Synopsis : Alors que Frank Valken réalise un casse fabuleux, un commando de tueurs entre en action et exécute tous les témoins. On relève parmi les cadavres celui de la magistrate qui enquête sur l’affaire des Tireurs fous. Trente ans plus tard, ils semblent être de retour. Arrêté en flagrant délit et face à la pression médiatique, Frank n’a d’autre choix que de s’évader pour tenter de prouver son innocence.
Acteurs : Olivier Gourmet, Kevin Janssens, Lubna Azabal, Bouli Lanners, Natacha Régnier, Tibo Vandenborre.
Lien vers le podcast de l’interview de François Troukens, co-réalisateur du film :
François Troukens, un « Forban »... « Armé de résilience » !
Analogies de parcours !
Voilà un film que j’attendais et pour lequel je ne serai probablement pas neutre. En effet, celui-ci me touche à un double titre. Tout d’abord, le réalisateur est François Troukens, un ancien braqueur de fourgons, alors que je suis un ancien officier de police judiciaire dans un corps d’élite du Royaume belge. Ensuite, le réalisateur s’est converti en quelque sorte, puisqu’il a emprunté un chemin de "conversion" qui l’a fait quitter sa vie antérieure pour un tout autre parcours, celui, notamment, de scénariste et réalisateur. J’ai fait une expérience de conversion, passant du statut d’athée anticlérical à celui de prêtre catholique. François Troukens est devenu homme de média, pour nos confrères de RTL où il anime plusieurs émissions consacrées aux affaires judiciaires alors que je suis devenu le "monsieur cinéma" des radios RCF en Belgique, de l’hebdomadaire catholique Dimanche, du site Cathobel et de celui-ci ! Sans avoir la célébrité de François Troukens, je vibre, comme en miroir, à son parcours. S’agissant de son premier long métrage, je peux le regarder avec plusieurs lunettes : celles du critique cinéma, celles de l’homme qui a eu un parcours de conversion et, enfin, celle de l’ancien policier ! Ces multiples regards seront donc à la fois "professionnels", mais également entachés de subjectivité.
Un livre et une BD pour commencer !
Et pour commencer, ce premier paragraphe s’écrira en "je". On ne peut détacher le film de l’homme et de son histoire, ni même de celle de la Belgique des trente dernières années. C’est dire aussi que Tueurs aura une résonance particulière en Belgique par rapport à d’autres pays, d’autant plus que le hasard a fait remonter à la surface des événements dont il est question dans le film, à savoir le retour à l’actualité des affaires dites des "tueurs du Brabant". Mais l’actualité est également littéraire puisque le mois de novembre, quelques semaines donc avant la sortie officielle du film en Belgique, a vu la parution d’une bande dessinée Forban (scénarisée par François Troukens et dessinée par Alain Bardet), présentée par l’éditeur avec un bandeau "BRAQUEUR, FUGITIF, ECRIVAIN. Le grand banditisme raconté de l’intérieur par l’ex-ennemi public n°1 de Belgique". Une BD, mais aussi un livre, "annoncé" dans les dernières pages de celle-ci, un "récit" écrit par Troukens lui-même, à la sueur de son front, avec ses tripes et sans l’aide d’un "nègre" littéraire, intitulé "Armé de résilience" (avec un bandeau : "L’ancien braqueur devenu cinéaste"). Certes, cette BD et ce livre n’ont rien à voir avec le film. Celui-ci n’en est d’ailleurs ni une adaptation ni celle de la vie de François Troukens !
Tueurs, un film d’actualité ?
Pas un film biographique donc ! Quoique (et je repasse au pluriel dit de modestie !) il nous semble qu’il y a une sorte d’image fantôme. Celle-ci surcharge le personnage de Frank Valkens. Frank Valkens n’est pas François Troukens, mais il nous est apparu qu’il y a un peu de lui qui le colore, l’enveloppe et lui donne une certaine densité. Tueurs, ce n’est pas non plus une film historique ou un docu-fiction sur les tueurs du Brabant. La contemporanéité de la sortie du film avec le retour médiatique d’une affaire vieille de trente ans est purement fortuite. Mais en même temps Tueurs n’est pas indemne de François Troukens. Il est gros (comme d’une grossesse) de la vie de François, de ses braquages, de ses emprisonnements, de ses évasions, de sa petite enfance, de sa vie enrichie par le fruit de ses braquages, de ses questions sur la prison, sur la police, et aussi sur une affaire qui empoisonne la Belgique depuis trente ans, faute d’avoir été résolue et d’ouvrir le passage à de nombreuses interprétations.
Des tueurs fous !
Il est question de "tueurs" fous dans le film, même si la première mention fera état des "tueurs du Brabant" et que le sous-titrage flamand fait état de "la bande de Nivelles". Certains confrères se sont posé la question de cette distinction "tueurs fous" "tueurs du Brabant", il estimaient que le réalisateur n’assumait pas son propos ou message. A supposer qu’il y ait message, il ne nous parait pas que cette distinction sémantique, soit dirimante. C’est que l’expression a évolué au cours du temps et qu’au départ on parlait de "tueurs fous". Bien plus, le scénario du film se pense et s’écrit il y a déjà de longues années. En revanche, il nous parait que dans sa fiction le réalisateur opte pour une des lectures de ces tueries (à savoir le choix délibéré d’acteurs du monde policier et/ou politique de créer un climat de terreur dans le Royaume). Mais nous n’en dirons pas plus pour ne pas "spoiler" comme on dit. Nous laissons donc au spectateur le "plaisir" de découvrir l’intrigue de ce film relativement court (il dure 86 minutes).
Un bon policier !
Ce titre pour dire, ou plutôt écrire que c’est un bon film policier, même si le spectateur comprendra toute l’ironie ou le double sens de ce titre au cours de la vision du film ! Un bon film parce que le réalisateur sait de quoi il parle et que les situations décrites sont majoritairement crédibles et vraisemblables (à part une scène de barrage policier qui pose question, mais ni plus ni moins que dans Angle mort (Dode Hoek) le dernier film de Nabil Ben Yadir). Et, en tout cas, plus que dans De Premier d’Erik Van Looy ! L’on peut donc raisonnablement supposer que le réalisateur sait de quoi il parle lorsqu’il montre la préparation d’un braquage, la prison, les interrogatoires. Nous pouvons confirmer de notre côté, même si côté braquage, ce n’était pas notre spécialité et donc notre domaine de compétence. Un "bon film policier" donc tenant compte de certaines contraintes : Troukens n’a pas les moyens des réalisateurs américains, mais s’en sort passablement bien face à ces derniers. Il est intéressant de lire son livre, ce que nous avons fait entre deux visions du film et découvrir ainsi que certaines scènes ne donnaient pas droit à l’erreur (ainsi, s’en rien dévoiler, mais une séquence "câblée" est importante et onéreuse, mais ne donnait droit à aucune deuxième chance). Un "bon policier" car il puise dans le terreau du réel, mais est en même temps efficace, car l’on est capté par l’intrigue et que l’on découvre des acteurs connus dans des rôles inhabituels, pour ne pas dire à contre-emploi ! La fin pourra paraître (trop) rapide pour certains. Il est vrai que l’on aurait pu allègrement ajouter dix à quinze minutes au film. S’agit-il de moyens, de temps disponible ou, simplement, du désir de ne pas diluer le récit ? C’est que la fin du film tranche avec ce qui précède, et, si elle permet de faire en sorte que toutes proportions gardées, la "morale est sauve" (ou l’honneur ?), le changement de cap et de rythme a déjà été exploité au cinéma. Songeons ainsi (dans un genre "policier", mais très différent) à Compartiment tueurs, le premier film de Costa-Gavras (1965) où la fin donne l’impression d’avoir affaire à un autre film. Là aussi, le tueur était à l’intérieur, si nous pouvons nous permettre.
Nous ne pouvons donc que recommander ce film, foi de policier repenti ou plutôt reconverti en critique cinéma. Le film est efficace, maintient le suspens, et est paradoxalement d’actualité. Il peut s’exporter comme thriller à l’étranger sans problème et parlera, en plus, aux Belges, en s’inscrivant dans la relecture d’une affaire jamais résolue avec une clé qui a le mérite d’être envisagée sérieusement par certains qui ont été confrontés à cette douloureuse affaire. Ceux qui voudraient en savoir plus peuvent déplier le chapitre suivant pour découvrir...