Synopsis : Sans emploi depuis un an, Constance revient dans sa ville natale quand elle apprend qu’un poste se libère dans l’agence immobilière où elle a démarré sa carrière, mais son ancien patron lui préfère une autre candidate plus jeune. Constance est alors prête à tout pour récupérer la place qu’elle estime être la sienne.
Acteurs : Marina Foïs, Jérémie Elkaïm, Benjamin Biolay, Joséphine Japy.
Sébastien Marnier...
Irréprochable est le premier long métrage d’un romancier qui revient, d’une certaine façon à ses premières amours puisqu’il avait déjà tâté du cinéma avec quelques courts métrages, à commencer par sa collaboration, en 2002, à l’écriture de Polissons et galipettes, qu’IMDB présente comme un documentaire pour adultes. En réalité, il s’agit d’une compilation de douze courts métrages pornographiques et anonymes qui datent principalement des années 20 à 25. La même année il réalise et écrit avec Elise Griffon Le grand avoir, un drame psychologique de 17 minutes tourné en Super 16, centré sur la famille et le racisme. En 2003, ce sera le passage au 35 mm avec Le beau Jacques, une comédie dramatique de 25’, consacrée à l’amour et au couple, toujours en collaboration avec Elise Griffon pour la réalisation et l’écriture.
En 2011, âgé de trente-trois ans, il se consacre à la littérature et publie son premier roman Mimi (qui a obtenu le prix du meilleur roman gay en 2013, première année où il est décerné [1]). Deux ans plus tard, il coécrit Qu4tre, un roman collectif avec trois autres auteurs. La même année, il publie un petit opuscule Une vie de petits fours, et avec Elise Griffon, une bande dessinée tirée de leurs expériences dans le monde du travail précaire Salaire net et monde de brutes. Ensuite, ce sera le théâtre avec Miss Carpenter, un spectacle de Marianne James. Aves sa complice Elise Griffon, il adapte cette année sa bande dessinée pour Arte TV en trente modules de trois minutes [2]. Pour mieux connaître l’auteur (et Elise Griffon) vous pouvez regardez leur interview en vidéo, au bas de cet article !
Du roman au cinéma !
Si nous avons insisté sur l’itinéraire artistique du réalisateur, c’est parce que son premier long métrage n’est pas sans faire penser à son premier roman Mimi [3] et à la pièce Miss Carpenter. Il est très difficile de traiter d’Irréprochable sans spoiler et dévoiler le coeur et la fin du film : jusqu’où cette femme ira-t-elle ? Tout comme Miss Carpenter, Constance vit sur une gloire passée. Lui sera-t-il possible de la retrouver ? Ici, pour Constance, un emploi dans une agence immobilière de province qu’elle a délaissé plusieurs années auparavant pour monter à Paris et trouver une situation digne de l’estime dans laquelle elle se drape et mesure. Mais la dignité est perdue lorsqu’elle doit se contenter de (sur)vivre dans des appartements mis en vente par la société dont elle ne fait plus partie. Nous la voyons sur le retour, quadragénaire entamée, le retour vers son ancien patron, vers un amour ancien, la maison de sa mère. De Mimi, nous retenons, le personnage de Jean-Pierre qui va se focaliser sur un ancien condisciple, Mimi, de façon malsaine et jusqu’au-boutiste ! Certes le "héros" de Mimi est très différent de Constance : il sort d’une cité de Courneuve, il n’est pas très futé et n’assume probablement pas son homosexualité qu’il refoule. Constance, en revanche, est cultivée, sait paraître même si elle n’a plus le sou, mais elle ira loin dans sa relation avec celle qui lui a ou aurait usurpé l’emploi auquel elle prétend et dont elle estime qu’elle en est la seule digne de l’exercer. Comme nous l’écrivions plus haut, un des enjeux du film est de se demander jusqu’où Constance ira pour retrouver son travail...
Irréprochable ! Vraiment ?
C’est que notre héroïne se croit irréprochable, sûre de son droit alors qu’elle nous apparaît comme borderline, parfois complètement à l’Ouest, désagréable, fielleuse et mielleuse tout à la fois. Ajoutons-lui un talent pour le dessin anatomique, puisqu’elle a la particularité de collectionner les amants dont elle garde le souvenir en faisant des croquis de leur virilité. Marina Foïs habite son personnage de façon quasi hallucinante et arrive à nous le faire détester dès les dix premières minutes du film. Les protagonistes (on n’ose parler d’antagoniste, car ce serait plutôt le rôle de Constance !) sont à la mesure du jeu de Foïs, notamment les deux rôles masculins, aux antipodes l’un de l’autre. A commencer par la première rencontre, fortuite, dans un train, avec Gilles Lenquin (Benjamin Biolay) qui sera une sorte de "mâle alpha" et qui aura une relation sexuelle assez torride avec Constance. A voir la façon dont est filmée leur première rencontre à l’hôtel avec une fellation qui sans rien montrer d’explicite est on ne peut plus suggestive. Il y aura encore quelques autres rencontres "chaudes" durant le film. Rien que l’évolution de la relation entre ces deux personnages est une intéressante ligne d’écriture. Ensuite, le deuxième homme, avec une dimension moins virile, moins "mâle", celle avec un ancien collaborateur, Philippe Ferrand (Jérémie Elkaïm [4]) qui a eu une liaison avec Constance. Là nous serons dans le plus feutré, plus féminin, plus sensuel. Le personnage est un des plus intéressants du scénario, car il est celui qui ose dire ses quatre vérités à Constance et à être conscient que cela ne tourne pas rond chez elle tout en restant dans l’indécision (le dernier plan du film laisse encore le spectateur en question et en doute, tout comme Philippe Ferrand...). Seule ombre au tableau : l’âge de Jérémie. Certes, il joue très bien, mais le scénario laisse supposer que Constance et lui ont le même âge... mais l’acteur qui a 37 ans en a presque dix de moins que sa partenaire. Toutefois, ce point ne nuit pas trop au film.
Ta mère ?
A côté de ces hommes du récit, il y a la jeune Audrey Pailleron (Joséphine Japy) qui vit une relation amoureuse difficile et a obtenu l’emploi que Constance convoitait. Celle-ci est ici à l’image de Harry (Sergi López) dans Harry, un ami qui vous veut du bien réalisé par Dominik Moll en 2000. Nous vous laissons découvrir à l’écran comment Constance va se lier à Audrey tout en lui mettant des bâtons dans les roues. Confrontation de deux actrices et occasion de voir une Marina Foïs très physique, sportive, tant en salle de sport que sur un parcours santé. Outre son corps, c’est le visage de l’actrice qui exprime à merveille ses pensées parfois complètement tordues. Toutefois, il est d’autres femmes et notamment une mère, clouée dans un lit d’hôpital, amorphe, inconsciente aux côtés de laquelle Constance passe de nombreuses heures, lui parle et lui fait part de ses idées, de ses peurs, mais aussi de ses affabulations. Là aussi nous irons de surprise en surprise.
Un film à voir...
Outre la question de l’âge de Jérémie Elkaïm dont nous faisions état ci-dessus, relevons l’importance de la musique du groupe Zombie Zombie, en parfaite adéquation avec le film, avec une réserve : elle est parfois un peu trop suggestive et alourdit le propos, comme s’il fallait insister pour que l’on comprenne la tension dramatique, en particulier, pour la fin du film, alors que le spectateur a très bien compris les enjeux. Une petite faiblesse aussi du scénario : comment se fait-il que ceux et celles qui se confrontent à Constance ne l’envoient pas balader ? Malgré ces remarques, on ne peut que vous conseiller la vision de ce premier film (voire de lire Mimi). La lumière et les décors sont superbes, les images sont très bien cadrées, ainsi certains plans de "surveillance" de l’agence immobilière par Constance. Nous sommes à l’extérieur, mais voyons très bien ce qui se passe à l’intérieur (à la façon dont Travis Bickle espionne Betsy qui travaille dans les locaux de campagne du sénateur Charles Palantine dans Taxi Driver). Les extérieurs sont également superbes.
Interview de Sébastien et d’Elise...
...à propos de Salaire net et monde de brutes !