Synopsis : Léo est à la recherche du loup sur un grand causse de Lozère lorsqu’il rencontre une bergère, Marie. Quelques mois plus tard, ils ont un enfant. En proie au baby blues, et sans aucune confiance en Léo qui s’en va et puis revient sans prévenir, elle les abandonne tous les deux. Léo se retrouve alors avec un bébé sur les bras. C’est compliqué, mais au fond, il aime bien ça. Et pendant ce temps, il ne travaille pas beaucoup, il sombre peu à peu dans la misère. C’est la déchéance sociale qui le ramène vers les Causses de Lozère et vers le loup.
Acteurs : Damien Bonnard, India Hair, Raphaël Thiéry, Christian Bouillette, Basile Meilleurat, Laure Calamy
Guiraudie n’est plus un inconnu
Le dernier film de Guiraudie ne laissera pas indifférent. Les critiques sont divisés : certains y voient un chef-d’oeuvre tandis que d’autres dénoncent un film vulgaire, inutile, inutilement provocateur. Ce qui est sûr, c’est que, tout comme pour Théo et Hugo dans le même bateau réalisé par Olivier Ducastel et Jacques Martineau, il nous sera difficile de parler du film sur les ondes de RCF et de recommander ce cinquième long métrage à la majorité de nos auditeurs (spoiler : [1]). Et cependant, nous avons affaire à un excellent cru de ce réalisateur français. Le grand public ignorait son nom jusqu’à ce que Cannes découvre en 2013 L’inconnu du lac, présenté dans la section Un certain regard. Ce film a obtenu la Queer Palm, le Prix de la mise en scène pour Alain Guiraudie tandis que Pierre Deladonchamps recevait le prix du meilleur espoir masculin aux César 2014.
Un film organique
Rester vertical, un titre que l’on ne comprendra réellement que dans les toutes dernières secondes du film, brasse des thèmes chers à Guiraudie, la plupart antérieurs à son Inconnu du lac. C’est un film essentiellement "organique" (le moins mauvais terme que nous avons trouvé pour exprimer notre ressenti) qu’il nous propose. Ses héros sont multiples, et ses acteurs ne sont pas que des humains. C’est qu’il y a le loup, la nature (ici, la Lozère) les brebis, les humains : hommes, femmes, enfant. Et les héros (ou antihéros ?) "debout" sont de tous âges. Ils sont - parfois - aussi couchés, nus, dénudés et l’on verra plus loin que la sexualité, le sexe, les corps sont d’importance, essentiels dans l’oeuvre de Guiraudie.
L’homme-animal
Ces multiples personnages sont l’essence même du film de Guiraudie, mais aussi sa matière. Il filme nature, animaux - dont l’homme ! - à équidistance ! Chez Guiraudie l’homme ne domine pas la nature, même s’il lui arrive d’y être debout (on pourrait dire ’singe nu et debout’ pour plagier le controversé Desmond Morris qui écrivait Le singe nu en 1967 et que les francophones découvrent en 1970). L’homme est partie intégrante, non détaché(e), de la "nature" et fait corps avec elle. Et Guiraudie filme cela, comme on filmerait un documentaire sur la savane et ses animaux. Il n’y aurait pas là constitution d’un intime à cacher qui devrait échapper à la caméra. Le réalisateur montre. Tout. Rien n’est ob-scène, parce qu’il n’y a pas de scène sur laquelle mettre en valeur quelque chose qui devrait se détacher, ontologiquement en quelque sorte ! L’humain - homme et femme - est filmé comme la brebis... ou comme le loup ! Ni plus ni moins. Le loup, venons-y. Objet de la quête de Léo. Animal étrange que le loup. Celui qui dévore mère grand... mais aussi les brebis, de ce côté-là de l’animalité et du conte. Mais il y a l’autre côté, où les expressions disent non pas notre humanité, mais notre animalité ou notre commune essence avec les animaux : dans le pire, quand l’homme est un loup pour l’homme.
Les acteurs néophytes
La nature, l’homme et l’animal, l’homme et le sexe, l’amour (impossible ?) sont des thèmes coutumiers des premiers Guiraudie. Ici, ils nous semblent d’ailleurs prendre des tonalités proches de certains films de Bruno Dumont (lui qui n’hésite pas non plus à traiter de la nature, des corps, du sexe, par exemple, dans La vie de Jésus ou dans Twentynine Palms voire Hors Satan). Tout comme chez Bruno Dumont, la majorité des acteurs "humains" de Guiraudie sont des néophytes qui ne sont jamais passés devant une caméra. Majorité, mais il y a des exceptions. C’est le cas de Damien Bonnard (dont on trouvera ici une présentation). Il n’a pas vraiment eu de grands rôles jusqu’à présent, mais sa prestation est ici solaire et extraordinaire alors qu’il semble être un perdant au coeur aimant, partageant, mais aussi partagé. Mais perdant, toujours ou souvent. Il joue le rôle d’un scénariste qui se trouve devant devant une page (d’écran) vide où qu’il efface après avoir écrit les premières lignes d’un scénario d’une vie qui pourrait être la sienne.
Léo, le perdant, couché et debout
On vous le dit perdant, surtout lorsqu’il est couché. Pour faire l’amour, mais pas seulement. Au lit avec celle qui lui donnera un enfant, mais qui lui sera enlevé plus tard. Lui qui faisait preuve de bonté envers des SDF, alors qu’il tirait le diable par la queue, va se retrouver couché et perdant, lorsque lui-même devra se réfugier avec son enfant dans les bras, sans ressources. Sous un pont, où il sera dépouillé, mis à nu, protégeant le bébé, entouré de SDF qui sont comme une meutes de loups. Couché. Perdant ! Nous songions aussi à Jean-Baptiste Grenouille dans Perfume : The Story of a Murderer de Tom Tykwer (2006), prêt à être dévoré... ou aussi à Jésus, qui, en tant que Christ pour ses disciples, se donne en nourriture pour ses amis. Mais l’essentiel n’est-il pas, de là, en ce lieu (partout et en tous lieux !) de "rester vertical" ? Même si le gagnant, celui qui raflera la mise, jouant sur tous les tableaux et se jouant de tout et de tous (lui qui ne veut pas jouer dans un film), survolera la campagne, les protagonistes et leurs sentiments comme un faune enchanté et enchanteur !
Confusion des genres et des sentiments
Dépossédé de sa paternité, Léo découvre la confusion des sentiments, des genres... mais aussi (con)fusion de l’homme et de la nature (cf. la séance chez le docteur Mirande, la thérapeute de la forêt). Ce sont des thèmes chers à Guiraudie, de même que celui de l’homosexualité et, notamment de relations qui lient des adultes trentenaires à des homos (plus) âgés et en dehors des canons esthétiques gays (du moins selon certains clichés). Cette solitude de l’homosexuel âgé ou vieillissant, il tient à en parler. C’était déjà le cas dans un de ses moyens métrages, il y a quinze ans déjà, Ce vieux rêve qui bouge (2001).Il y raconte l’histoire de Jacques (Pierre Louis-Calixte), un technicien spécialisé qui est chargé de démonter la dernière machine d’une usine qui ferme. Guiraudie y filme les lieux, les gens, les corps aussi, s’attardant sur ceux qui sortent de la douche. Jacques tente de séduire un homme plus âgé, se refuse à un autre et ne peut expliquer le pourquoi et l’origine de son désir. Et s’agissant d’origine, le dernier film de Guiraudie est aussi un hommage à L’origine du monde, de Courbet, lorsque la caméra, pas seulement soucieuse de filmer les corps masculins, se focalise sur le sexe d’une femme, Marie (India Hair) et elle s’y attarde jusqu’à ce qu’un autre plan nous montre le même sexe (doublure bien sûr) d’une femme en train d’accoucher. La caméra est à la fois pudique et totalement impudique. Et si Garaudie filme des corps, des sexes y compris vulve au moment de l’accouchement et verge en érection, il le fait justement dans la même impudeur que la caméra d’un documentariste animalier comme nous l’évoquions plus haut et qui filmerait, par exemple, la mise-bas d’une louve !
Tout comme pour son Inconnu du lac, Guiraudie va faire appel à ce que l’on nomme des "doublure sexe" pour certaines scènes (à vrai dire, cela passe inaperçu... façon de parler et, comme pour d’autres confrères, c’est le générique qui nous l’a appris) non simulées (thème abordé dans notre critique de Théo et Hugo dans le même bateau de Olivier Ducastel et Jacques Martineau, qui eux n’ont pas choisi de doublures pour leurs acteurs).
Le loup fantastique
Louves et loups sont également au coeur du film, depuis le début. C’est la quête de Léo et la crainte de Marie et de son père. Le loup, la bête qui fascine, comme celle du Guévaudan, mais aussi comme enchantant nos contes, tel celui du Chaperon. Et donc le lieu du rêve, du mythe et fantastique. Celui-ci joue d’ailleurs sur le temps. Il peut s’étirer durant la nuit ou se condenser en une seconde entre le sexe de la femme offert à l’homme et le même sexe offrant l’enfant ! Ce temps rejaillit d’ailleurs sur le monde. Ces neuf mois sont comme une parenthèse qui n’a pas changé le temps extérieur : ni pour Léo, ni pour son scénario, pour celui qui le commandite, pour l’argent qu’il a reçu ou pour les loups de Lozère. Chez Guiraudie, le loup est également l’objet d’un enjeu et/ou d’une quête "politiques".
Les loups seront là, présents à la fin du film, définissant la verticalité de celui-ci. Mais au centre, il peut (doit ?) y avoir un agneau ou un enfant, symboles de l’innocence et du sacrifice.