Synopsis : Deborah Lipstadt, historienne et auteure reconnue, défend farouchement la mémoire de l’Holocauste. Elle se voit confrontée à un universitaire extrémiste, avocat de thèses controversées sur le régime nazi, David Irving, qui la met au défi de prouver l’existence de la Shoah. Sûr de son fait, Irving assigne en justice Lipstadt, qui se retrouve dans la situation aberrante de devoir prouver l’existence des chambres à gaz. Comment, en restant dans les limites du droit, faire face à un négationniste prêt à toutes les bassesses pour obtenir gain de cause, et l’empêcher de profiter de cette tribune pour propager ses théories nauséabondes ?
Acteurs : Rachel Weisz, Tom Wilkinson, Timothy Spall, Andrew Scott, Alex Jennings.
Une histoire vraie
Dès l’ouverture du film, nous avons droit au classique "tiré d’une histoire vraie" tandis que le générique final précise qu’il a fallu condenser, adapter et réduire certains éléments de ce procès.
Un petit tour sur les moteurs de recherche en apprendra un peu plus sur ce procès qui avait marqué les esprits au début de l’année 2000 parce qu’il avait un enjeu sous-jacent lié à la liberté d’expression. L’historienne américaine Deborah Lipstadt, née à New York en 1947, professeure d’études juives à l’université Emory "est l’auteur de travaux reconnus sur le négationnisme dont un ouvrage intitulé Denying the Holocaust (1993), pour lequel elle fut poursuivie en justice en même temps que son éditeur Penguin Books par l’auteur britannique David Irving qu’elle désignait comme négateur de la Shoah. Le procès eut lieu à Londres et débuta le 11 janvier 2000 pour se terminer le 11 avril 2000 sur un verdict favorable à Lipstadt et son éditeur. Le juge Charles Gray chargé de l’affaire estima Irving coupable d’avoir délibérément manipulé des faits historiques à des fins idéologiques personnelles (« for his own ideological reasons [David Irving] persistently and deliberately misrepresented and manipulated historical evidence ») [...] David Irving a été entièrement ruiné, les frais de justice s’élevant à deux millions de livres sterling versés à Deborah Lipstadt et à Penguin books. Il a dû vendre sa maison et tous ses biens." Source.
Mick Jackson adapte le livre History on Trial : My day in Court With a Holocaust Denier écrit par Deborah Lipstadt en 2005.
Le procès du siècle ?
Mick Jackson, plus connu pour son travail dans le milieu des séries télévisées, avait cependant réalisé Bodyguard en 1992. Depuis plus rien au cinéma si ce n’est le confidentiel The First $20 Million Is Always the Hardest en 2002 (le film n’est pas sorti en France ou en Belgique). Autant dire que l’on pouvait s’attendre en entrant dans la salle à un énième banal et conventionnel film de procès. Et c’est tout le contraire auquel j’ai assisté. C’est un grand film, une histoire vraie édifiante qui est portée à juste titre à l’écran parce qu’il s’agit d’une juste cause. C’est loin d’être équivalent un téléfilm comme je l’ai lu dans une critique outre-Atlantique. Et s’il fallait se tourner vers la télévision, ce pourrait être transposé plus tard en mode "minisérie" comme savent le faire si bien les Anglais et la BBC. C’est que tant le scénario que la réalisation sont exemplaires. Quant aux acteurs, leur interprétation est de tout premier ordre.
Comme me le confiait un confrère de la presse nationale après la projection, c’est un film que les professeurs devraient voir et revoir avec leurs étudiants tant il interpelle et pose des questions. Certes, outre l’affaire et son épilogue connus et médiatisés à l’époque, ce sont les questions soulevées, ouvertes, voire fermées par ce jugement et notamment : jusqu’où va la liberté d’expression ? Peut-on exprimer ce que l’on pense mal ou à tort, ce qui est faux quand on croit que c’est vrai ? C’est aussi un procès de mémoire, celui de l’Holocauste comme on le nomme dans le film. C’est celui du refus de l’oubli et du refus du déni. C’est celui du droit à la parole pour les victimes et les morts. Comment faire entendre la souffrance de six millions de Juifs (sans compter les autres bien sûr, tziganes, homosexuels dont il n’est pas question dans Denial, mais qui font partie de cette mémoire vive !).
Le droit, la parole, le silence !
Nous avons tellement été habitués aux films de procès américains dont on retient surtout le fameux "objection, votre Honneur" que la confrontation au droit anglais nous surprend autant que Deborah Lipstadt. Ce sera non seulement une autre culture - dont la sienne est toujours en contestation de celle dont elle est originaire "Je suis américaine, je ne baisse pas la tête !" dira-t-elle à un de ses avocats lorsqu’il lui est demandé de l’incliner comme le protocole de la Cour l’exige. Ce sont deux cultures qui s’affrontent et autant cela était amusant dans la série The Persuaders ! (Amicalement vôtre), autant la densité est présente lors de tous les moments clés du film, du procès, de sa préparation, de son déroulement.
Ce sont donc deux conceptions de la société et du droit en particulier qui nous sont données à connaître. Deborah devra modifier complètement son point de vue, assurée de son bon droit. Elle sera confrontée à d’autres règles dont l’une l’oblige à prouver ce qu’elle affirme, à savoir l’existence de chambre à gaz et le fait qu’Hitler a bien demandé l’extermination des Juifs, contre son détracteur qui affirme, lui, que rien ne le prouve. Le spectateur est alors lui aussi confronté à cela : mais oui, quelles sont les preuves ? Pour rhétorique qu’elle soit, la question est aussi insidieuse que séditieuse. Il ne reste que des bâtiments bombardés, des photos sujettes à interprétation, peu ou pas d’écrits qui font force de loi. Et c’est bien ce sur quoi s’appuient aujourd’hui nombre de négationnistes dont certains se parent des plumes du statut d’historien. Celui que revendique justement Irving. Et justement celui-ci se targue de mettre à mal le seul argument qui aurait toute authenticité, le témoignage oculaire. L’on en sait l’importance dans le droit américain et, à la grande surprise de la défenderesse, tout est fait par ses défenseurs pour ne pas les appeler à la barre. C’est que, malgré toute l’émotion et l’empathie que les témoins d’alors peuvent susciter, rien n’est plus fragile qu’un témoignage (et l’ancien officier de police judiciaire que je suis sait ce qu’il en est !). Déborah ne peut comprendre cette ligne de défense que lui proposent voire imposent ses défenseurs : faire parler les témoins c’est la certitude assurée de perdre le procès. Se taire ou ne pas se taire serait-il un des enjeux de ce procès ?
La présence des absents !
Au-delà de la surprise de la découverte de deux conceptions du droit que tout oppose tout autant que notre propre conception du droit à la française, il y a bien plus important, l’importance de la parole (dans la droite ligne des travaux de la philosophe juive Hannah Arendt dans La condition de l’homme moderne) en tant que fondatrice et constitutive de ce qui fait notre humanité. Ce n’est pas par des investigations policières que les avocats de Deborah vont faire surgir la vérité à la fois judiciaire et historique, mais par la parole. C’est ici, littéralement que le verbe se fait chair, donnant corps et voix à ces chairs, ces corps dénudés, dépouillés, gazés et incinérés ! Ceux que l’on ne voit évidemment pas lors du passage à Auschwitz de l’équipe de Déborah, mais que l’absence rend douloureusement présents à leur et notre mémoire.
Silence et parole
Un des enjeux de ce procès sera donc lié à la parole "performative" (puisqu’elle portera ses fruits lors du verdict) des défenseurs de Déborah. A l’opposé, celle-ci devra se taire, taire sa parole, taire celle des rescapés qui sollicitent de se faire entendre, donc de prendre la parole ou que, du moins, celle-ci puisse se faire leur "porte-parole", leur porte-voix ! Ce ne sont donc pas des effets de manche ou des retournements de situation qui vont être autant de rebondissements dans ce tribunal, mais la réalité d’une humanité, d’une parole humaine qui ouvre à la vérité qui éclairera le monde et surtout l’unique juge sur les épaules duquel repose une terrible décision à prendre. Non seulement dire la vérité de l’Holocauste dont il a la certitude malgré l’absence de preuves juridiques et matérielles sûres, mais également ébranler un droit humain tout aussi fondamental, celui du droit à la liberté d’expression. Dure et difficile décision à prendre. Le film permet de découvrir quelques-uns des enjeux et des difficultés pour qu’un verdict puisse être proclamé après plusieurs semaines de réflexion. Pour qu’un verdict puisse résonner aux oreilles alors même que les pages blanches des presque trois cents feuillets des attendus du procès se concluaient par un seul titre "sentence", verdict donc. Et si le spectateur, du moins celui qui était attentif au printemps 2000, connait celui-ci, c’est avec le soulagement d’un long suspens qu’il peut s’apprêter à l’entendre de la bouche du juge.
Et plus encore, c’est avant que celui-ci soit prononcé que Déborah, après avoir fait tout un chemin dans les arcanes judiciaires anglais pourra, avec tous ceux qui sont réunis dans le tribunal, incliner la tête à l’arrivée du juge !
Au tour du spectateur d’incliner la tête devant les protagonistes de cette histoire vraie, à commencer la la qualité du travail, des images, du cadrage, de la mise en scène de Mike Jackson. Ensuite pour l’engagement, la performance et la justesse des acteurs au service de leurs rôles et en particulier, outre les seconds et "petits rôles" excellents, Rachel Weisz (Deborah Lipstadt), Andrew Scott (Anthony Julius) qui fut une voix, Donal, dans Locke), mais que l’on a vu aussi dans Pride, Jimmy’s Hall, Tom Wilkinson (Richard Rampton) ainsi que l’excellent Timothy Spall (Mr Turner) qui doit jouer le rôle de David Irving (antagoniste ici exécrable à souhait).