël. Sylvia tout d’abord (Charlotte Gainsbourg) qui arrive dans sa vie et est narratrice de l’histoire… ensuite, c’est une autre femme, Carlotta (Marion Cotillard), véritable fantôme du passé… ancienne épouse d’Isamël qui revient après 21 ans, 8 mois et 6 jours ! Elle revient d’entre les morts, Carlotta, jusqu’à donner le vertige [1] à celui qui vit sur le vestige d’une relation (qu’il croyait) perdue à jamais.
Les femmes du réalisateur !
Les femmes ne sont pas les seuls fils de l’histoire. Il en d’autres, des fils tout d’abord qui permettent de visualiser deux écoles de perspectives picturales. D’autres, encore, un père, celui de Carlotta… réalisateur lui aussi. Bloom est interprété par un excellent László Szabó. Agé de plus de 81 ans et qui estime qu’arrivé à son âge, il n’y a plus d’urgence (notamment en matière de santé, mais pas que). Là, dans les interstices de souvenirs de jeunesse : son mariage avec Ismaël, son départ/fuite, son mariage avec un autre homme, là-bas, très loin, en Asie. Le décès de celui-ci, son expulsion et son retour. Un triangle relationnel va se former entre Isamël et ces (ses) femmes. Il fuit son film, ses cauchemars et trouve refuge dans une maison d’enfance. Mais le film tourne dans sa tête, se rappelle à lui. Il le joue, le met en scène avec son corps. Ivan, son acteur, son héros, son héraut ?, est mélancolique c’est l’espion qu’il aimait et qu’une femme aime (Arielle/Faunia, interprétée par Alba Rohrwacher). Toutes ses relations s’entrecroisent entre vie réelle et vide fiction (le film tourné par Ismaël), les femmes entre-elles, les relations d’Ismaël avec Bloom mais aussi avec son frère... et l’écho en miroir dans la mise en abîme. Les dialogues sont à la fois ciselés et en décalage par rapport au réel, comme venant d’un univers romanesque et/ou onirique.
Si tous les critiques n’ont pas apprécié ces fantômes, ce n’est pas notre cas et c’est avec plaisir que nous renvoyons à la lecture qu’en fait Nicolas Gilson (RTBF-Musq3) sur son site Un grand moment de cinéma (ou pas)...