Synopsis : Pour Jocelyne et Serge Klur, rien ne va plus : leur usine fabriquait des costumes Kenzo (Groupe LVMH), à Poix-du-Nord, près de Valenciennes, mais elle a été délocalisée en Pologne. Voilà le couple au chômage, criblé de dettes, et risquant désormais de perdre sa maison. C’est alors que François Ruffin, fondateur du journal Fakir, frappe à leur porte. Il est confiant : il va les sauver. Entouré d’un inspecteur des impôts belge, d’une bonne soeur rouge, de la déléguée CGT, et d’ex-vendeurs à la Samaritaine, il ira porter le cas Klur à l’assemblée générale de LVMH, bien décidé à toucher le coeur de son PDG, Bernard Arnault. Mais ces David frondeurs pourront-ils l’emporter contre un Goliath milliardaire ? Nos pieds nickelés picards réussiront-ils à duper le premier groupe de luxe au monde, et l’homme le plus riche de France ?
Merci patron est un excellent documentaire comme aurait pu le faire Michael Moore. Débutant sur un mode satirique et se poursuivant et concluant comme un thriller. François Ruffin est journaliste fondateur d’un média de gauche, voire d’extrême gauche, Fakir. Il veut faire prendre conscience ici de l’impact de décisions prises par de grands groupes industriels ou financiers, dans des bureaux calfeutrés et/ou devant des assemblées d’actionnaires. Parce que ces décisions prises au nom de la croissance, de l’économie et du profit à tout prix ont des conséquences sur ce que l’on appelle impudiquement des "petites gens". Ici, des hommes et des femmes, du Nord de la France qui subiront de plein fouet la délocalisation - pour employer un terme pudique - de leur entreprise. Pour l’écrire de manière vulgaire, ils sont foutus dehors, le cul par terre et les poches vides.
De cela, Ruffin veut rendre compte en posant, de façon ironique le problème sous un autre angle. Est-ce que l’industriel/financier en question, ici Bernard Arnault n’est pas finalement un homme bien plutôt qu’un homme de biens ? C’est qu’en restructurant ses diverses sociétés, en les faisant basculer dans d’autres modèles économiques il est, en quelque sorte le "sauveur" ! Est-ce que vous qui avez certes perdu votre emploi ne devriez pas lui rendre gloire, car ses vues sont bien plus vastes et ses projets plus grandioses que vos tous petits problèmes ?
Au cours de cette (en)quête satirique, François Ruffin va découvrir une famille du Nord, paumée et touchée de plein fouet par la fermeture de leur usine dont les conséquences seront dramatiques. Incapables de rembourser leurs dettes, leur petite maison dans le Nord sera vendue. C’en est trop pour Serge Klur qui s’apprête à faire comme dans un épisode de La petite maison dans la prairie que son propriétaire fera sauter plutôt que d’en laisser prendre la possession par un autre.
A partir de là, le documentaire prend la forme d’un thriller. Concoctant un plan quasiment machiavélique, se faisant passer en même temps pour le fils des Klur, Ruffin va piéger l’homme d’affaires et son équipe en leur faisant craindre le pire : prévenir la presse et envahir la salle de l’assemblée générale des actionnaires. Grimage, caméra cachée seront au service d’une bonne cause, à la Robin des bois, au plus grand bénéfice de cette petite famille du Nord et au grand dam du clan Arnault.
L’argent achète tout donc. Et l’on sera ravi à la fin de découvrir que pour une fois c’est le pot de terre qui a gagné contre le pot de fer. N’empêche que l’on ne peut manquer de rester avec deux questions ou interpellations (au moins). C’est que de fait l’argent achète tout, et donc le silence des Klur. On se dira certes que le piège tendu par Ruffin aux grands de ce monde va permettre de délier les Klur de l’accord de confidentialité. Mais si cela n’avait pas été le cas, qu’en aurait-il été de ce deal, l’argent contre le silence ? Mais cela est second (pas secondaire) par rapport à une autre question. La famille Klur a bénéficié ici d’un effet d’aubaine grâce au reportage-documentaire et à la médiatisation de l’affaire par le journaliste de Fakir. Mais qu’en est-il des autres qui eux n’ont rien reçu alors qu’eux aussi ont beaucoup perdu ? C’est peut-être le prix à payer dans une société hypermédiatisée !