Synopsis : Emilie Tesson-Hansen est une jeune et brillante responsable des Ressources humaines, une « killeuse ». Suite à un drame dans son entreprise, une enquête est ouverte. Elle se retrouve en première ligne. Elle doit faire face à la pression de l’inspectrice du travail, mais aussi à sa hiérarchie qui menace de se retourner contre elle. Emilie est bien décidée à sauver sa peau. Jusqu’où restera-t-elle corporate ?
Acteurs : Céline Sallette, Lambert Wilson, Stéphane De Groodt, Violaine Fumeau
Corporate est le premier long métrage de Nicolas Silhol qui avait réalisé deux courts auparavant L’amour propre en 2010 et Tous les enfants s’appellent Dominique en 2008. Sorti en France depuis le 5 avril, soit durant la période électorale présidentielle, il sortira chez nous après ces élections hexagonales. Ce n’est pas que le film aborde cette question, mais que les thèmes qu’il aborde de façon frontale (!) touchent à des enjeux de société qui furent abordés - ou évacués - lors de la campagne et des débats. Nicolas Silhol réalise un film dont il précise dès l’ouverture qu’il ne s’agit pas d’une histoire vraie, mais que les pratiques dont il est question existent bel et bien dans la société.
C’est que le réalisateur est intéressé par les rapports humains dans l’entreprise. Normal puisque son père est père est non seulement professeur de management en école de commerce, mais également consultant en Ressources humaines. s’ils ont eu l’occasion d’échanger sur ces thèmes, ce sont des événements dramatiques en France qui vont le marquer. Il s’agit de la vague de suicides chez France Telecom. Nicolas Silhol avait été choqué par la réflexion du PDG qui déclarait qu’il fallait mettre un terme à cette "mode du suicide" !
S’il y a bien un suicide dans l’intrigue du film qui en est un des éléments moteurs, ce sont d’autres axes qui seront développés par le réalisateur et son coscénariste. Ainsi le thème de la responsabilité : jusqu’où va celle-ci, peut-on remonter plus haut et jusqu’où... et, à l’inverse, sur qui peut-on faire retomber celle-ci ? Ce sera tout l’enjeu qui pèsera sur les épaules d’Emilie, la Gestionnaire des Ressources humaines, brillamment interprétée par Céline Sallette, détestable à souhait à certains moments. Elle fait corps avec son entreprise, y est... incorporée. Sa vie privée avec un mari anglais est quasi au second plan de son dévouement sans bornes et sans questions à sa société. Lambert Wilson incarne le boss qui refuse toute responsabilité. Ce n’est pas caricatural, mais il faut noter que le point de vue du patronat est (quasi absent) puisque le regard proposé l’est depuis le personnel et les externes à la firme.
Face à Emilie, Marie Borrel, une inspectrice du travail (et il faut remercier les scénaristes d’en avoir fait un personnage "positif", notamment en en montrant l’importance dans les enjeux de Société (et des sociétés - firmes - pour jouer sur le mot). Elle est interprétée par une actrice peu connue, Violaine Fumeau - qui déjà joué dans les deux courts de Nicolas Silhol - ce qui permet d’avoir un personnage "neutre" de sa notoriété d’acteur. Le réalisateur précise : "J’ai pris beaucoup de plaisir à construire le personnage de Marie Borrel, l’inspectrice. C’est un corps étranger et libre qui débarque dans l’entreprise. Comme un chien dans un jeu de quilles ou plutôt comme un courant d’air qui vient faire claquer les portes. Elle va où elle veut, elle parle comme elle veut, elle fait celle qui ne comprend pas, elle dérange… Avec Nicolas Fleureau, mon coscénariste, on pensait souvent à Columbo !".
C’est d’ailleurs tout l’intérêt du film. Outre les questions morales et éthiques qui sont posées par rapport au suicide, d’une part, et aux directives d’entreprise (faire en sorte que le salarié quitte l’entreprise de lui-même, après lui avoir pourri la vie, et l’amener à penser et dire que c’est un choix personnel qu’il fait - pour son bien !), d’autre part, s’ajoute une dimension thriller. Que va faire l’inspectrice dans l’entreprise et jusqu’où ira-t-elle ? Qui va-t-elle interroger ? Quels documents va-t-elle utiliser ? Nous la voyons également sur le terrain (accompagnée d’Emilie) au sommet d’un immeuble en construction pour défendre la législation, mais plus encore la sécurité des travailleurs. Emilie pourra ainsi découvrir (dans une scène où le suspens est présent et presque angoissant) que Marie Borrel est une femme sûre et qui veut le bien des travailleurs.
Mais Emilie pourra-t-elle sortir des impasses dans lesquelles elle se trouve, des pièges qu’on lui temps ? Quels risques doit-elle prendre pour assurer un avenir et une reconnaissance pour ceux et celles qui sont spoliés... et là, on ne va pas spoiler évidemment. Si le film est classique dans sa forme, il joue cependant sur les cadres... ceux qui travaillent en entreprises si l’on veut du premier degré, mais surtout celui des bâtiments dans lesquels travaillent des humains que l’on déshumanise... et également le cadre de l’image dans lequel le réalisateur enferme ses personnages pour mieux les cerner ; en revanche, hors de ce cadre, à l’extérieur, les images sont filmées caméra à l’épaule et la musique est plus libre, plus proche de l’inspiration jazzy d’Alexandre Saada. Plus douce aussi alors qu’à l’intérieur "elle arrive en soutien dramatique, de manière assez classique, pour instaurer de la tension autour de l’enquête".
Les personnages secondaires apportent une densité supplémentaire au récit, en particulier Stéphane De Groodt, tendre et émouvant, bienveillant à l’égard d’Emilie tandis que son mari (joué par Charly Anson, Downton Abbey) prend la vie du bon côté, ne s’en fait pas : « Shit happens… Ça arrive. », même si, dans un tête à tête - en forme de mime d’entretien d’embauche - une fragilité apparaît chez lui, et plus encore chez Emilie. Un film à recommander en particulier pour sa mise en exergue des dangers d’un déshumanisation ici et ailleurs lorsque seuls comptent les impératifs économiques.
Bande-annonce :