Synopsis : Tony Webster, divorcé et retraité, revient sur les quarante dernières années de sa vie, ponctuées d’échecs sentimentaux et d’amitiés fragiles.
Acteurs : Jim Broadbent, Michelle Dockery, Charlotte Rampling, Emily Mortimer, Harriet Walter, Freya Mavor.
Une fille, qui danse !
Il est bien difficile de faire une critique de ce film qui est l’adaptation d’un petit roman de Julien Barnes (né en 1946) The Sense of an Ending (2001) traduit (curieusement ?) en français sous le titre Une fille, qui danse en 2013. Ce dernier titre, en particulier sa virgule avait fait l’objet de plusieurs débats littéraires lors de la sortie française d’un livre qui avait reçu lors de sa publication originale le prestigieux prix Booker (Man Booker Prize for Fiction). Une fiction donc... mais possiblement autobiographique en partie. Un roman passionnant en deux parties qui est une œuvre de mémoire et un travail sur la mémoire.
Adaptation temporelle !
C’est que l’adaptation de ce livre au cinéma (un thème qui me tient particulièrement à cœur) est très complexe car celui-ci consiste essentiellement à relire et revivre le passé à partir du présent. Tout l’enjeu étant d’éclairer et de dévoiler progressivement les éléments de l’intrigue pour (tenter d’)élaborer la vérité d’une histoire et de faits passés. Le réalisateur passe ainsi du passé à aujourd’hui à plusieurs reprises ce qui oblige le spectateur à un important effort d’attention. De l’intrigue on ne peut rien dire. Si à la sortie du film plusieurs confrères estimaient avoir vu un beau film, classique, probablement trop complexe dans son écriture, ils s’étonnaient presque de l’émotion que j’avais ressentie. Etait-ce dû au fait que j’ai l’âge du narrateur de l’histoire (narrateur qui pour le coup n’est pas vraiment « omniscient ») ou que mon ancien travail d’Officier de police judicaire m’avait confronté régulièrement à la fragilité de la mémoire ? Et tout particulièrement lorsqu’il s’agit de souvenirs anciens ou de reconstituer un passé.
Au commencement, le livre...
Je me souviens...
donnent le ton.
La mémoire est en jeu (et enjeu !) dans l’histoire. Et pour ce qui est de celle, singulière, au cœur du roman et du film, elle fait des allers-retours espacés de 45 ans.
Si vous n’avez pas lu le synopsis du livre, sachez seulement que l’arrivée d’une lettre va constituer un élément déclencheur. L’important n’est pas tant d’ailleurs celle-ci ou son contenu mais le fait qu’elle va obliger le héros et narrateur à plonger dans le passé, à le relire, le décoder, le construire ou le reconstruire. Mais qu’est-ce que le passé ou, pour le dire autrement grâce à une des clés du film (et du livre) dans une question posée par un des professeurs à l’université « Comment décririez-vous le règne d’Henri VIII ? » et la réponse, surprenante : « il s’est passé quelque chose » ! Une autre dans l’assertion d’un des étudiants : « Camus a dit que le suicide est la seule véritable question philosophique (…) ».
Que s’est-il passé ?
De nombreuses scènes du roman sont reprises dans le film, parfois à des moments différents, ainsi dans le livre, dès les premières pages, l’explication de la montre retournée est donnée alors qu’il faudra plus de temps dans le film. Par ailleurs ce dernier n’est pas divisé en deux parties. Ou encore, il n’est pas question de magasin d’appareil photo, de Leica dans le livre. Toutefois, malgré une certaine complexité dans la narration, j’estime que le principe de celle-ci permet de comprendre la fragilité de la (re)lecture du passé et, en jouant sur le mot : « que s’est-il passé ? »… Il s’est passé quelque chose ! Mais quel en est mon souvenir ? Celui-ci est-il vrai ? Pour le dire avec une citation du livre pas reprise comme telle dans le film mais qui est bien dans son esprit : « Il me semble que cela peut être une des différences entre la jeunesse et la vieillesse : quand on est jeune, on invente différents avenirs pour soi-même ; quand on est vieux, on invente différents passés pour les autres. »
Qui me contestera ?
Enfin, parce que l’on pourrait écrire un roman sur le film et de nombreux films pour adapter le roman, cette citation de celui-ci résume bien tout l’enjeu du regard que Tony porte sur son histoire : « Combien de fois racontons-nous notre propre histoire ? Combien de fois ajustons-nous, embellissons-nous, coupons-nous en douce ici ou là ? Et plus on avance en âge, plus rares sont ceux qui peuvent contester notre version, nous rappeler que cette vie n’est pas notre vie, mais seulement l’histoire que nous avons racontée au sujet de notre vie. Racontée aux autres, mais — surtout — à nous-même. »
Cette critique est donc plus littéraire que cinématographique, puisqu’il est difficile de parler de l’intrigue ; Difficile aussi de déterminer quel sera son public. Je ne puis que partager ici une double passion, celle du livre et celle du film. Le premier n’est pas indispensable pour découvrir le second. Bien plus, partir vierge de sa lecture permettra d’entrer dans le suspens et le plaisir de la découverte. En revanche, partir riche du roman pourra aider à comprendre la complexité du film et à admirer la façon dont le réalisateur... - à qui l’on doit Lunch Box - a pu adapter et garder, du récit pour en faire du neuf avec de l’ancien. Le réalisateur est aidé en cela par un casting d’acteurs de talents, tout particulièrement, dans le rôle de Tony, Jim Broadbent (Another Year, Cloud Atlas, Un Week-end à Paris, Paddington, Brooklyn... ou, dernièrement en série télévisée, London Spy). S’il y a Charlotte Rampling - peu présente à l’image - dans le rôle de Veronica, il y a aussi le peu connu Billy Howle qui joue de façon remarquable le rôle de Tony jeune avec l’insouciance et la fausse maturité qui conviennent au rôle.
Je conclus avec les dernières phrases du roman :
« Il y a l’accumulation. Il y a la responsabilité.
Et, au-delà, il y a un trouble. Il y a un grand trouble. »