Synopsis : Octobre 1944, Auschwitz-Birkenau. Saul Ausländer est membre du Sonderkommando, ce groupe de prisonniers juifs isolé du reste du camp et forcé d’assister les nazis dans leur plan d’extermination. Il travaille dans l’un des crématoriums quand il découvre le cadavre d’un garçon dans les traits duquel il reconnaît son fils. Alors que le Sonderkommando prépare une révolte, il décide d’accomplir l’impossible : sauver le corps de l’enfant des flammes et lui offrir une véritable sépulture. Photo ci-contre : László Nemes
Acteurs : Géza Röhrig, Levente Molnár, Urs Rechn
Dès le début du Festival de Cannes 2015, je misais beaucoup sur ce film et le voyais obtenir la Palme, rien moins que cela ! Nous savons ce qu’il en est et je ne reviendrai pas sur les polémiques suscitées par le jury cannois. N’empêche, après avoir vu le film, toutes mes attentes se voient confirmées. Nous avons affaire à un grand film et à un réalisateur d’envergure pour ce premier long métrage.
Le dos aux portes de l’enfer !
László Nemes [1] tourne en pellicule 35 mm, au format 1.37:1. Il s’inspire d’un livre de témoignages Des voix sous la cendre. Ces textes aussi appelés "rouleaux d’Auschwitz" ont été publiés par le Mémorial de la Shoah. "Il s’agit de textes écrits par des membres des Sonderkommandos du camp d’extermination, enterrés et cachés avant la rébellion d’octobre 1944, puis retrouvés des années plus tard. Ils y décrivent leurs tâches quotidiennes, l’organisation du travail, les règles de fonctionnement du camp et de l’extermination des Juifs, mais aussi la mise en place d’une forme de résistance". Ce sont ces souvenirs de l’horreur d’un passé que l’on ne peut oublier que le réalisateur met en images. Il choisit un cadre volontairement serré, centré sur son objectif : Saul. Nous ne voyons que lui et nous ne voyons que ce que lui voit. L’horreur que Saul ne voit pas ne nous sera pas montrée, elle restera hors de nos yeux, mais nos oreilles ne seront pas à l’abri des cris qui expriment l’horreur et l’épouvante de la situation. Nous sommes condamnés à être les yeux et le corps de Saul, en totale empathie avec lui, malgré l’horreur que suscite sa collaboration. Ainsi lorsqu’il faut aider les prisonniers par le mensonge à prendre une douche que nous savons - et que lui sait être - fatale, lorsque la porte se ferme sur l’enfer, les cris retentissent pendant que lui Saul et ses compagnons reprennent les vêtements et les bijoux - qui devront être remis aux gardes - pour préparer une pièce propre pour les suivants, dès que les "pièces" (comme disent les Allemands pour désigner les cadavres - le mot traduit ici l’horreur plus que "dépouilles" !) seront enlevées. Tout comme dans le film El Club (qui traite d’une tout autre abjection), l’image est salle ou plutôt, elle n’est pas belle [2] !
Celui-ci est mon fils bien-aimé !
Dans cette horreur indicible, Saul est là, travaillant pour l’ennemi, contre les siens, pour reporter de quelques semaines ou mois le sort qui est le sien : lui aussi passera un jour - et c’est pour bientôt, une liste se prépare - les portes de l’enfer. Il le sait, nous le savons. Bien que fiction, ce film est "cinéma du réel" ! Il lui faut être efficace contre les siens. Mais un jour, lorsque l’on retire les cadavres de la chambre à gaz, un jeune corps râle, souffle. Ce n’est pas normal et c’est déjà la deuxième fois que cela se présente. Et ce souffle fragile n’aura pas voix au chapitre et il faudra l’éteindre, l’étouffer en même temps que sa sur-vie ! Parce qu’enfant, "sans paroles" donc, littéralement, il n’a pas le droit de parler de témoigner de ce qu’il a vu. Mais, le voyant, Saul pourra (se) dire "celui-ci est mon fils bien-aimé" (je suppose que l’on aura saisi mes références !). Dès ce moment, les choses changeront pour Saul. A ce corps sans défense, Saul voudra donner sépulture, pour lui éviter les flammes. Il lui faudra trouver aussi un rabbin pour dire les prières prévues par sa religion. Ce corps que les responsables du camp veulent autopsier, il faudra bien le voler avant, le cacher. Ce sont ces quelques heures que le film nous donne à vivre. En même temps la vie - ou plutôt la mort - dans le camp se poursuit, mais aussi une résistance tente de s’organiser (il faut aussi chercher des explosifs : occasion d’une scène intense dans un campement de femmes que je vous laisse découvrir à l’écran). Il faut photographier le mal en action pour en rendre compte. Le film s’inspire ici de fait réel, à Birkenau où "la résistance polonaise a introduit un ou plusieurs appareils photo chez les Sonderkommandos, pour témoigner de l’extermination. Au prix de risques inouïs, ils ont réussi à photographier, juste avant la fermeture et juste après l’ouverture d’une chambre à gaz, les femmes qui s’approchent nues, puis les cadavres entassés, sortis dehors, qu’on brûle à même le sol.".
Qui est ce fils ? Ce n’est pas le sien lui dit-on ! ce serait celui d’un premier mariage ! Peut-être que oui, peut-être que non. Peut-être s’agit-il d’une adoption "hic et nunc" ! L’important n’est pas là. Et lorsque dans une cabane, perdue dans un bois au cours d’une tentative de fuite, un autre fils lui sera donné, il nous sera à nous donné de voir le réel et l’horreur [3] - il n’y a pas d’autres mots - qui mettra un terme à la quête de Saul.
Le son et l’acteur
La prise de son mérite d’être mise en exergue. Nous sommes bien loin des effets surround et autres, mais la spatialisation est telle que certains murmures du film nous paraissaient venir de la salle elle-même ! Ce que confirme László : "Avec l’ingénieur du son, Tamás Zányi, qui a participé à tous mes films, nous avons décidé de travailler sur un son à la fois très simple, brut, et aussi complexe, multiple. Il faut rendre compte de l’atmosphère sonore de cette usine des enfers, avec de multiples tâches, des ordres, des cris, et tant de langues qui se croisent, entre l’allemand des SS, les langues multiples des prisonniers, dont le yiddish, et celles des victimes qui viennent de toute l’Europe.
Le son peut se superposer à l’image, parfois aussi prendre sa place, puisque certaines manquent et doivent manquer. Je comparerais cela à des couches sonores diverses, contradictoires. Mais il faut garder toute cette matière sonore brute, surtout ne pas la refabriquer en la polissant trop.".
Enfin, Géza Röhrig, l’acteur principal n’en est pas un ou, du moins, c’est le premier rôle d’un écrivain et poète hongrois qui vit à New York. Son visage sans âge et peu expressif était celui qui convenait au réalisateur qui l’avait rencontré quelques années auparavant : "À un moment, j’ai pensé à lui. Sans doute, car tout est mouvant et mouvement chez lui, sur son visage et son corps : impossible de lui donner un âge, il est à la fois jeune et vieux, mais il est aussi beau et laid, banal et remarquable, profond et impassible, très vif et très lent ; il bouge, remue vite, mais sait également très bien garder le silence et l’immobilité."
Saul fia est film âpre, dur, intense dont vous ne sortirez pas indemne. Nous sommes en totale empathie avec Saul et nous nous sentons radicalement impuissants, nous souvenant que derrière cette fiction il y a l’Histoire, la vraie, cruelle. Il y a urgence à nous le rappeler en ces temps troubles et troublants que les guerres et les événements récents suscitent en Europe !
Une interview par Cinéfemme
Ma consoeur Christie Huysmans, du site Cinefemme, a rencontré Géza Röhrig. "C’est dans Le Fils de Saul, film réalisé par László Nemes (Grand Prix du Jury au Festival de Cannes 2015) que Géza Röhrig s’est révélé au cinéma. Il y incarne de manière bouleversante le rôle de Saul Ausländer, un membre du Sonderkommando, qui mettra tout en œuvre pour offrir une sépulture digne de ce nom à un enfant dans les traits duquel il croit reconnaître son fils. De passage à Bruxelles pour y présenter ce film choc en avant-première dans la foulée du Festival de Gand, Géza Röhrig nous a fait le plaisir de nous accorder une entrevue..." Poursuivre la lecture sur cinefemme.be...