Synopsis : Tout commence au petit jour dans une mer déchaînée avec trois jeunes surfeurs. Quelques heures plus tard, sur le chemin du retour, c’est l’accident. Désormais suspendue aux machines dans un hôpital du Havre, la vie de Simon n’est plus qu’un leurre. Au même moment, à Paris, une femme attend la greffe providentielle qui pourra prolonger sa vie…
Acteurs : Anne Dorval, Emmanuelle Seigner, Tahar Rahim, Kool Shen, Bouli Lanners, Monia Chokri, Alice Taglioni, Dominique Blanc.
Du roman...
C’est il y a un peu plus d’un an que nous avons découvert et lu Réparer les vivants, le roman de Maylis de Kerangal, paru en janvier 2014. Nous n’avions pas entendu parler de cet ouvrage ayant obtenu de très nombreux prix mais ayant suscité une controverse due à l’écrivain Richard Millet dans un article au vitriol intitulé "Pourquoi la littérature de langue française est nulle". Au grand dam de Gallimard - son éditeur également - Il décrivait Maylis de Kerangal comme la romancière préférée des milliers d’imbéciles de la "petite bourgeoisie internationale déculturée" (source). Le Magazine littéraire, quant à lui, écrivait : "Sujets ambitieux, écriture littéraire, éditeur exigeant : rien ne prédisposait les romans de Maylis de Kerangal à toucher un aussi large public. Et pourtant. Sa montée en puissance progressive, annoncée par Corniche Kennedy, puis par Naissance d’un pont (couronné par le prix Médicis), est confirmée par le triomphe de Réparer les vivants. Pour le quantitatif : 160 000 exemplaires vendus par Verticales, un tirage de 100 000 pour le Folio, plus d’une vingtaine de traductions chez des éditeurs prestigieux, et les droits pour le cinéma à Katell Quillévéré." Le roman avait séduit assurément le public et la majorité des critiques dont vous trouverez certaines en notes [1] [2] [3].
C’est l’enthousiasme d’un libraire partagé sur les ondes de la RTBF au début de l’été 2015 qui nous a amené à la lecture de ce roman. Nous nous y sommes plongé à coeur ouvert et déchiré !!!! tout en nous disant à la fin que nous avions là un livre qu’il serait impossible de transposer au cinéma ! Nous ignorions que les droits étaient déjà cédés à Katell Quillévéré, la réalisatrice de Suzanne !
... au cinéma...
Le film arrive à transmettre de façon clinique (à l’image de certains passages du roman) cette transplantation cardiaque, passant de l’univers du jeune Simon Limbres à celui de la receveuse, Claire Méjan (Anne Dorval). Il nous fait découvrir les proches du donneur, en particulier ses parents séparés qui se retrouvent autour du corps de leur fils, mais aussi la petite amie de Simon et ses compagnons de surf. La maman, Marianne est interprétée par Emmanuelle Seigner. De l’autre côté, Claire, en attente d’un coeur, ses enfants, son amie-amante. Entre les deux, durant 24 heures, les équipes médicales, en particulier une infirmière, un médecin, le docteur Pierre Révol (Bouli Lanners) et Thomas Remige (Tahar Rahim), chargé de coordonner les équipes qui recevront les organes de Simon.
Nous découvrons donc ces vingt-quatre heures de la vie d’un coeur, depuis l’accident, la mort cérébrale, l’urgence à obtenir un accord des proches pour la transplantation d’organes (la situation en France semble différente de celle que nous connaissons en Belgique où l’on est considéré d’office comme donneur sauf manifestation préalable et explicite d’un refus). Tout est bien rendu, de façon clinique et médicale dans les cent minutes du film. Toutefois, comme lecteur du roman, nous étions déçu parce que (comme nous le supposions) nous n’avons pas retrouvé son souffle épique, sa poésie, sa philosophie, les questions existentielles qui taraudaient les uns et les autres. Un art de la plume, de l’écriture qui est quasi totalement intraduisible au cinéma. Si vous avez lu le roman, il faudra voir le film en connaissance de cause. Pour ceux qui ne l’on pas lu, ce peut être une occasion de le faire... après, ne serait-ce que pour découvrir nombres d’éléments qui n’ont pu être intégrés dans le film (le roman traite également d’autres organes mais aussi le souvenir d’un voyage de Thomas Remige dans son pays pour un chardonneret - que le film nous montre uniquement par écran d’ordinateur interposé).
Pour nos confrères critiques, certains sont enthousiasmés, d’autres y ont vu un film à l’électrocardiogramme plat ou un quasi-documentaire pour la promotion du don d’organes. Nous sommes loin d’être aussi sévère. Certes, le film va loin dans les entrailles d’un corps, mais, là, c’est aussi à l’image du roman, très précis, très clinique. Il ne manque que ce souffle qui nous avait enthousiasmé. C’est dommage (mais uniquement pour ceux qui auront lu le livre) mais ce n’est pas une raison pour bouder ce film très humain.
ou au théâtre !
Enfin, pour être complet, le livre avait été adapté au théâtre par Emmanuel Noblet qui a "joué" seul le roman. A ce sujet, l’auteure écrit : "Je n’ai jamais douté de cette proposition pourtant paradoxale — qu’il y ait du sens à ce qu’un seul acteur incarne un collectif en action, à ce que le corps d’un seul catalyse le multiple à l’oeuvre dans un tel transfert. Au contraire, il m’a semblé que l’intuition d’Emmanuel Noblet se logeait dans une profonde compréhension du texte, dans sa vérité intrinsèque : il serait le récitant de cette épopée contemporaine, il en serait également le choeur, reconnectant le roman au temps où la littérature était un poème porté des voix, transmis par des voix, reconnectant d’emblée le roman au théâtre.. Au sujet de ce roman qu’il met en scène (nous n’avons pas vu la pièce mais ne doutons pas que ce genre-là, le théâtre, est probablement plus à même de rendre la force poétique du roman) Emmanuel Noblet écrit : Le don d’organe est une générosité absolue. Gratuit, anonyme, il donne rien moins que la vie. Et c’est souvent un choix à faire au sommet de la douleur, par des proches qui entourent un corps qui a l’air de dormir. La question qui se pose alors est un vrai choix de société, auquel une des deux réponses possibles est un héroïsme contemporain sans publicité. Tout l’inverse des modèles en vigueur.
Avec le suspense et la rapidité de notre époque, Maylis de Kerangal nous offre cette histoire qui réconcilie finitude et génie humain. Ses mots transmettent une grande force de vie qu’il faut faire circuler de cerveau en cerveau et de coeur en coeur. Réparer les vivants c’était déjà du Tchekhov, il fallait le transplanter au théâtre aujourd’hui. (extraits du dossier presse de la pièce crée à Avignon en juillet 2015)
Face à notre critique mitigée nous vous invitons à lire la critique enthousiaste de Nicolas Gilson, un ami et confrère journaliste sur Ungrandmoment.be...