Genre : Drame
Durée : 117’
Acteurs : Brendan Fraser, Sadie Sink, Hong Chau, Ty Simpkins...
Synopsis :
Un professeur d’anglais reclus souffrant d’obésité tente de renouer avec sa fille adolescente pour une ultime chance de rédemption.
La critique de Julien
Et si "The Whale" marquait le retour tant mérité de Brendan Fraser sur le devant de la scène ? Adaptation de la pièce de théâtre du même nom de Samuel D. Hunter, ce film met en scène l’acteur de "La Momie" dans la peau d’un professeur reclus, souffrant d’obésité morbide (272 kilos) et du syndrome d’hyperphagie incontrôlée due à un état dépressif, lequel va tenter, dans un dernier effort, de rétablir sa relation avec sa fille adolescente, lui qui a abandonné sa famille pour son amant, alors que sa fille n’avait que huit ans. Controversé pour son film, lequel ne met pas en scène un vrai obèse, ce qui renforcerait dès lors les stéréotypes et les idées préconçues grossophobes, sans compter sur le fait que son acteur principal hétérosexuel joue un homosexuel, Darren Aronofsky a essuyé de nombreuses critiques pour ce drame psychologique, lequel est une nouvelle fois empreint de religion, à l’égard notamment de ses derniers films, que sont la fresque biblique "Noé" (2014) et le thriller psycho-schizophrénique "Mother !" (2017). Nominé à l’Oscar du meilleur Oscar (pour Fraser), de la meilleure actrice dans un second rôle (pour Hong Châu) et des meilleurs maquillages et coiffures, force est de constater que son film ne figure pas dans la catégorie du meilleur scénario adapté. Pourtant, "The Whale" marque les esprits, à la fois par le jeu de Brendan Fraser et pour l’écriture de son personnage, alors que l’ensemble de l’intrigue, qui tient en haleine, n’évolue pourtant qu’au sein d’un décor unique, tel au théâtre...
On y suit alors Charlie, à quelques jours de sa mort, lequel enseigne des cours d’écriture universitaires en ligne, lui qui garde sa webcam éteinte face à ses étudiants, ayant honte de son apparence physique (il n’a pas toujours été tel qu’il est devenu), tout en ayant perdu le contrôle, ce qui le conduit aujourd’hui à des crises de douleurs, lequel se mettra, instantanément, à répéter oralement un essai critique de "Moby-Dick", comme si celui-ci lui faisait penser à sa vie... Ce dernier est alors soigné par Liz (Châu), elle qui le presse pour se rendre à l’hôpital, étant donné l’insuffisance cardiaque congestive dont il souffre, et qui va le tuer incessamment sous peu s’il ne se soigne pas ; ce qu’il refusera, craignant de ne jamais pouvoir rembourser la dette qui en résulte, étant donné qu’il n’a pas d’assurance maladie. En parallèle, Charlie recevra la visite d’un jeune missionnaire (Ty Simpkins) persuadé que Charlie peut être sauvé en entendant le message d’amour et le salut du Christ, alors que l’église pour laquelle il prêche aurait causé des dégâts, par culpabilité religieuse, dans la vie de Charlie. De plus, Ellie (Sadie Sink, vue notamment dans la série "Stranger Things"), la fille de Charlie, réapparaîtra dans sa vie, lui qui ne l’avait plus vue depuis des années, mais de laquelle il avait encore de vagues nouvelles via son ex-femme Mary (Samantha Morton). Se sachant condamné, Charlie va dès lors acheter la présence de sa fille, lui offrant tout l’argent qu’il possède (dans le dos de Liz) si elle accepte qu’il l’aide à réécrire un essai scolaire ; la demoiselle étant dans une situation compliquée de rejet, et donc pas certaine d’obtenir son diplôme. Et si Charlie pouvait ainsi faire une bonne chose dans sa vie, pour sa fille ?
"The Whale" permet ainsi à Brendan Fraser de jouer un véritable rôle de composition, ayant nécessité pas moins de six heures de maquillage, affublé d’une imposante combinaison prothétique (un "fat suit"). Et l’acteur épate dans la peau de cet homme tombé désespérément amoureux, n’ayant dès lors souhaité renoncer à ce bonheur-là, quitte à renoncer à un autre, soit celui de ses sentiments de père. À mesure que ce drame nous en apprend dès lors sur lui, le spectateur se prend d’empathique à son égard, lequel, à bout de souffle, va jouer le tout pour le tout, du haut de sa tribune, ou depuis son fauteuil roulant, face à sa fille, dégoûtée par ce dernier, mais non pas pour ce qu’il est devenu, mais bien pour ce qui lui a fait subir, tout ça pour "baiser un étudiant", d’après ses propres mots. Contrairement à ce que pensent certaines critiques, Darren Aronofsky ne montre dès lors pas ici un homme répugnant par son physique ; loin de là. La maladie de son personnage est ici montrée face à la dépression dont il souffre depuis la disparition de son amant (pour des raisons nuancées que nous découvrirons ici). Le titre du film, qui pourrait ainsi faire croire à du mauvais goût, ne reflète d’ailleurs aucunement l’état physique morbide de son personnage, mais bien un message métaphorique en lien avec le livre de Herman Melville, qui va littéralement le faire avancer, vers sa fille, et en même temps vers la mort.
Qu’il est ainsi terrible de voir un homme se faire du mal intentionnellement, notamment lors d’une scène choquante où celui-ci s’empiffrera de pizzas et de tout ce qu’il trouvera, non pas à manger, mais à ingérer, par tristesse, face aux conséquences des choix qu’il a faits dans sa vie. D’où cette quête urgente et déterminante de pardon, de résilience, d’honnêteté, au centre de "The Whale". Enfin, on voit au travers du rôle de Brendan Fraser une inhérence à son histoire. Lui qui fut autrefois admiré à Hollywood a devoué son corps et sa santé au cinéma, avant de s’en retirer suite aux lourdes conséquences physiques handicapantes, tandis qu’il a révélé en 2018 avoir été victime d’une agression sexuelle, par Philip Berk, remontant en 2003 (il avait 34 ans), lequel était à l’époque président de l’Association de la presse étrangère à Hollywood (chapeautant les Golden Globes), lui qui l’aurait placé sur une liste noire, ce qu’il nie. Le personnage de Brendan Fraser offre dès lors un contrepoint intéressant à la dictature des apparences, notamment à Hollywood, alors que se cache toujours un humain dans un corps, ce que dit aussi "The Whale". Nous sommes, en tout cas, très curieux de voir comment sa carrière cinématographique va renaître, au même titre ici, quelque part, de Charlie...
Tourné dans un décor unique, soit celui d’un appartement étouffant (à l’image de la maladie susmentionnée), peu reluisant, à la lumière tamisée, le film de Darren Aronofsky parvient ainsi à susciter en nous de l’obsession quant à ce qui se joue pour cet homme et père brisé, complexe, lui dont le combat pour la vie est perdu, mais pas encore sa postérité, au travers de ce qu’il pourrait apporter à sa fille, inconsciente de ses capacités. Cependant, le film s’éparpille dans des sous-intrigues assez floues entre ses personnages secondaires, où la parole de Dieu est souvent, mais vaguement émise, dont entre Ellie et ledit missionnaire, lui qui est finalement aussi égaré qu’elle, mais qui, en quête d’aveux, va réaliser les siens, et cela à la suite d’une révélation de bonté insoupçonnée, comme si elle était venue du Ciel... En effet, outre ce qu’en pense son père, Ellie ne serait pas réellement celle que le film prétend longtemps nous montrer. Or, cela s’avère poussif, quelque peu infondé, et non nécessaire. Par contre, la teneur de la relation qui lie Charlie à Liz (Hong Châu) est, quant à elle, très juste et profonde, et finalement révélatrice de bien des questions en suspens. Mais on reconnaît bien là le cinéma de son cinéaste, où la religiosité et la symbolique vont de pair, et même à tout-va, sans pour autant aboutir, bien que l’on comprenne où Darren Aronofsky et le scénariste et dramaturge Samuel D. Hunter (d’après sa propre pièce de théâtre) veulent en venir, soit au poids des traumatismes religieux sur nos vies.
L’autre force de "The Whale", c’est de ne jamais être handicapé par ses nombreux dialogues et son développement d’intrigue stagnant, où vont et viennent ses personnages, laquelle évolue ainsi à petits pas, au même titre finalement que la routine - de prime abord - immuable de Charlie, comme le fait de commander des pizzas, tout en laissant l’argent dans la boîte aux lettres, afin qu’il n’interagisse physiquement pas avec le chauffeur-livreur Dan (Sathya Sridharan), dont le personnage est cependant crédité au générique, et que l’on finira donc par voir à l’écran. On reste alors, au même titre que son personnage principal, emprisonné dans notre fauteuil de cinéma, profondément touché par la force que va trouver cet homme, dans ses derniers retranchements, pour susciter la réconciliation, et confronter le regard de celle qu’il a toujours aimée, face à ce qu’il peut encore lui apporter en tant que père. À l’image finalement de la scène finale, cathartique et métaphorique, engloutie dans une lumière blanche, telle la libération tant attendue, soit la délivrance d’un poids aussi lourd que celui d’une baleine...