Synopsis : Après 15 ans de vie commune, Marie et Boris se séparent. Or, c’est elle qui a acheté la maison dans laquelle ils vivent avec leurs deux enfants, mais c’est lui qui l’a entièrement rénovée. A présent, ils sont obligés d’y cohabiter, Boris n’ayant pas les moyens de se reloger. A l’heure des comptes, aucun des deux ne veut lâcher sur ce qu’il juge avoir apporté.
Acteurs : Bérénice Bejo, Cédric Kahn, Margaux Soentjens, Jade Soentjens, Marthe Keller, Catherine Salée, Tibo Vandenborre, Philippe Jeusette, Francesco Italiano, Annick Johnson, Ariane Rousseau, Pascal Rogard.
Avec son septième long métrage, Joachim Lafosse revient à des thèmes qui lui sont chers et qui se focalisent sur l’intime, ses dérives et tensions. Il est également aux commandes du scénario avec, notamment, Mazarine Pingeot. Avec Les chevaliers blancs, il avait fait un détour en proposant l’adaptation d’une histoire vraie dans des décors bien plus vastes et un projet de bien plus (trop selon certains) grande envergure. Ici, nous retrouvons un espace plus restreint, comme dans les excellents Nue propriété et Elève libre, mais dans un registre bien moins dramatique. Certes L’économie du couple est de l’ordre du drame ou du psychodrame, car n’est-ce pas un drame que de voir un couple de séparer et déchirer ? Toutefois, le thème est ici traité en mode d’apparence mineure, quasi anecdotique, qui cependant n’empêche pas de mener une réflexion sur le couple, même si certaines des crises peuvent sembler too much.
Comment traiter d’un couple en crise lorsqu’il se sépare ou désire le faire ? Car dès que la séparation est concrétisée le couple n’existe plus en tant que tel. Chris Columbus avait trouvé un artifice grâce à Mrs Doubtfire en 1993. Dans le cas de cette comédie, le couple était rassemblé, mais une des parties ne le savait pas. Ici, en revanche, Joachim Lafosse, oblige le couple séparé à continuer à vivre ensemble ! Il le fait avec un élément très trivial, l’argent, qui est ici, littéralement le nerf de la guerre ! Une guerre qui est non seulement des nerfs entre Marie et Boris, mais aussi une guerre financière ou plutôt économique !
Quand l’une a mis de l’argent et l’autre sa main-d’oeuvre dans un bien, quels sont les droits de l’une et de l’autre ? Comment régler économiquement la dette de chacun. Puisqu’il s’agit bien de ce que chacun doit à l’autre. Sans l’argent de Marie comme mise de départ, point de maison et point de travail de Boris dans celle-ci. Mais sans les mains de Boris, point de valeur ajoutée à la maison. Peut-on comparer l’un et l’autre, argent et travail ? Comment compenser chacun de façon juste dans une sorte d’économie de troc ? Les nombreuses scènes de la vie quotidienne prennent alors une ampleur disproportionnée par rapport à leur objet. A noter aussi la délicate position des amis du couple. Le sont-ils encore et le cas échéant doivent-ils prendre position pour l’un ou l’autre ? Mais ce qui est en jeu et enjeu de la confrontation, c’est la façon dont chacun s’estime (de l’estime de soi et de l’autre, mais aussi de l’estimation financière). C’est de cette double économie dont il est question dans ce couple qui se déchire devant leurs filles jumelles, avec probablement autant de force dans la hargne qu’il n’y en avait auparavant dans l’amour. En cela, Cédric Kahn et Bérénice Bejo arrivent à habiter leurs personnages et à leur donner une énergie qui serait jubilatoire et vaudevillesque dans d’autres circonstances.
Il y a un enjeu, la maison, un "bien social" qui appartient à Marie. Est-ce que Boris, le conjoint, n’abuse pas de ce bien ? Mais Marie, qui possède la maison et donc l’argent, se trouve aussi en position dominante. Ici, c’est la femme et non l’homme qui possède l’argent (et donc le pouvoir ?). C’est que si l’économie du couple, à savoir la circulation des biens et des services pour faire vivre la maisonnée, est importante et y a aussi une autre économie en jeu, celle de l’amour. Quand celui-ci vient à manquer à tel point que le modèle économique se bloque et que l’on fait l’économie du couple (au sens ici de se passer de) qui seront les perdants éventuels ? Lui et elle ? Jade et Margaux, leurs enfants (dont il faut noter l’interprétation remarquable des jeunes actrices Jade et Margaux Soentjens, jumelles aussi dans la réalité) ? Est-ce que l’établissement d’une valeur marchande chiffrée va permettre une réconciliation et l’éventuelle reconstruction d’un couple ? Pour cela, il faudra quitter le huis clos de la maison litigieuse (qui est un des personnages à part entière du film), sortir du cadre (tant du film qui se cantonnait à se situer dans la maison, que symboliquement dans l’histoire - à l’hôpital et au tribunal) pour créer (ou pas) un nouveau modèle "économique".
Un très beau film de Joachim Lafosse qui ne manquera pas de faire penser aux uns et aux autres à des situations de couples que l’on connait pour les avoir vécues soi-même ou par des amis et de se dire que c’est peut-être le moment de songer aux économies collaboratives ! Des économies qui tiendraient compte de tous les éléments : l’amour, l’argent, le travail, les enfants, les autres le couple et l’intime. En particulier le couple et son intime dont on ne peut faire l’économie. A ce sujet, le réalisateur - sans parti-pris pour l’un ou l’autre de ses protagonistes - précise : "Le couple est sans doute la grande affaire de ma vie. J’ai toujours été deux. Comme tout jumeau, j’ai dû sortir de la fusion gémellaire, ce qui n’empêche pas que, devenu adulte, je reforme un couple avec la femme que j’aime. À quarante ans, c’est important pour moi de ne plus cacher l’importance que cela représente à mes yeux, de dire la possibilité du couple. Je mets cela en scène à travers une histoire triste mais cette histoire dit aussi combien le couple est une émotion, un lieu où il y a de l’affection possible. Enfant, mon père, photographe, me disait : « Un photographe est quelqu’un qui partage son regard avec les autres et qui assume la particularité de son regard ». Avec ce film, j’ai vécu le plaisir d’avoir des acteurs qui m’ont laissé les regarder et qui m’ont permis, grâce à leur travail, de montrer au public une part de ce regard que je me connaissais mais que je ne parvenais pas à dévoiler."
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