➡ Vu au cinéma Caméo des Grignoux - Sortie du film le 11 avril 2018
Signe(s) particulier(s) :
– seconde fois que le réalisateur Wes Anderson se frotte à la technique de la stop motion après "Fantastic Mr. Fox" (2010) ;
– Ours d’argent du meilleur réalisateur à la dernière Berlinale.
Résumé : En raison d’une épidémie de grippe canine, le maire de Megasaki ordonne la mise en quarantaine de tous les chiens de la ville, envoyés sur une île qui devient alors l’Ile aux Chiens. Le jeune Atari, 12 ans, vole un avion et se rend sur l’île pour rechercher son fidèle compagnon, Spots. Aidé par une bande de cinq chiens intrépides et attachants, il découvre une conspiration qui menace la ville.
La critique
Nom d’un toutou enragé ! Wes Anderson est enfin de retour au cinéma après son "Grand Budapest Hotel", véritable succès critique et public dans la cinématographie déjà bien remplie de ce cinéaste texan, reconnu pour son visuel et sa narration, lui a qui l’on doit ainsi un cinéma de particularités, et un goût appuyé pour son côté méticuleux. Avec "L’Île aux Chiens", il retrouve pour l’occasion la stop motion, après s’y être déjà attelée avec brio pour "Fantastic Mr. Fox", il y a quelques années. En effet, du renard au chien, il n’y a qu’un poil !
Dans la ville japonaise utopique et fictive de Megasaki, baignée par le cinéma de grandes pointures nippones comme Akira Kurosawa ou encore Yasujiro Ozu desquelles s’inspire Wes Anderson, ce dernier nous immerge littéralement dans son univers, comme lui seul en a le secret. Autant vous dire dès le départ que "L’Île aux Chiens" n’est pas un film d’animation comme on en a l’habitude de voir, mais avant tout un film d’auteur d’envergure, avec un scénario finement écrit, portant un regard malin et cynique sur notre société, et ses dirigeants. Ce n’est clairement pas un film à mettre devant les yeux de vos enfants, eux qui n’y comprendraient pas grand chose.
On ne peut tout d’abord pas passer à côté de cette animation grandiose, en stop motion, atteignant ici son niveau de paroxysme, après le seul premier essai du réalisateur dans le domaine. Ainsi, le travail visuel et technique réalisés sur le film font de cette œuvre un pur moment de ravissement pour les yeux.
On aime très certainement cet hommage rendu à la culture japonaise, mais on apprécie d’autant plus la minutie du projet dans sa manière de présenter son histoire. En effet, sa mise en scène est d’une richesse incommensurable, elle qui utilise tout d’abord une pléiade de techniques de cinéma pour donner à son contenu une force d’onirisme et de lyrisme allant de paire. En adoptant, par exemple, une animation par paire, celle-ci parvient à donner aux mouvements un aspect délicieusement imparfait, duquel ressort un cachet artisanal, où le saccadé et le politiquement sale s’illustrent parfaitement dans le style du réalisateur. Ces chiens sont peut-être indigents et peu ragoûtants, mais ils sont terriblement expressifs, et humains dans leurs aptitudes. À vrai dire, l’un ne va pas ici sans l’autre, surtout lorsque l’on connaît le cinéma du monsieur.
Ensuite, ce dernier joue sur une autre facette révélant particulièrement l’audace de sa démarche : le bilinguisme. Pas question ici de traduire systématiquement lorsque des personnages japonais s’expriment, puisque la force d’expression des personnages appuie avant tout ici sur la puissance de perception des émotions (même si ça ne fonctionne pas tout le temps). Même si l’on ne comprend pas tout ce qu’ils racontent, on le devine facilement, tandis que cette manière de présenter les dialogues est assez loufoque, et très originale. En parlant des voix, on ne peut aussi que se prosterner derrière un doublage exceptionnel, où l’on y croise les voix de Bryan Cranston, Edward Norton, Bill Murray ou de Jeff Goldblum pour ne citer qu’elles ! La concordance entre l’animation et le jeu de diction est savoureux d’un bout à l’autre.
Comme à son habitude, Wes Anderson ne fait pas les choses à moitié, puisqu’il scénarise (aidé par ses fidèles collaborateurs) cette histoire bien encrée dans notre réalité, entre conspiration politique et séparation des classes. Elle concerne ainsi peut-être des chiens, mais cela n’est qu’une métaphore pour mieux rebondir sur ses pattes, et porter ses propos bien plus loin que sa truffe. Ce n’est pas tout, puisqu’il est également question du lien indéfectible entre l’humain et son animal, et de la notion de sacrifice et d’engagement pour une cause qui nous échappe. Attention aussi aux détails scénaristiques, lesquels changent du tout au tout l’intrigue, aussi rapidement qu’un chien court pour aller chercher son os. Enfin, que serait un film du réalisateur sans le soin apporté à sa bande-originale, dirigée ici pour la quatrième fois par Alexandre Desplat, lui qui a notamment utilisé des tambours taiko (utilisé dans la mythologie nippone) ainsi que des cuivres, dès lors au service de l’histoire, et de l’action.