Synopsis : Une femme, enseignante à New York, devient obsédée par l’un de ses élèves, un enfant de cinq ans qui a tout pour être un poète prodigieux. Elle met en danger sa propre carrière, sa famille et sa liberté pour le protéger et pour réaliser son potentiel.
Acteurs : Maggie Gyllenhaal, Gael García Bernal, Rosa Salazar, Parker Sevak.
Ceux et celles qui apprécient le cinéma israélien [1] se souviendront d’un "petit" film de Nadav Lapid (après son excellent mais controversé Ha-shoter (Le Policier), Haganenet (L’institutrice) sélectionné dans la Semaine de la critique au Festival de Cannes 2014. Le film avait été multi-primé et le réalisateur fait dire à l’enfant ses propres poèmes qu’il créait au même âge !
La même année, Sara Colangelo réalisait son premier film, un drame intitulé Little Accidents qui n’est pas sorti dans nos pays et dont on ne trouve pas de DVD avec des sous-titres en français. Ce film racontait l’histoire de la disparition d’un petit garçon (interprété par Jacob Lofland qui avait joué dans Mud un an plus tôt !) dans une ville aux USA, événement qui rapprochera trois personnes dont les existences sont très différentes. De la réalisatrice, un blogueur canadien écrit (à propos de ce film) : "Une chose est sûre cependant : Sara Colangelo possède un réel talent. Espérons qu’à l’avenir, elle en soit pleinement consciente et qu’elle ne se sente pas obligée de se cacher derrière des artifices dont elle n’a aucunement besoin." (source). Espérons que ce film puisse sortir dans l’une ou l’autre salle indépendante ou d’art et d’essai à l’occasion de la sortie de ce remake.
Le titre anglais, que l’on peut traduire littéralement par "La professeur de jardin d’enfants" convient d’ailleurs autant que "L’institutrice", car cette intrigue se déroule bien dans une école maternelle où un enfant de cinq ans se met à créer des poèmes, précédés d’un "j’ai un poème". La réalisatrice offre ici un remake en condensé (1h36) de l’original (2h00) en laissant de côté ses dimensions politiques et oniriques. Certains plans sont même quasiment identiques au film de Nadav Lapid que certains préféreront pour les sonorités très chantantes de l’hébreu et les (ou des) poèmes sont ceux de l’israélien ! Ce faisant, ce n’est peut-être pas (encore) avec ce film que Sara Colangelo va déployer un réel talent. Même si le film qu’elle offre ici est remarquable par les enjeux qu’il soulève, il reste à la réalisatrice de vraiment se déployer dans une oeuvre originale.
L’on ne dévoilera pas outre mesure l’intrigue pour laisser un peu de suspens (du moins pour ceux qui n’ont pas vu L’institutrice !) pour mettre en avant le personnage de Lisa Spinelli (Maggie Gyllenhaal) poétesse elle-même dont Simon, son professeur [Gael García Bernal, remarquable et qui n’est pas sans faire penser ici à son rôle de Rodrigo De Souza dans Mozart in the Jungle (Amazon TV Series)] estime (comme le reste de la classe) qu’elle manque d’originalité. cela ne l’empêche pas d’entendre, découvrir et discerner un réel talent (qui s’ignore dans la naïveté d’une innocence première) chez un jeune enfant de sa classe. De ces poèmes d’une étonnante maturité pour un enfant, elle se fera le porte-parole, le porte-voix tout en s’augurant du prestige de les avoirs créés.
Elle est ainsi tenaillée par le souci, sincère, de développer ce qui est latent chez Jimmy Roy (Parker Sevak) qui a un réel talent. Hélas pour elle, tant sa nounou que son père y son insensibles pour des raisons différentes. La nounou car, actrice potentiellement en devenir mais surtout en quête d’auditions, ne se préoccupe pas de Jimmy, tandis que son père, lui, qui a délégué l’éducation de l’enfant à la nounou, ne veut pas d’un artiste mais souhaite que son fils puisse devenir un homme qui gagne sa vie dans le monde ! Mais il s’agit donc d’une des mâchoires de ce qui tenaille Lisa. L’autre est sa ré-appropriation de la production de l’enfant pour son propre compte. Nous serions dans une situation analogue, abordée dans The Wife de Björn Runge, chez les adultes !
Qui sera pris dans cet étau ? L’enfant ? Lisa ? Qu’en est-il de l’authenticité et du souhait de faire connaître un jeune prodige au monde ? Comment faire entendre sa voix ? Quelle route faut-il prendre pour que celle-ci s’étouffe ? Quelle porte se fermera sur vous lorsque de mauvaises décisions se prennent alors même que vous êtes la seule personne à écouter et entendre la Voix et le Poème ? Et que deviennent le Poète et le Poème s’il n’y a plus personne pour discerner, entendre et comprendre lorsque retentissent les mots : "J’ai un poème !" ? Telles sont les nombreuses questions que le film pose et qui resteront longtemps à la mémoire du spectateur après la vision de ce film qui, pour n’être pas l’original ne manque pas d’originalité !