Synopsis : Ahmed, 18 ans, est français d’origine algérienne. Il a grandi en banlieue parisienne. Sur les bancs de la fac, il rencontre Farah, une jeune Tunisienne pleine d’énergie fraîchement débarquée de Tunis. Tout en découvrant un corpus de littérature arabe sensuelle et érotique dont il ne soupçonnait pas l’existence, Ahmed tombe très amoureux de cette fille, et bien que littéralement submergé par le désir, il va tenter d’y résister.
Acteurs : Sami Outalbali, Zbeida Belhajamor, Diong-Keba Tacu, Aurélia Petit, Sofia Lesaffre
Cinq ans après A peine j’ouvre les yeux (2016), réalise son deuxième long métrage avec une histoire d’amour et de désir, histoire qui se concrétisera dans le titre du film. Bien plus elle situe cette histoire dans le monde arabe (nous y reviendrons) et en mettant le focus sur l’homme en tant que mâle, masculin donc, comme objet et sujet d’amour, comme désirant et désiré. Et pour donner corps à ce jeune homme, Ahmed, elle a choisi un jeune acteur français Sami Outalbali qui commence à déployer sa carrière tant sur le grand écran que sur les réseaux de streaming. Et, justement pour donner "corps" à son protagoniste principal, la réalisatrice nous le montre nu, prenant sa douche, dès le plan inaugural de son film. Face à lui, dans le rôle de Farah, Zbeida Belhajamorn une jeune actrice dont ce sera le premier rôle dans un long métrage. Le film a été projeté en clôture, hors compétition, de la 60e Semaine de la Critique du 74e Festival de Cannes.
Dans son film, Leyla Bouzid, donne place à l’Arabe qui sera au coeur de l’intrigue. Et nous jouons ici sur les mots ou la majuscule, car place est donnée à l’arabe dans la littérature, et singulièrement dans la littérature érotique arabe du moyen-âge. Dans le numéro 458 (avril 2019) de la revue L’Histoire, Le Corps en Islam, Julien Loiseau écrit : "Aucune langue du Moyen Age n’a, autant que l’arabe, servi à chanter l’amour et à peindre la passion amoureuse dans ses multiples états. L’héritage vient de loin, de ce temps de ’l’ignorance’ avant la révélation de l’islam où les poètes arabes ouvraient toujours leurs odes par un prologue amoureux pleurant, sur les traces du campement déserté, le départ de la bien-aimée. Au VIIIe-IXe siècle, cette poésie arabe antéislamique inspira, dans les cours impériales de Damas, puis de Bagdad, une poésie amoureuse chantant l’amour impossible, la passion inassouvie qui impose la chasteté aux amants fidèles et les condamne au désespoir. Cette passion amoureuse est appelée amour udhri, du nom des Banu Udhra, une tribu arabe dont les poètes chantèrent les premiers, dit-on, la passion pour leur inaccessible bien-aimée. "
Et c’est justement la littérature arabe érotique que la professeure Anne Morel (Aurélia Petit, fantastique !) propose à ses étudiants en fac. Et dans la classe, justement, deux étudiants ont choisi cette option : Ahmed et Farah. Tous deux se remarquent et sont sous la montée et la puissance du désir. Et si Farah souhaite concrétiser la relation de façon charnelle, en revanche, Ahmed, lui résiste. Si elle a de l’expérience, lui n’en a aucune. Dans les allées d’une bibliothèque l’on parle même de lui comme un puceau (ce qui pour un "mâle" peut sembler attentatoire à la virilité). Toute l’intrigue du film est donc bien une histoire d’amour et de désir, de corps qui se cherchent, se perdent, se (re)trouvent, s’abandonnent, se fuient. Et ce n’est qu’à la fin du film que la relation charnelle se concrétisera. Ahmed est beau (dès le premier plan, la réalisatrice le filme nu sous la douche) désire, il est certes sexué (plusieurs plans le montrent se masturbant) mais il a fallu tout un itinéraire (initiatique) pour qu’il puisse faire l’amour avec Farah. Et c’est ici l’apport d’un point de vue plutôt rare au cinéma, de filmer l’homme "pour sa première fois".
Itinéraire initiatique et place de l’arabe écrivions-nous ci-dessus. C’est que le film et son intrigue donnent une belle place à la littérature érotique arabe, du Chant de l’ardent désir de Ibn ’Arabî au Jardin parfumé (ou La Prairie parfumée). Cette littérature, arabe à laquelle la réalisatrice fait place sert de fil conducteur au film et à l’évolution des personnages, dans une sorte d’initiation, tant à la langue et la posée arabes, qu’à celle de l’amour, des sentiments, des corps. Est-ce que le véritable amour surgit lorsque le désir est réalisé et la relation concrétisée ? Ou bien disparait-il lorsque l’on a fait l’amour ? Place de l’arabe aussi comme individu, dans son groupe et dans la société. Ahmed vit en banlieue avec ses parents, il ne connait pas la langue arabe (encore moins la littérature) mais il ne connait pas Paris non plus. Farah, elle est d’origine tunisienne. Ses parents sont restés au "bled". En revanche, elle parle, lit et écrit l’arabe (et il faut insister sur ce point, car ce sera là l’un des ressorts du film dont on vous laisse la surprise !). Ahmed est soumis à la contrainte du groupe social (et donc de sa culture qu’il ne connait pas plus que ses potes) mais aussi de la "cité". Place de l’arabe que revendique Farah mais que nient les parents d’Ahmed (qui a défaut de vouloir bien s’intégrer, se noient dans la masse ou se rendent invisibles, sans aspérités, alors même qu’ils ont des racines, comme le montrera la scène de la bibliothèque familiale).
Le film doit beaucoup à ses interprètes et tout particulièrement à Sami Outalbali qui a déjà une sérieuse expérience d’acteur mettant en scène les enjeux liés à la masculinité ou l’identité affective. Ainsi beaucoup de jeunes et d’adolescents l’auront découvert, l’an dernier, dans le rôle de Rahim, un jeune homosexuel d’origine française dans la deuxième saison de Sex Education (Netflix) ; en 2019, dans le rôle de Samir, l’ami gay de Lola dans Lola vers la mer ; ou encore dans la mini-série Fierté, où il joue le rôle de Sélim, jeune homo de 17 ans. Et dire qu’il avait débuté en 2011 dans Les Tuche... force est de constater qu’il s’en est donc très bien sorti. Et cela d’autant mieux qu’avec cette histoire d’amour et de désir il arrive à démontrer qu’il a à son actif une palette d’interprétations sans se laisser enfermer dans un rôle, voire un genre particulier. Face à lui, Zbeida Belhajamor, une jeune actrice talentueuse et à suivre.