Synopsis : Ce travail de citoyen et d’espion, d’explorateur et de peintre, de chroniqueur et d’aventurier qu’ont si bien décrit tant d’auteurs, de Casanova à Gilles Perrault, n’est-ce pas une belle définition du métier de cinéaste que l’on a envie d’appliquer à Renoir, à Becker, au Vigo de l’Atalante, à Duvivier, aussi bien qu’à Truffaut ou Demy. A Max Ophuls et aussi à Bresson. Et à des metteurs en scène moins connus, Grangier, Gréville ou encore Sacha, qui, au détour d’une scène ou d’un film, illuminent une émotion, débusquent des vérités surprenantes. Je voudrais que ce film soit un acte de gratitude envers tous ceux, cinéastes, scénaristes, acteurs et musiciens qui ont surgi dans ma vie. La mémoire réchauffe : ce film, c’est un peu de charbon pour les nuits d’hiver.
Certains se souviendront des après-midi ou soirées "diapositives" ou "super 8" au retour des voyages (chez) des amis et dont on avait hâte que le supplice arrive à son terme. Remplacez aujourd’hui les dispositifs par selfies, drone ou simple smartphone, en mode portrait bien entendu pour avoir de grosses bandes noires à gauche et à droite de l’écran, l’attente est la même : que cela prenne fin ! Autant l’exprimer de suite : il en va tout autrement dans ce documentaire de Bertrand Tavernier. Arrivé au terme des 3h15 (cent nonante-cinq minutes) de projection on en sort les yeux pétillants des images que l’on a vues (essentiellement en noir et blanc) et les oreilles enchantées par le commentaire éclairé, humoristique, ironique, parfois caustique, de Bertrand Tavernier, mais également par la bande musicale. En effet, la musique originale a été composée et orchestrée par Bruno Coulais qui revendique son inspiration de grands maîtres du passé et d’aujourd’hui : Henri Dutilleux ou Jacques Ibert, Volker Schlöndorff ou Henry Selick, Georges Delerue dont le maître était Maurice Jaubert dont le crédo était : "La musique, comme le découpage, le montage, le décor, la mise en scène doit contribuer à rendre claire, logique, vraie, la belle histoire que doit être tout film. Tant mieux si, discrètement, elle lui fait don d’une poésie supplémentaire, la sienne propre. (1936)". Une bande-son qui nous fait aussi découvrir de nombreux bijoux, tels la musique de L’Atalante, Touchez pas au Grisbi, Ascenseur pour l’échafaud ou Jeux interdits, parmi beaucoup d’autres.
Avec la complicité de Thierry Fremaux, et grâce à des textes lus par André Marcon, Bertrand Tavernier navigue dans le cinéma français. Pas le "cinéma premier" ni le "cinéma contemporain", mais une période plus "classique", à la louche de la fin des années vingt à la fin des années septante, une sorte d’âge d’or. Un cinéma "classique", voire d’auteur, mais pas uniquement. On se doute que le choix a dû être difficile pour Monsieur Tavernier. Choisir, sélectionner, c’est aussi exclure. Ce sont parfois des questions de droits ou de matériel disponible. Les extraits sont très nombreux, certains ont été (très bien) restaurés (souvent par Gaumont) et l’on s’attache aussi à des "noms" : Edmond T. Gréville, Gabin, Renoir, Becker, Carné, Renoir, Kosma. Et il faudra attendre le DVD ou le Blu-Ray pour mettre le générique en pause et prendre note de toutes les références des oeuvres et "artistes" cités.
Ce sont trois heures quinze que l’on voudrait (voir) prolongées tant tel film en appelle un autre, tel échange interpelle et questionne, telle anecdote de Tavernier évoque des souvenirs - voire leur ’atmosphère’ - à la mémoire. A un tel film, on ne peut donner qu’une notre d’excellence. Il est l’équivalent d’un menu "dégustation" dans un restaurant gastronomique multiétoilé. On goûte de nombreux plats sans risquer l’indigestion tout en se disant que l’on reviendrait bien pour en gouter l’un ou l’autre à part entière. C’est un peu l’effet que produit le documentaire de Bertrand Tavernier. Il suscite l’intérêt, éveille le goût, l’envie de voir... voire... de revoir de nombreux films. Certains cinéphiles les possèdent déjà dans leur dvdthèque. Ce sera l’occasion de les en sortir pour les (re)visionner. Les mêmes amateurs de classiques et d’autres auront peut-être l’envie d’enrichir leurs collections et maudiront peut-être un instant, ce grand cinéphile, de les inciter à faire eux aussi un voyage dans le passé glorieux du cinéma français.
Concluons avec ces mots d’un autre cinéphile, pas français, lui, le grand Martin Scorsese : "J’ai eu l’occasion de voir Bertrand Tavernier et de partager avec lui son approche très personnelle du cinéma français, son cinéma français. Il a fait un travail extrêmement précis et détaillé sur Jacques Becker, Marcel Carné, la musique dans le cinéma français des années 30, Jean Renoir et bien d’autres cinéastes. Un travail remarquable, fait avec une grande intelligence qui nous éclaire sur le cinéma classique français, sur beaucoup de cinéastes oubliés ou négligés, un travail très précieux. Vous êtes persuadé de connaître tout ça par coeur et arrive Tavernier nous révélant la beauté pure."