Synopsis : Printemps 1945, dans le sud-ouest de la France. La population vit au rythme des derniers mois de l’Occupation allemande. Barny, 25 ans, communiste et athée, travaille dans un bureau de poste d’une petite ville, dont le personnel est exclusivement féminin. L’arrivée d’un nouveau prêtre dans la paroisse ne va pas laisser ces femmes indifférentes, mis à part Barny. Elle décide un matin de se rendre à son tour à l’église pour affronter l’abbé dans son confessionnal et le défier. Cette initiative sera la première d’une série de joutes verbales bien plus nombreuses et bien plus complexes qu’elle ne l’imaginait…
Acteurs : Romain Duris, Anne Le Ny, Marine Vatch, Solène Rigot.
Lien vers l’interview du réalisateur.
Confessions de foi ?
Le hasard des programmations fait que deux films "religieux" sortent à quelques jours d’intervalle et si Silence est une "confession" de foi de Martin Scorsese, La confession de Nicolas Boukhrief témoigne de la foi d’un homme et d’une femme, un prêtre et une militante communiste. Ce film, c’est l’histoire d’un homme d’Église, Léon Morin. Et si beaucoup songeront au célèbre film de Melville qui offre en 1961 une Toile à Belmondo dans le rôle de l’abbé Morin, confronté à Emmanuelle Riva, qui interprète la veuve communiste Barny, ils devront résolument clore cette hypothèse, car Nicolas Boukhrief n’en réalise pas un remake cinquante-cinq ans plus tard. Ne serait-ce parce qu’il n’en a pas demandé (ni donc obtenu) les droits, qu’aucune scène et aucune réplique n’en sont reprises. En revanche, La confession adapte le roman écrit par Béatrix Beck en 1952 qui a également obtenu le Goncourt la même année. Et "adapte" est le verbe qui convient, car il s’agit plus d’un film ’d’après’, ’inspiré de’... Et si re-lecture du livre il y a, celle-ci s’écarte de celui-ci et fait oeuvre novatrice et résolument moderne.
Pas un remake de Melville
Il faudra revenir plus loin sur les différences significatives avec le roman pour s’attacher d’abord au ressenti du spectateur au vu du film et tout particulièrement si celui-ci, critique cinéma, est prêtre catholique de surcroit ! C’est que la peur initiale de voir Romain Duris faire du Duris s’estompe très vite, car celui-ci arrive à s’effacer derrière son rôle et sa soutane. Et si celle-ci l’inscrit bien historiquement dans l’époque, si elle habille l’acteur en le moulant dans son rôle, dans le même mouvement, celui-là arrive à la faire oublier, offrant son par son jeu d’acteur un visage et une intelligence pour donner corps à Léon Morin... prêtre. Ensuite, une réflexion que se feront (ou pas !) certains touchera à la "modernité" du prêtre. Très curieusement celui-ci donne l’impression d’avoir été marqué par une théologie (mais aussi ecclésiologie et éthique) colorée par l’après-Concile Vatican II. Ainsi, il est quasiment impensable, si pas impossible qu’un prêtre catholique puisse offrir les Evangiles à un fidèle dans les années 45. Et sur le livre que Morin donne à lire (sans compter tous les ouvrages qu’il prête à d’autres fidèles) il faudra revenir plus loin. C’est un homme de foi qui est ici mis en scène par le réalisateur et par son acteur. Mais un homme séduisant et séducteur (et sur le thème de la séduction, il peut être bon de lire - sur un tout autre thème - la critique de Chez Nous de Lucas Belvaux).
Un prêtre séduisant !
C’est que c’est la guerre, les hommes sont soit au front, soit dans le maquis ou encore prisonniers en Allemagne (comme le mari de Berny - il faudra y revenir) soit ils sont des soldats allemands dont la proximité de la déroute laisse advenir une horreur dans la violence ! Et il y a donc cet homme-là, célibataire certes mais qui n’est pas un coeur à prendre, car il est pris par et pour Dieu. Il n’empêche que le visage qui rayonne et le verbe qui résonne font des ravages, si pas dans le coeur de ces dames, au moins dans leurs têtes. Ce sont celles-là, frétillantes et frémissantes qui vont intriguer la jeune communiste qui ne s’en laisse pas conter. Et si le charme du visage joue un rôle, c’est surtout l’intelligence de celui qu’elle considère comme un adversaire qui va marquer Berny. Celle-ci se verra prêter un livre (dans le film : les quatre évangiles) et en discutera ensuite avec le prêtre. Cette, ces discussions seront autant d’échanges ou plutôt de confrontations de foi. Entre celle, solide apparemment, du prêtre et celle, tout aussi solide, de celle qui est en vis-à-vis. Chacun tentant de pousser l’autre dans ses retranchements et contradictions. C’est du lieu de ces échanges (qui en appellent d’autres sur le lieu de travail, sur les collabos et ceux qui hébergent des juifs, sur la violence des soldats...) que va s’exprimer la foi de l’une et de l’un et particulièrement lorsque celui-ci relèvera cette expression mise dans la bouche de Jésus en croix "Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ?" par les auteurs de Marc (15, 34) et Matthieu (27,46) (cf. aussi le film Silence et le roman homonyme). C’est aussi le lieu de la tentation et de la méprise, non pas tellement séduction par la femme d’un homme qui se laisserait séduire, mais plus profondément, le plus humain qui s’exprimer là, à la fois (!!) dans la tendresse et l’emprise des sens. Là où un doute fut-il momentané s’insinue - et pas sans lien, finalement, avec le doute de Jésus dans La dernière tentation du Christ de Scorsese (comme expliqué dans la critique de Silence). Et face au doute et à la tentation, une seule échappatoire sera possible.
Du livre au film
Il faut ici conclure avec ce qui diverge fondamentalement entre le film et le roman. Dans celui-ci Berny s’exprime en voix off (le livre est écrit en ’je’). Ensuite, le livre se déroule durant toute la guerre alors qu’ici le film en couvre les deux derniers mois. Par ailleurs, Berny n’est pas veuve mais son mari est retenu prisonnier dans un camp en Allemagne. Dans le livre, cela rendait la femme "disponible" pour le prêtre qui avait fait promesse de célibat. La situation était déséquilibrée en défaveur du prêtre. En revanche, ce n’est pas le cas ici et c’est un choix volontaire du réalisateur comme il le précise : "A partir du moment où je décide que son mari est prisonnier en Allemagne, elle se trouve elle aussi liée par son engagement – les communistes d’alors étaient très stricts sur ces questions - et l’un et l’autre se retrouvent à égalité devant l’interdit. Outre que je trouve cela plus féministe, cela rend leur rencontre plus tendue, plus spirituelle. Et puis, je ne voulais en aucun cas que le film tourne autour de la question du célibat des prêtres, qui est un thème très sociétal et très éloigné de ce qui me passionnait dans l’oeuvre de Beck." (C’est moi qui souligne !).
Enfin, la plus grande différence est le livre prêté, signe du caractère "contemporain" de l’adaptation au cinéma. Dans le roman de Beck, il ne s’agit pas des Evangiles (inconcevable comme écrit plus haut) mais d’un autre livre Jésus le Christ (Karl Adam, précurseur des idées conciliaires). Dans son ouvrage, Beck montre le prêtre et la femme discuter précisément du livre du théologien de Tubingen. Mais cet ouvrage inconnu aujourd’hui de beaucoup, à commencer par les catholiques, aurait rendu le film difficilement compréhensible. En le remplaçant par les Evangiles et en mettant en exergue le doute, notamment celui de Jésus sur la croix, Nicolas Boukhrief met au coeur de son film ce qui est au coeur du roman : la foi ne repose sur aucune certitude. Aucune preuve n’est là pour étayer un tant soit peu l’objet de sa foi (cf. encore Silence pour ce thème). Et dans l’aujourd’hui de sa confession, Berny ne sait si elle aimait Dieu à travers Léon Morin, ou si elle aimait le prêtre à travers Dieu. Tel est ou pas l’objet de sa foi, suspendue pendant des décennies jusqu’à La confession finale... et il ne faut pas oublier ici que "confession" a aussi le sens d’affirmation (de foi) ! Arrivé au terme du film, on se souviendra des paroles de l’abbé Morin, prononcées lors de sa prédication ou homélie (on parlait alors de sermon) après que des soldats allemands aient fusillés les otages : "S’il me manque l’amour, je ne suis rien" soit donc le coeur de la première Lettre de l’apôtre Paul aux Corinthiens au chapitre XIII. Ou pour l’exprimer d’une autre façon : on a beau avoir la compétence et/ou la performance, sans l’amour l’homme est réduit à rien.