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CINECURE
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Barry Jenkins
Moonlight
Sortie le 1er février 2017
Article mis en ligne le 20 janvier 2017

par Charles De Clercq

Synopsis : Le passage à l’âge adulte d’un jeune homme, Chiron, pendant l’ère de la guerre contre la drogue à Miami.

Acteurs : Trevante Rhodes, Naomie Harris, Janelle Monáe, Mahershala Ali, Shariff Earp, Duan Sanderson.

Moonlight est un film "noir", entendons "de blacks" car je joue sur les mots. Il n’y a que des "Afro-Américains" comme l’on dit qui jouent dans le film... tout comme il n’y a que des blancs dans American Honey. Il est cependant noir, parce que sombre, violent parfois, même si des moments de tendresse émergent. Moonlight c’est bien plus que ce que l’on trouve ci-dessus dans l’unique ligne du synopsis. c’est avant tout une histoire qui dure, se déroule sur vingt ans et qui permet de suivre la vie d’un black enfant, adolescent, adulte. Il est aussi gay, homo, différent. Cela se trouve en fil conducteur ténu du film, de façon soft, sans en faire un film de propagande, mais simplement que cela ajoute une double peine : celle d’être noir et d’être homo. Doublement rejeté et condamné : par la société, par les siens. Comment trouver sa place et son identité ? Adaptant une pièce de théâtre (In Moonlight Black Boys Look Blue du dramaturge Tarell Alvin McCraney), Jenkins découpe son récit en trois périodes avec trois acteurs excellents qui incarnent Chiron : Alex R. Hibbert, Ashton Sanders et Trevante Rhodes. Et black, c’est aussi son surnom donné par et chez les Afro-Américains. Et si, dit-on, chez les gays, seuls eux-mêmes peuvent s’appeler "pédés" sans que cela soit de l’ordre de l’insulte, ici, ce mot black, employé par ceux-là même qui sont la cible du poids de l’injure qui résonne avec une violence fondamentale. Je renvoie ici au travail de Didier Eribon, philosophe et historien des idées, dans la lignée de Michel Foucault, sur l’insulte dans Une morale du minoritaire (Paris, Fayard, 2001, 339 pages) [1].

Ce sont trois âges de la vie dans un quartier défavorisé de Miami. L’histoire de Little, un enfant qui se sent différent sans pouvoir le définir, sans avoir les mots pour le dire à sa mère droguée ou aux autres, sinon en employant les mots insultants pour caractériser ce qui le différencie. Un enfant qui compensera l’absence d’un père en rencontrant Juan, un dealer, qui le prendra sous son aile "paternelle", alors qu’il tente d’échapper à des brutes de sa cité. Lui, en mentor, et sa copine Teresa assureront au jeune "little" un havre de paix, un endroit où penser et panser ses plaies ! Déjà là vont se former son destin et son identité.

Le deuxième âge, celui de Chiron, nous le montrera adolescent, découvrant plus encore avec beaucoup de tendresse sa sexualité avec son condisciple Kevin (des images ici tout en extrême pudeur et retenue). La relation avec sa mère Paula va se détériorer et la perception de sa différence par ses condisciples va entraîner de graves conséquences et une trahison après un incident dans une cour de récréation.

Le troisième âge, c’est celui de... Black, adulte... et dealer. Il vit sur le souvenir de son échec amoureux, de son impossibilité de dire, montrer ses sentiments, ce qu’il "compensera" en devenant un "dur" dans la cité. Jusqu’à ce qu’un jour, il lui sera donné de retrouver la trace de Kevin, son amour tendre et pur d’ado. Mais Kevin est désormais marié et père. Comment gérer cela ? Comment vivre la culpabilité ? Comment exprimer l’amour ? Et peut-on être partagé entre un homme et une femme ?

A plusieurs reprises, le film a fait penser à un thème déjà abordé en 2004 par Michael Mayer dans A Home at the End of the World (La Maison au bout du monde) avec Colin Farrel et Robin Wright Penn (film découpé aussi en plusieurs "âges") et tout récemment dans le film Even Lovers Get the Blues de Laurent Micheli.

Par ailleurs s’il s’agit bien d’un récit initiatique, c’est bien plus que l’histoire d’un noir & homo. C’est quelque chose qui est universel : comment vivre et gérer le sentiment d’être ou de se sentir différent ? Si Moonlight reçoit des critiques très positives outre-Atlantique, il faut préciser ici que l’accueil est bien plus réservé chez certains de mes confrères critiques de cinéma.



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