Genre : Drame
Durée : 119’
Acteurs : Riccardo Scamarcio, Margherita Buy, Alba Rohrwacher, Adriano Giannini, Elena Lietti, Nanni Moretti...
Synopsis : :
Une série d’événements va transformer radicalement l’existence des habitants d’un immeuble romain, dévoilant leur difficulté à être parent, frère ou voisin dans un monde où les rancœurs et la peur semblent avoir eu raison du vivre ensemble. Tandis que les hommes sont prisonniers de leurs entêtements, les femmes tentent, chacune à leur manière, de raccommoder ces vies désunies et de transmettre enfin sereinement un amour que l’on aurait pu croire à jamais disparu...
La critique de Julien
Présenté en Sélection officielle en compétition au 74e Festival de Cannes, "Tre Piani" ("Trois étages" en français) est le premier film du cinéaste italien Nanni Moretti pour lequel il n’a pas écrit le scénario original, lui qui adapte en effet ici l’œuvre littéraire "Shalosh Qomot" (2017) de l’écrivain israélien Eshkol Nevo, déplaçant par la même occasion le décor de Tel Aviv à Rome. Initialement composé de trois confessions distinctes de pécheurs solitaires habitant un même immeuble, Nanni Moretti entremêle ici ces trois histoires, entre blessures et guérisons, tandis qu’on y suit alors l’existence quotidienne de trois familles, à trois étages différents, qu’une série d’événements, et leurs conséquences, va transformer, et cela plusieurs années...
Sans offrir de réponses aux questions qu’il soulève, mais en en soulevant d’autres, le film de Nanni Moretti aborde avec intimité et profondeur des thèmes universels assez lourds, tels que la culpabilité, la responsabilité parentale, la solitude, la justice, la confiance, le soupçon obsessionnel, le reniement d’un enfant, les conséquences de nos choix, ainsi, et surtout, que l’amour. Tout d’abord, au premier étage, il y a un couple de parents, Lucio (Riccardo Scamarcio) et Sara (Elena Lietti), lesquels confient souvent leur fille, Francesca, à leurs voisins et couple de palier assez âgé, dont Renato, plus très lucide. Sauf qu’un soir, leur enfant est retrouvé avec ce dernier, dans un parc... Au deuxième étage, Monica (Alba Rohrwacher) va devenir maman, alors que son époux est constamment à l’étranger pour le travail. La jeune femme mène alors une bataille silencieuse contre la solitude et la peur de devenir un jour comme sa mère, hospitalisée dans une clinique pour troubles mentaux, qu’elle a développés après être devenue mère... Enfin, au troisième étage vivent Dora (Margherita Buy) et Vittorio (Nanni Moretti lui-même), tous deux juges, ainsi que leur fils Andrea (Alessandro Sperduti), vingt ans qui, une nuit, en état d’ébriété, tue une femme au volant de sa voiture...
Alors que les histoires s’interrompent au plus fort de la crise dans le bouquin de son auteur, Nanni Moretti a souhaité offrir aux trois segments familiaux qu’il met en scène une étudie des conséquences de leurs choix, et de voir ainsi leurs répercussions sur leur vie, et celle de leurs proches, de leur entourage... Or, c’est bien connu, notre bien-être est toujours lié au bien-être des autres. Alors qu’il a initialement développé les trois histoires comme s’il s’agissait d’un film distinct, le cinéaste les a ensuite entrelacée les unes avec les autres, le montage faisant en sorte que l’on passe d’une famille à l’autre, ce qui n’autorise, d’après les mots du cinéaste, "aucune suspension du récit". Ayant fait le choix d’un style simple, et sans ornement, le cinéaste confronte alors le spectateur à trois histoires moroses, mais ô combien intéressantes, et surtout magnifiquement interprétées. Si "Tre Piani" n’accuse en effet, d’après de nouveau les mots de Moretti, "aucune distraction, ni disgression", c’est sans aucun doute par le jeu habité et sincère de ses acteurs, eux qui portent avec authenticité ces protagonistes profondément humains, alors écorchés par des situations des plus délicates, difficile à vivre, et qu’aucun humain ne pourrait d’ailleurs surmonter sans se remettre en question. Malgré l’aspect peu accueillant de l’ensemble, le spectateur plonge dans leurs tourments, à chaque niveau, étage, pour mieux apprendre alors à les connaître, et à s’identifier à eux, quitte à se mettre parfois à leur place. En effet, l’une des forces de "Tre Piani", c’est bien de nous prendre par la main, d’affection pour ces histoires qui pourraient nous toucher, bien que, d’une part, l’intrigue ait lieu dans un milieu aisé, et que, d’autre part, la mise en scène manque de chaleur, de vie, de sel, ce qui pourrait en tenir plus d’un à distance... Qu’importe, Nanni Moretti parvient ici à illustrer des passages à vide avec une réalité sentimentale et psychologique qui ne ment pas.
Même si le film ne va jamais au bout de ses idées, mais vise à nous laisser nous-mêmes les approfondir, tandis qu’on n’y retrouve difficilement la patte doucement politique et ironique de son cinéaste, il se dégage de "Tre Piani" une vérité narrative qui prend à la gorge, qui emporte notre adhésion, nous rappelant ainsi à quelles graves sauces la conscience humaine peut être confrontée. Fort, justice à défaut d’être indélébile, et froid.