Genre : Drame
Durée : 106’
Acteurs : Jafar Panahi, Naser Hashemi, Mina Kavani...
Synopsis :
Dans des histoires d’amour parallèles, deux couples font face à la structure de pouvoir social dans laquelle ils se trouvent. Dans le même temps, le réalisateur Jafar Panahi se retrouve involontairement impliqué dans une émeute politique dans le village lorsqu’on lui demande de partager la photo d’un couple dans une relation interdite. Le drame s’intensifie et il devient vite évident que des actions artistiques apparemment innocentes peuvent avoir des conséquences extrêmes. Face à tant de défis, Panahi réfléchit à l’impossibilité de quitter son pays natal, l’Iran. Bien que cela semble aussi simple que de franchir une frontière invisible au milieu de la nuit, sur une colline déserte quelque part...
La critique de Julien
Tourné clandestinement et en équipe réduite en Iran, où il a l’interdiction de réaliser depuis une dizaine d’années, "No Bears" est le dixième long métrage réalisé par Jafar Panahi, et le premier depuis "3 Faces" (2018). Interdit également de quitter le territoire iranien, le cinéaste a même été emprisonné le 11 juillet 2022, et condamné à six ans de prison pour "propagande contre le régime", alors qu’il suivait la situation d’un autre cinéaste emprisonné, Mohammad Rasoulof. Libéré le 03 février dernier alors qu’il venait d’entamer une grève de la faim, et cela quelques jours avant la sortie, chez nous, de son nouveau film, Jafar Panahi a pris une nouvelle fois des risques pour "No Bears", lequel se filme lui-même, tentant de donner ses indications, via ordinateur et visio, à son assistant metteur en scène, pour filmer un métrage dans les rues d’une ville turque située de l’autre côté de la frontière, et cela depuis une maison d’un petit village de la minorité azérie, au nord de l’Iran. Alors que le réseau Internet n’est pas des plus propices au travail, ce film dans son film met alors en lumière un vrai couple qui tente d’émigrer en Europe à l’aide de faux passeports. Parallèlement à cette mise en abyme, le cinéamiserste subira ici la méfiance de la population locale, voyant d’un mauvais œil sa présence, par superstitions et traditions, d’autant plus qu’il aurait photographié un couple illégitime, dont l’histoire d’amour secrète remet en cause une promesse de mariage...
Alors qu’il a remporté à la Mostra de Venise 2022 le Prix spécial du jury pour ce film, Jafar Panahi fait une nouvelle fois état de la répression du régime iranien, et de l’absence de liberté qu’il exerce sur ses habitants, enracinés. Mais alors qu’il avait l’habitude de le faire tout en restant optimiste, "No Bears" est sans doute son film le plus âpre, pessimiste, et tragique vis-à-vis des histoires qu’il met en scène. La fiction confondante se heurte alors ici avec la dure réalité, dans ce film que l’on sent plus que jamais motivé par la peur de tout un peuple, dont celle de son metteur en scène le premier, lequel recule ici devant la frontière du pays, qu’il pourrait pourtant traverser clandestinement, elle qui, en pratique, est sous le contrôle des contrebandiers et des trafiquants d’êtres humains. Car s’il n’y a peut-être ici aucun ours dans les parages, les autorités, elles, ne sont jamais bien loin, et sans pitié. Drame métatextuel et politique, "No Bears" pose également la question de l’art de pratiquer le cinéma indépendant en Iran, sans être vu comme un criminel, ou ne serait-ce que la photographie, sans être surveillé de toutes parts, ni subir la censure, l’exil ou, pire encore, l’isolement. C’est un film engagé qui se regarde comme une œuvre à part dans la cinématographie de ce cinéaste, qui vit pour créer, tout en gardant espoir de pouvoir le faire librement. Mais nous n’y sommes pas encore, à l’image du tournage, dénoncé, et ayant forcé les équipes à fuir aux alentours, sous peine d’être arrêtées.
Dépouillé dans sa cinématographie, et très parlé, "No Bears" n’est pas un film à montrer au grand public, lequel est loin d’exister pour le divertir, mais bien aux cinéphiles assidus du travail de Panahi. D’ailleurs, par ce jeu de frontières perméables, on a même l’impression de voir ici un documentaire, tandis que Panahi est sans cesse auprès de l’habitant, jouant tous deux, quelque part, leurs propres rôles. Et si l’on a parfois du mal à y voir clair dans ses intentions de mise en scène, ce film est un franc et courageux acte citoyen, bravant les trop nombreux illégaux qui sévissent en Iran (et partout ailleurs sur Terre), comme l’arrestation récente et illégale du réalisateur...