Synopsis : En 2005, Billy Lynn, un jeune Texan de 19 ans, fait partie d’un régiment d’infanterie en Irak victime d’une violente attaque. Ayant survécu à l’altercation, il est érigé en héros, ainsi que plusieurs de ses camarades. Et c’est avec ce statut qu’ils sont rapatriés aux Etats-Unis par l’administration Bush, qui désire les voir parader au pays... avant de retourner au front.
Acteurs : Joe Alwyn, Vin Diesel, Kristen Stewart, Garrett Hedlund, Steve Martin, Chris Tucker.
Une critique qui s’écrira à la première personne pour un film dont j’assume de le considérer comme un grand film et l’un des meilleurs de Ang Lee, contrairement à d’autres confrères qui ont été au mieux déçus.
L’Irak, l’Amérique et ses GI’s !
Le réalisateur taïwanais traite ici d’un sujet difficile pour des Américains et qui a encore des conséquences internationales aujourd’hui : la guerre en Irak, mais également l’ambiguïté des USA, du peuple américain et des autorités par rapport à "ses" soldats qu’elles envoient ainsi sur ses divers fronts. Je garde toujours à l’esprit le très remarquable documentaire La section White réalisé par Yuri Maldavsky et Timothy Grucza en 2004 [1]. Les réalisateurs suivaient quatre militaires durant un an, comme journalistes intégrés à la division. Le sergent Aljami dénonce notamment et face caméra, l’état-major américain : "Ils posent leur putain de cul sur une chaise et décident pour rien qu’on restera ici.". Ce documentaire m’est revenu en mémoire pendant et après la vision du dernier et remarquable film d’Ang Lee à qui l’on doit, notamment Brokeback Mountain, Lust, Caution ou Taking Woodstock et si je n’avais pas été emballé par Life of Pi qui fut un grand succès de salle, je retiens aussi The Wedding Banquet ou Salé sucré !
Adaptation d’un roman
Ang Lee adapte le roman Billy Lynn’s Long Halftime Walk, publié en 2012 par Ben Foutain (et pour lequel l’auteur a obtenu la même année le National Book Critics Circle Award). Le livre avait été bien accueilli par la critique. Ainsi André Clavel terminait la sienne (source) dans l’Express en janvier 2013 par ces lignes : "Un roman impitoyable, au bout duquel Ben Fountain pose cette question : ’Existe-t-il un point de saturation, un nombre de morts suffisant qui finira par briser en mille morceaux le rêve d’Amérique ?’" (on pourra lire le début du roman à la fin de cet article).
C’est en 2004, pendant le match de Thanksgiving des Cowboys de Dallas contre les Bears de Chicago que ben Foutain avait été sensible à cette opposition entre l’événement festif et la présence des militaires de retour d’Irak : "Nous avions des invités à la maison pour le traditionnel dîner de Thanksgiving et nous regardions le match à la télévision. A la mi-temps, je me suis retrouvé seul devant l’écran. Mais je suis resté et j’ai commencé à regarder. C’était très similaire à ce que je décris dans le livre : un mélange surréaliste et assez psychotique de patriotisme, d’exceptionnalisme américain, de musique pop, de porno soft et de militarisme avec d’innombrables soldats au garde-à-vous sur le terrain, lever de drapeau et feux d’artifice. C’était le truc le plus dingue que j’avais jamais vu, mais tout le monde semblait trouver ça normal, que ce soient les présentateurs télé ou les spectateurs. La présence de tous ces soldats sur le terrain m’a conduit à m’interroger sur ce que l’on pouvait bien ressentir lorsqu’on a été au combat, qu’on a été rapatrié aux États-Unis et qu’on se retrouve confronté à une situation aussi artificielle."
Manipulation et propagande !
Ben Foutain est également producteur associé d’un film qui n’use d’aucune métaphore selon Kristen Stewart, dépeint une forme de souffrance et d’éloignement qui naît avec des situations difficiles à comprendre pour ceux qui ne les ont pas vécues. Que se passe-t-il lorsqu’un soldat revient au pays et qu’il n’est plus le même ? Comment est-il perçu chez lui ? Comment le comprendre et comment se comprend-t-il ? Selon Joe Alwyn (extraordinaire de présence dans ce premier rôle au cinéma du jeune acteur qui vient du théâtre) le film joue sur les thèmes de la propagande et de la manipulation, de l’instrumentalisation des soldats à la fin de la guerre alors que chacun veut s’accaparer une part de leurs mérites.
Ce jour dans la vie de Billy est aussi celui durant lequel il est confronté à une alternative : sa soeur Kathryn (Kristen Stewart) - qui ne veut pas le perdre - lui ouvre une piste pour rester au pays, profitant de son statut de héros pour négocier de ne pas retourner sur le front tandis que Faison Zorn (Makenzie Leigh) une jeune pom pom girl, évangélique active, va titiller le coeur du jeune puceau Billy et faire valoir sa fibre patriotique. Billy sera cet homme, ou plutôt ce jeune homme qui part à la guerre pour échapper à une peine de prison suite à une c*nnerie d’adolescent. Il revient au pays après un fait de guerre qui a été filmé et est passé en boucle sur CNN et Youtube où il apparaît ainsi comme un héros malgré lui. Alors qu’ils reviennent au pays avec la dépouille de son supérieur et frère d’armes qu’il n’a pu sauver, l’Amérique veut le mettre en avant avec ses compagnons dans un spectacle lors d’un match national de baseball.
Montrer pour démontrer et écarter !
Si le film n’est pas un biopic (cf. supra), une histoire vraie, le roman met cependant en scène, justement cette mise en scène, cette appropriation des soldats qui sont des marionnettes dans les mains des gens du spectacle, des médias (et probablement du politique). Ang Lee filme très bien ce contraste entre ces deux mondes, mais également le décalage entre le terrain là-bas et celui qu’ils retrouvent ici. En même temps, ils font tache, dérangent dans un spectacle formaté de longue date et dans lequel il n’y a pas vraiment place pour eux. Ils sont là de trop et l’on ne sait que faire d’eux. Le public fantasme sur eux pour le meilleur et surtout pour le pire alors que les costauds du service de sécurité ne rêvent que de leur casser la figure.
Des images très réalistes
Tout le talent d’Ang Lee est d’avoir engagé Mark Watcher comme consultant militaire pour le conseiller. En 2004, il était membre de la première division d’infanterie en Irak. Par ailleurs, le tournage des scènes de guerre n’a bien entendu pas eu lieu en Irak, mais au Maroc, près de la frontière saharienne. Le chef décorateur Mark Friedberg a intégré le décor dans un village existant : "Le décor que nous avons construit pour la bataille a été intégré à un vrai village. En raison de la nature de la scène, avec ses tirs d’armes à feu et ses explosions, nous ne pouvions pas tourner dans de vraies maisons. Nous avons cependant collaboré avec des villageois que nous avons engagés pour qu’ils nous aident à construire des structures en terre dans le style de celles existantes, ce qui était une première pour nous, mais était nécessaire pour une question d’authenticité". Si l’on peut noter également les moyens techniques que le réalisateur s’est donné pour certaines scènes (tournage du film en 120 images par seconde, résolution 4K et 3D) c’est aussi la minutieuse et longue préparation physique et technique qu’il faut mettre en avant et qui sert le réalisme des images lorsque Billy se souvient de façon récurrente de ces événements de guerre qui viennent perturber sa mémoire ou entrer en consonance/dissonance par rapport à une autre guerre, médiatique celle-là dans laquelle il est embarqué malgré lui.
L’acteur principal précise ainsi dans une interview qu’il s’est préparé pendant plusieurs semaines avec six autres acteurs dans un camp militaire d’Atlanta en Georgie, dirigé par des vétérans, à l’écart du "monde". Un entrainement intense et dur qui les a poussés dans leurs derniers retranchements et leur a ouvert les yeux. L’acteur en a acquis un grand respect pour les soldats, leurs épreuves, après que les membres de ce camp leur on partagé de leur expérience sur le terrain. Outre l’entrainement très physique, ils ont appris à manipuler les armes ainsi que les tactiques militaires, l’important sens du "collectif" pour qu’ils puissent se comporter comme une véritable unité. Bien sûr, tout cela a donc permis de rendre très crédibles et réalistes les scènes de guerre et combat, mais il faut ajouter avant tout la prestation extraordinaire du tout jeune acteur débutant Joe Alwyn qui est quasiment de toutes les scènes qu’il habite de façon hallucinante avec force et fragilité, criant de vérité ce rôle d’un homme à l’émotion contenue dépassé par des enjeux qui ne sont pas les siens et en même temps pas dupe de certains pièges qu’on lui tend ! On retiendra aussi la présence de Steve Martin dans le rôle de Norm Oglesby, et celle de Vin Diesel dans celui de Shroom dont on ramène le corps au pays. Toutefois, mais cela ne nuit pas au film, l’acteur semble plus être présent pour son nom au générique du film face à l’inconnu Joe Alwyn pour le public.