Synopsis : Quand Ines, femme d’affaire d’une grande société allemande basée à Bucarest, voit son père débarquer sans prévenir, elle ne cache pas son exaspération. Sa vie parfaitement organisée ne souffre pas le moindre désordre, mais lorsque son père lui pose la question « es-tu heureuse ? », son incapacité à répondre est le début d’un bouleversement profond. Ce père encombrant et dont elle a honte fait tout pour l’aider à retrouver un sens à sa vie en s’inventant un personnage : le facétieux Toni Erdmann.
Présentation BRFF : Winfried et sa fille ont des relations passablement difficiles. Il essaie de se rapprocher d’elle à la mort de son chien et part lui rendre visite à Bucarest. Mais si tout était si simple entre ces deux-là, ça se saurait. Drôle, voire très drôle par moment, original, sensible et très personnel, Toni Erdmann a de quoi séduire plus d’un cinéphile. Maren Ade a été très remarquée à Sundance en 2005 et triplement primée à Berlin en 2009 avec Everyone Else. Souvent rattachée à l’école de Berlin ou autrement dit ce qui se fait de plus intéressant en Allemagne ces dernières années, elle nous livre ici un film qui traite avec brio des relations entre un père et sa fille. Le film a été ovationné au dernier Festival de Cannes. A Bruxelles de le découvrir.
Acteurs : Peter Simonischek, Sandra Hüller, Hadewych Minis, Michael Wittenborn, Trystan Pütter.
Ce film de 162 minutes est sorti bredouille de Cannes. Nous ne comprenons pas ou plutôt nous ne comprenons que trop bien. Ce vraiment long métrage n’est pas fait pour un festival. Fait au sens de formaté, prévu pour, destiné à. C’est tout le contraire. La dynamique d’une relation père/fille n’est pas dans l’air du temps et les acteurs ne sont pas connus en pays francophones. Ils viennent essentiellement du monde de la télévision et son (probablement) (très) connu Outre Rhin ! Le film prend son temps, celui de poser ses personnages, de découvrir leur emploi du temps ou plutôt la façon dont ils le gèrent et dont ils s’insèrent dans le monde. L’une dans le on ne peut plus sérieux monde des affaires, l’autre dans ce qui semble futile : la musique et l’humour parfois douteux ou clownesque.
Winfried Conradi (Peter Simonischek) a un frère qui est sorti de prison et envoie des colis piégés. Sorti, en fait non, il s’est échappé, il a encore une main attachée à une paire de menottes (qui reviendront d’ailleurs plus loin dans le récit !). Mais s’agit-il bien de frères ? L’un semblant sérieux, l’autre facétieux ? Qui est derrière cet homme ou ces hommes ? Qui sont-ils ? Ce n’est pas spoiler que d’écrire ici qu’il s’agit du même. D’un homme aux multiples facettes, en décalage avec le réel, avec le monde sérieux que l’on veut (nous) imposer. Ancien professeur de musique il ne peut regarder le monde qu’avec un regard décalé, empli d’humour et de dérision. A la fois regard d’enfant, grâce à son innocence première, mais aussi regard de bouffon qui peut dire des choses sérieuses à travers le rire et la transgression.
Cet homme, en porte-à-faux, et qui a une dent - voire un dentier - contre un monde trop étriqué pour lui, n’a pour se défendre que le gag, l’absurde. Que lui manque-t-il ? Sa fille ! Et lorsqu’il paraît dans une fête, notamment chez son ex-épouse, il est toujours décalé, comme un chien dans un jeu de quilles, comme un éléphant dans un magasin de porcelaine. Sa place n’est pas là et si l’on comprend ses intentions, sa façon de les manifester, aux antipodes parfois de la bienséance, irrite ou, à tout le moins, gène, dérange. On dirait de façon vulgaire, triviale : "il fout la honte". Une seule envie qu’il se casse pour ne pas devoir reconnaître qu’il est des nôtres, proches, famille, amis, père !
Père, c’est bien de cela qu’il s’agit ! Mais père sous-entend une contre partie, il faut avoir engendré au moins un enfant. Ici, la fille, Ines, et le père. Autant signaler que... les deux ne font pas la paire ! Lui ne s’occupe que de sa mère, de son chien, de ses élèves. Elle est une femme d’affaires dont les actions ont des ramifications internationales. Appelées à l’aide pour déstructurer des entreprises, pour délocaliser et aider, du même coup à mettre les gens dehors, des hommes et des femmes pauvres, sensibles, humains... elle "externalise" des problèmes, les transforme en plans de gestion, en abaques, feuilles de calcul... Elle est tout le temps sur la brèche, loge dans des endroits luxueux, mange dans des restaurants étoilés. Le meilleur des mondes possibles, celui dont rêvent les jeunes loups aux dents longues. Ou louves ! Et cette louve, est-elle heureuse ? C’est la question toute simple que son père lui pose. A elle, toujours occupée à téléphoner. Mais bonheur, joie, plaisir sont des mots absents du vocabulaire d’Ines. Ils sont insensés, incompréhensibles. Ce sont des variables, nuisibles, incontrôlables, improductives...
Jusqu’à l’arrivée d’un certain Toni Erdmann ! Il débarque à Bucarest quelques heures à peine après le départ de Winfried Conradi. Celui-ci était venu rendre une visite surprise à sa fille, bousculant sa vie et surtout son agenda. Toni est celui qui pourrait dire "je ne suis pas ton père ! Si tu veux le trouver, il faut chercher ailleurs". Certes, nous savons que Toni et Winfried sont une seule et même personne. Seul change le grimage comme les fameux frères du début du film. Mais Toni va s’immiscer dans le monde (des affaires) d’Ines, le bouleverser, venir comme un grain de sable, gripper les engrenages d’un milieu où les choses semblaient bien fonctionner. Il faut du temps pour que Toni apparaisse. Et lorsqu’il est là, mettant fort mal à l’aise la femme d’affaires, nous avons droit à de nombreuses scènes drôles, cocasses, énervantes, dérangeantes selon le point de vue. Jusqu’à trouver un apex dans une scène d’anniversaire complètement farfelue ou des protagonistes seront à nu. Psychologiquement. Réellement aussi ! Un bravo tout particulier à l’actrice Sandra Hüller qui accepte ainsi de se dévoiler à l’écran alors qu’elle ne répond pas aux canons esthétiques proposés par les modèles photoshopés des revues de mode. Quelque chose se passe là, lors de cette fête, qui vient bouleverser les certitudes de celle qui gérait les hommes de main de maître(sse), parfois même en mangeant des petits-fours sous les yeux d’un amant qu’elle domine et humilie.
Cette relation père/fille qui fait se confronter des univers sérieux et loufoque nous a fait penser à Mrs. Doubtfire. Certes c’est totalement différent, mais ce décalage entre la façon dont les uns et les autres veulent habiter le monde, le regarder, y vivre était analogue. Mais le film va plus loin que cette relation familiale, de l’ordre de l’intime. C’est qu’il est un autre axe qui nous est présenté. En effet le regard que la cinéaste jette sur le monde des affaires, ce monde qui manipule les gens sur un échiquier comme s’ils n’étaient que de simples données comptables que l’on peut supprimer du tableau ! Ce n’est pas une attaque frontale. C’est tout en finesse, exprimé aux marges : en opposant le luxe des uns et en contrebas la misère des autres. C’est elle qui devrait faire honte, déranger, et que l’on aimerait hors champ, ne pas voir, ne pas savoir. Elle est littéralement obscène : on ne devrait pas la montrer sur la scène ! A plusieurs reprises, semblant de rien, deux univers nous sont montrés : celui des ouvriers qui travaillent dans des conditions précaires et perdront leur travail. Cela ne fait plus rire. Nous découvrons les failles d’un monde dont la fille participe à la création/destruction. Un film qui nous fait découvrir des liens entre l’intime et le monde.
Diaporama
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