Synopsis : 1865, tout au nord de l’Angleterre : prisonnière d’un mariage arrangé dénué d’amour avec Alexander, âgé de plus de 40 ans, Katherine, 17 ans, passe ses journées avec sa servante Anna dans les pièces étouffantes d’une grande maison de campagne. Elle n’a presque aucun contact avec le monde extérieur. Lorsque son époux part un jour en voyage, Katherine fait ses premiers pas vers la liberté. Pendant une excursion à travers les paysages époustouflants des terres de son mari, elle fait la connaissance de Sebastian, signant le début d’une relation tumultueuse, bientôt perçue d’un mauvais œil par son entourage. Or, Katherine s’enflamme d’une passion débridée que rien ne peut arrêter, même pas le sang…
Lady Macbeth est l’histoire dramatique d’une femme aussi passionnée que sans scrupules, capable de sacrifier le bonheur acquis (ci-contre, le visuel français).
Acteurs : Florence Pugh, Cosmo Jarvis, Naomi Ackie, Paul Hilton
Grand Prix et Prix de la Meilleure actrice lors du Festival de Valenciennes 2017.
Avant la jeune dame !
William Oldroyd, un réalisateur inconnu au bataillon oserais-je écrire, même en fan de courts-métrages. C’est que après deux courts, Christ’s Dog (2011) et Best (2013) [1], il n’avait réalisé la même année qu’un seul long-métrage expérimental, en (très beau) noir et blanc, intitulé In Mid Wickedness. Le trailer laissait augurer un auteur d’exception pour le peu que l’on puisse voir de ce film "de festival" comme l’on dit, et projeté (au moins ?) dans celui de Tbilisi en décembre 2013.
Autant dire que sans y aller avec des pieds de plomb et n’ayant d’autre chose à l’esprit que la femme perfide de Macbeth dans Shakespeare, il n’y avait rien de particulier à attendre de ce film, sinon qu’à le regarder "par sens du devoir" ! Au sortir de la salle, c’est quelque chose de magistral que je venais de voir ! Depuis, j’ai appris que William Oldroyd, et Alice Birch, la scénariste, "se sont tous deux fait un nom au théâtre à Londres, avant d’arriver au cinéma. William Oldroyd a travaillé comme metteur en scène au sein du Young Vic Theater de Londres et à la Royal Shakespeare Company (RSC). Alice Birch a, quant à elle, été dramaturge pour la Court Royal et pour la Royal Shakespeare Company (RSC)".
Shakespeare ? Pas vraiment !
En réalité, ce n’est pas du Shakespeare que William Oldroyd adapte, mais un roman écrit par l’écrivain et journaliste russe Nikolaï Semionovitch Leskov en 1865, Lady Macbeth du district de Mtsensk. Alice Birch avait lu ce livre et estimait que certains thèmes méritaient d’être adaptés au cinéma [2]. Cela avait déjà été fait par Andrzej Wajda, en 1961 Sibirska Ledi Magbet (Lady Macbeth sibérienne). Par ailleurs, trente-trois ans plus tard, en 1994, Valeri Todorovski avait fait de même avec son film Katia Ismailova (Podmoskovnye vechera). Avant cela, il y avait eu à l’opéra la célèbre adaptation de Dmitri Chostakovitch en 1934... célèbre également car elle fut interdite de représentation durant trente ans par les autorités soviétiques après sa vision par Staline : "Les protagonistes, livrés à la luxure et assassins, étaient peu compatibles avec son souci de promouvoir la famille soviétique. De même, le thème de l’opéra, à savoir la prise en main de son propre destin par une femme jusqu’ici passive, n’avait rien pour plaire au dictateur." (source Wikipedia).
De la jeune Russe à la lady anglaise !
Lady Macbeth, c’est un peu Madame Bovary en Russie qui s’exile en Angleterre. Le réalisateur et la scénariste transposent d’excellente façon cette histoire d’une femme condamnée à être subalterne, au service de son mari et des hommes de la famille en général et que la quête d’autonomie et d’amour va conduire à des situations dramatiques et même à un meurtre. A l’époque la femme n’avait rien à dire, sinon obéir (soit littéralement "écouter" [3]). Ici, Katherine, devenue anglaise par la magie de l’adaptation - excellente - veut devenir indépendante, veut aimer qui elle veut - puisque son mari la délaisse et, possiblement impuissant, se contente d’elle comme icône pour s’accorder difficilement un plaisir solitaire - prendre son destin en mains, le gérer, le planifier jusqu’à ce que parfois, la mort s’ensuive. Difficile d’en dire plus sans gâcher le ’plaisir’ glauque de voir l’évolution de ce personnage. C’est que le spectateur passera de l’empathie - même si elle est colorée d’une vision contemporaine de la femme et de ses droits - à l’horreur, la répulsion et la révulsion !
Un grand film et de bons acteurs pour un petit budget !
Florence Pugh excelle à donner corps à cette innocente jeune fille que l’on voit se transformer en une femme capable de faire des choses monstrueuses. Le réalisateur l’avait découverte dans The Falling de Carol Morley (2014) où elle l’avait impressionné. De son rôle de Katherine, il ajoute : "Ce qu’elle fait est mal, mais, malgré tout, le spectateur ressent de la sympathie pour elle et veut qu’elle réussisse.”. Le reste du casting est à la hauteur du jeu de Florence Pugh, ainsi Naomi Ackie, qui vient du théâtre joue le rôle d’Anna condamnée au mutisme ou encore Paul Hilton - qui lui aussi vient, notamment, théâtre - dans le rôle d’Alexander, le mari de Katherine et enfin Christopher Fairbank dans le rôle du patriarche et tyran qui désespère de voir sa belle-fille lui donner un héritier. Enfin, il y a aussi Cosmo Jarvis dans le rôle de Sebastian, le palefrenier dont Katherine va s’éprendre pour le meilleur et le pire ! A l’arrivée c’est un petit bijou que le (petit) budget du film (moins de six cent mille euros) ne pouvait laisser augurer ! “Je savais qu’il était possible de faire un film d’époque avec un petit budget. Nous n’avions pas les possibilités de nous offrir de grands extérieurs ni des scènes avec beaucoup de figurants. Nous nous sommes donc concentrés sur la psychologie d’un groupe de personnages vivant en 1865.” Et le peu de personnages est compensé par un autre, la maison, immense et vide dans laquelle ceux-ci déambulent.
Une erreur de sous-titrage...
Une remarque "professionnelle" pour le fun ! Derrière, le critique, il y a le prêtre qui n’a pu que tiquer dans l’adaptation d’un dialogue en sous-titre français. Lorsque le beau-père de Katherine lui dit (en anglais) que la seule chose qu’elle doit faire c’est "de lire son livre de prières" ces mots sont sous-titrés en "dire votre chapelet" ! Cela pouvait passer dans l’Eglise orthodoxe, mais pas dans l’anglicanisme qui n’est pas spécialement féru de dévotion mariale !
Pour en savoir plus...
1. Biographie des acteurs
2. Quelques liens pour prolonger la réflexion
Catherine Géry a étudié l’oeuvre littéraire de Nicolas Leskov. Elle a participé en décembre 2001 à un colloque international sur le thème "La femme dans la modernité russe". Ceux qui souhaitent par plaisir, par goût de la littérature et/ou souhaitent cheminer sur les passerelles entre les films et les oeuvres qu’ils adaptent trouveront (ou pas) leur bonheur en suivant ces liens :
- Un entretien avec Catherine Géry sur Vox-Poetica : "Nicolas Leskov, entre tradition et modernité".
- Un article d’Anita Coppet(janvier 2015) qui apporte quelques précisions sur le skaz, un des principes de narration du roman de Leskov
- à prolonger par cet article de 2011, consacré au "skaz et la vive voix" !
- et à conclure par cet ouvrage remarquable Crime et sexualité dans la culture russe (à propos de la nouvelle de Nikolaï Leskov "Lady Macbeth du district de Mtsensk" et de ses adaptations) écrit par Catherine Gery.