Synopsis : C’est l’histoire d’un outil universel et familier : le fil barbelé. Elle remonte aux premiers colons, à l’esprit de Conquête et à la chasse au sauvage. Elle s’ancre dans l’espace-temps de l’Ouest américain. C’est l’histoire d’un petit outil agricole qui bascule en histoire politique et s’emballe avec le train du capitalisme. C’est l’histoire de l’évolution des techniques de surveillance et de contrôle. L’inversion d’un rapport entre l’Homme et l’animal. C’est l’histoire du monde de la clôture et de la clôture du monde.
Le documentaire qui nous est proposé par Sophie Bruneau aborde un sujet qui touche notre relation à la nature, à l’animal et à l’homme. Tout comme les documentaires de Frederick Wiseman, celui de Sophie Bruneau n’offre aucun commentaire. Aucun dialogue donc, si ce n’est que quelques monologues de protagonistes, tel ce collectionneur de fils de fer barbelés ou cet indien qui vient au secours de quelques rares survivants mexicains qui franchissent la frontière et le désert qui mène aux USA. Pour le reste, de lents et longs travellings horizontaux viennent ponctuer le film de même que des trains, tout aussi longs, qui traversent les Etats-Unis d’Est en Ouest. Après la vision du film on aura pris conscience que ce n’est pas tant un documentaire sur le fil barbelé mais sur la structuration (ou la déstructuration) d’un monde, d’un univers auquel il conduit. Au-delà du fil barbelé (avec toutes ses dérives, voir notamment l’évolution vers le fil rasoir, avec une sorte de hameçon pour les barbelés de prison : "il suffit de suivre les traces de sang et l’on retrouve les prisonniers évadés, exsangues, au pied d’un arbre"), c’est la notion même de clôture et de frontière qui est en jeu.
Le film demande un certain effort de la part du spectateur. Il mériterait d’être vu en groupe, notamment par des adolescents ou des étudiants pour pouvoir en débattre ensuite.
De notre côté, j’espère pouvoir vous proposer bientôt une interview de la réalisatrice sur les ondes de RCF.
Mise à jour : l’interview de Sophie Bruneau a été diffusée sur nos antennes et vous pouvez la réécouter :
Présentation sur le site de Bozar :
Comme dans Trees, son film précédent, Sophie Bruneau n’a besoin que d’un seul objet pour décrire tout un monde. Dans ce cas-ci, c’est au fil de fer barbelé qu’il incombe de raconter l’histoire de la colonisation de l’Amérique. Ce qui était au départ un outil bien utile pour délimiter les enclos à bétail mène au jalonnement en concessions, à la privatisation à grande échelle de la terre et, au bout du compte, à la clôture de la frontière mexicaine pour contrer les réfugiés économiques. Le mythe ancien du Far West et l’expression toujours populaire de « God’s own Country » sont poussés à l’absurde face à la forêt de signes de propriété privée et à la frénésie de clôture. Après tout, l’individualisation et l’industrialisation ont un prix. La terre a cessé depuis longtemps d’être un paysage et s’est transformée en simple territoire arable. Ces faits ne sont pas dépourvus d’un certain humour que Sophie Bruneau met calmement en relief dans Devil’s Rope. Avec enthousiasme et sans se priver de quelques virages surprenants, elle dépeint en vastes tableaux l’origine et la riche variété de ce simple fil de fer en ayant recours à de nombreuses références visuelles du genre cinématographique américain originel, le western.
S’agissant d’un très intéressant documentaire, je conseille de lire l’excellent dossier presse disponible également en ligne sur le site de Bozar.