Synopsis : Situé dans les coulisses de trois lancements de produits emblématiques et se terminant en 1998 avec le dévoilement de l’iMac, Steve Jobs nous entraine dans les coulisses de la révolution numérique pour peindre un portrait intime de l’homme brillant à son épicentre.
Acteurs : Michael Fassbender, Kate Winslet, Seth Rogen, Sarah Snook, Jeff Daniels, John Ortiz, Michael Stuhlbarg, Katherine Waterston.
Il y aurait deux clans, parait-il, ceux qui sont du côté lumineux de la force et donc Mac (Apple, MacIntosh, Steve Jobs) et les autre, du côté obscur (Windows, Bill Gate) [1]. C’est dire que parler de Jobs c’est entrer sur un terrain d’ordre affectif à défaut d’être divin. Beaucoup de fans se souviendront des grands-messes [2] où Steve présentait un nouveau produit et soulevait l’enthousiasme de toute l’assemblée.
D’un livre à l’écran
Avant de traiter du film, il faut faire mention du livre de Walter Isaacson qui nous présente Steve Jobs comme "un génie et un visionnaire. Quand il décidait de réaliser quelque chose, il ne reculait devant rien pour que cela se fasse. Tout au long de sa carrière, son travail se situa à la frontière entre la technologie et l’art. Son esprit, son franc-parler et sa capacité unique de convaincre et de vendre poussaient ses collaborateurs à se dépasser. Même s’ils ne s’en rendaient pas compte à l’époque, les membres de son équipe apprirent à l’apprécier. Sa constante persévérance lui a permis de réaliser son rêve : changer le cours de l’histoire."
Ce n’est pas la première "biographie" de Steve Jobs pour le cinéma. Il y avait eu Jobs réalisé par Joshua Michael Stern et sorti en 2013 avec Ashton Kutcher dans le rôle-titre. Le film n’aurait pas vraiment séduit. Là où Stern suivait la vie de Steve de 1971 à 2001, Danny Boyle épinglera trois éléments de la carrière de Jobs. Il s’agit donc de bien autre chose qu’une simple adaptation d’un livre. Trois chapitres de quarante minutes chacune constituent ce long métrage : le lancement du Macintosh 128, celui du NeXT et enfin celui du premier Imac (bondy blue).
La vision off-scène de Jobs !
Ces trois lancements sont mythiques, dont le premier, qui a été précédé d’une publicité qui a marqué les esprits lors du Superbowl en 1984. Elle sera Apple "in", la deuxième, Apple "out" et la dernière, Apple "in", le retour ! Les fans, nombreux, de Steve Jobs, autant liés à la marque qu’à l’homme - qu’ils divinisent parfois - seront probablement déçus par la vision qui est présentée de celui qui, à défaut d’être un "dieu" est leur "prophète". Mais peut-on dessiner ou représenter leur prophète ? Il ne s’agit certes pas d’une "caricature" de Jobs, mais d’une vision "off-scène" de celui-ci (et même ob-scène, au sens littéral du mot). Il nous est montré les coulisses de trois représentations, sorte de making-of qui vient casser une image divine. Il ne s’agit donc pas d’un panégyrique, mais d’une mise en scène de ce qui ne doit pas être montré. Et ce qui est vu ici était su par certains, mais ne se montrait pas. Danny Boyle et Aaron Sorkin prennent ici les fans à rebrousse-poil. Ceux qui l’adulent sont et seront déçus parce que l’on montre l’envers du décor, la face cachée, l’homme de et dans l’ombre et pas le côté lumineux, sous les projecteurs. Ils le seront aussi parce qu’il n’est pas question des succès qui suivirent, de la montée en puissance de l’homme qui changea à jamais le monde de l’informatique. On songera, par exemple, à l’Ipod ("prophétisé" dans le film) ou à l’Iphone.
De l’ombre à la lumière...
Steve Jobs est un film de conflits ad intra et ad extra ! Ainsi, sorte de mise en abime inversée, les difficultés furent nombreuses pour produire le film, tant pour le choix de qui le réalisera que pour celui qui interprétera le rôle principal. En réalité, tous deux sont des "seconds choix". Outre les nombreuses difficultés pour trouver l’acteur principal, Sony Pictures a renoncé à produire le film en novembre 2014. Ce sera Universal Pictures qui en rachète les droits ! D’une certaine façon la pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs est devenue la pierre angulaire ! On ne s’étonnera pas de cette référence biblique pour un critique cinéma au service d’une radio chrétienne qui ajoute cependant que des difficultés analogues ont marqué la genèse du western Jane Got A Gun qui sortira en Belgique en fin février. Et, pour en revenir à Steve Jobs, si l’Apple-user que je suis n’a pas reçu son compte, en revanche, le cinéphile est comblé. C’est qu’un autre génie est à l’oeuvre, le scénariste Aaron Sorkin, dont on se souviendra de The Social Network et plus encore de l’excellente série The West Wing. Ce sont ces images très fluides de couloirs, de salles où se décide, dans l’ombre, dans les coulisses et parfois le secret, l’avenir du monde. Plus encore, ce sont d’abord et avant tout les conflits, les aspérités relationnelles qui feront avancer les choses qui dépasseront le statu quo. Sorkin retiendra des relations conflictuelles, professionnelles avec Steve Wozniak, Joanna Hoffman, John Sculley, Andy Hertzfeld, ou familiales, avec sa "fille" Lisa Jobs ou sa "petite amie", Chrisann Brennan. Dans ces coulisses, avant de monter sur scène, il nous est donné de voir ces conflits qui seront avant tout de "parole". Il s’agit tout d’abord de la parole, du verbe, de ce qui distingue l’homme de l’animal, mais aussi de la parole donnée, respectée ou pas, de la parole crue ou pas, obviée parfois (ainsi du sens de Lisa, prénom d’une petite fille ou acronyme qui ne veut rien "dire" !?). Il s’agit aussi de la parole "non dite", celle de "reconnaissance", au double sens de remerciement, mais également d’affirmation que "dieu" ne crée pas ex nihilo et qu’il y a une histoire antécédente et des humains qu’il faut remercier. Pour jouer moi-même sur les mots, l’on peut affirmer du film de Boyle/Sorkin qu’il est obscène, car il nous montre ce que l’on ne doit pas voir et qu’il cesse de montrer dès que l’on monte sur scène. Rideau donc, là où les règles d’un blockbuster nous montreraient une foule en délire debout et aux pieds de son "dieu". Les réalisateur et scénariste le basculent de son piédestal pour nous montrer un humain, dans sa fragilité et ses contradictions. Voilà pourquoi le film doit être vu, même s’il risque de déplaire à certains - public, critiques et fans inclus - car il s’agit certainement du plus bel hommage que l’on pouvait faire à Steve Jobs comme l’écrit Christophe Brangé sur le site abusdeciné (j’ajouterais même : et un très bel "éloge" funèbre !).
Un regret toutefois au plan des sous-titres français [du moins pour le sous-titrage (bilingue) à Bruxelles] où le terme technique "slot" (qui désigne un emplacement dédié à une carte spécifique dans un ordinateur, voir illustration ci-contre) soit traduit par logement. Il n’est pas sûr que cela soit compris aujourd’hui. A l’heure du franglais il aurait été plus simple de garder slot.
Liens :
- Présentation de la biographie écrite par Walter Isaacson
- Ce livre sur Wikipedia
- Le Macintosh 128K sur Wikipedia
- La vidéo de la publicité en 1984 lors du Superbowl
- Le Next sur Wikipedia
- Le premier Imac sur Wikipedia