Synopsis : Chloé, une jeune femme fragile et dépressive, entreprend une psychothérapie et tombe amoureuse de son psy, Paul. Quelques mois plus tard, ils s’installent ensemble, mais elle découvre que son amant lui a caché une partie de son identité.
Acteurs : Marine Vacth, Jérémie Renier, Jacqueline Bisset.
NB : Il y a certains "spoilers" dans cette "critique". Ceux-ci sont en notes. Si vous ne voulez pas en prendre connaissance ne cliquez pas sur elles, sous forme de bulles numérotées, comme celle qui suit [1].
François Ozon adapte et voit double !
Nous aimons le cinéma de François Ozon. Tant celui de Gouttes d’eau sur pierres brûlantes, que Sitcom, Frantz - parmi d’autres - et ses courts-métrages. Chacun de ses films, à sa manière, et sans être en rien commensurable aux autres, apporte quelque chose au septième art. Tous ne sont pas parfaits, mais offrent une expérience cinéphile et/ou humaine. C’est donc avec une immense attente que nous lorgnions du côté de Cannes et de l’énigmatique L’amant double.
Double est le maître mot de ce long métrage puisque François Ozon adapte le roman Lives of the Twins de Joyce Carol Oates qu’elle a écrit sous le pseudonyme de Rosamond Smith. Rien qu’en ce lieu de naissance d’une oeuvre le trouble est présent, puisque l’écrivaine utilise également un autre pseudo, celui de Lauren Kelly ! Précision encore, le roman est également connu sous le titre Kindred Passions ! Le roman est paru en français sous le titre L’amour en double (à ne pas confondre avec Double diabolique, un autre roman de Rosamond Smith, où il est également question de gémellité !).
Le critique a vu deux films !
Tant le synopsis [2] que le buzz laissaient entrevoir ou soupçonner un film qui devrait marquer les esprits. Nous n’étions pas à Cannes, mais avons vu le film deux fois, à quelques heures d’affilée [3]. Après la première vision, nous étions partagé entre la fascination et l’irritation ! La deuxième vision - nous nous forcions pour nous redonner une chance. La réaction fut la même !
Que s’était-il passé entre le coup de ciseaux inaugural et le coup d’éclats [4] final ? Pourquoi sommes-nous partagé ? Pourquoi ce trouble et ces sentiments doubles ? Le critique va donc se dédoubler... et rédiger son texte à deux voix, même si la deuxième est seconde, secondaire et donc mineure !
Entre sexe et regard !
Tout commence - et c’est normal pour un début ! - dès les premières images, ou plutôt dès la deuxième scène, après une séance de coiffure qui va en quelque sorte indiquer le genre du film et de son héroïne puisque ses cheveux raccourcis vont lui donner un air de garçonne, de garçon manqué, presque androgyne. Très vite cependant, dès la scène suivante, nous serons convaincus qu’elle est bien femme. Pas de spéculation possible… un spéculum permet d’avoir une vue on ne peut plus précise sur l’intime de la femme… La caméra est presque phallique et, se retirant, va offrir au spectateur un étonnant fondu entre des lèvres qui se ferment et un oeil qui s’ouvre. Nous sommes dans le cabinet d’une gynécologue et là se disent et s’expriment probablement tout le sens et la symbolique du film en même temps que le spectateur reçoit une clé de lecture. Tout va se jouer entre sexe et regard.
On comprend (ou pas) très vite !
On ne va pas « spoiler » le film, même si à ce moment le spectateur aura compris l’essentiel de L’amant double. Et s’il sera question de double et de ventre (douloureux) c’est au plus profond de l’âme que François Ozon nous fera pénétrer. Et plus encore que l’âme, dans la tête. Nous ne sommes pas en caméra subjective, mais c’est un peu comme si nous étions les yeux d’Eva découvrant une troublante gémellité [5].
Celle-ci renvoie à Faux Semblants et c’est probablement voulu par Ozon… mais nous avons aussi fait des rapprochements avec The Double de Richard Ayoade (et donc à Fiodor Dostoïevski dont le roman de 1846 avait été mal accueilli par le public et qu’il a dû remonter, pardon, réécrire en 1861) et à Trouble de Harry Cleven (2005). Bien plus, certains jeux de miroirs, fascinants, nous renvoyaient à Welt am Draht (Le monde sur le fil) adaptation du roman Simulacron 3 de Daniel F. Galouye, par Rainer Werner Fassbinder, en 1973. Ces références, ces « films-crochets » viennent de nous, de nos itinéraires cinématographiques et ne sont probablement pas des références d’Ozon.
Une beauté formelle
Il y a aussi la forme du film, sa structure narrative, les split screen, la construction de certains plans, les jeux de miroir qui démultiplient Eva. D’autres jeux, au pluriel aussi, ce sont ceux de Jérémie Renier. Fascinant dans sa double interprétation. Magistral. Tendre, séducteur et séduisant, angélique presque et, à l’inverse, trouble, machiavélique, cassant, pervers et cependant fascinant jumeau. Il y a aussi la présence de deux chats vivants, totalement dissemblables [6]. Il y a aussi un chat mort appartenant à Rose, une voisine énigmatique (Myriam Boyer). Un chat étonnant qui rappelle celui de Michèle dans Elle de Paul Verhoeven !
Le spectateur pourra être ébloui, fasciné par certains plans, notamment lors d’une rencontre nocturne des jumeaux dans le lit de Chloé. C’est à la fois le fond et la thématique abordée, fusionnelle, sensuelle, homosensuelle des jumeaux [7], mais c’est aussi la forme tant il est difficile de découvrir les probables artifices et effets spéciaux utilisés (même si le générique précise qu’il y a deux doublures pour Paul et Louis (Guillaume Le Pape et Benoît Giros) ! Deux de nouveau ! Et chacune des doublures est créditée d’être celle de l’un et l’autre des jumeaux [8].
Un film de genre ?
Loin de la sagesse et du classicisme de Frantz, François Ozon réalise un film de genre, torride et sulfureux, érotique, psychanalytique offrant une étonnante et double palette à Jérémie Renier son acteur principal qui n’hésite pas à se mettre à nu pour rendre à l’écran un thérapeute dont les multiples facettes permettent d’éclairer le personnage plus énigmatique de Chloé. Depuis que son oeil s’est ouvert sur une gynécologue qui vient d’offrir son intimité au regard du spectateur [9] le spectateur aura été confronté à une vision intérieure. Quel regard introspectif une femme peut-elle jeter sur elle-même, sur son corps, sur ses troubles et ses doubles (maternel [10], thérapeutiques - doublement même [11]), sur son enfance, sa conception. Que lui manque-t-il ? Qu’a-t-elle de trop ? Qu’est-ce qui a nourri et miné à la fois son identité, sa féminité, elle, se qualifiant d’hystérique à plusieurs reprises (ce qui donne d’autant plus de sens à l’origine du mot grec ὑστέρα : entrailles, matrice ou utérus) ?
Il est probable qu’à la fin du film le spectateur aura la soudaine envie de le revoir pour mieux en saisir les enjeux et profiter pleinement du film, magnifié par les images de Manu Dacosse, avec plus de clés de lecture, l’effet de surprise étant passé !
Irritation !
Il faut cependant écrire combien nous avons ressenti de l’irritation durant le film. Et après, surtout. Quel est le genre du film ? S’agit-il d’un film de genre ? D’un thriller ? D’un film psychanalytique ? C’est que François Ozon donne l’impression - probablement à son corps défendant - d’avoir réalisé un film où il en fait de trop. Jouant sur les effets spéciaux, sur les plans, la symbolique, les miroirs, le charme de Renier, l’androgynie de Marine Vacth.
Jouant plus encore sur l’érotisme en étant presque aux frontières d’un film de sexe [12]. A ce titre, les photos qui circulent montrant Chloé et son thérapeute nus face à face sont tout autant représentatives du film qu’elles ne le sont pas ! Ce qui pose vraiment problème, plus encore que le côté artificiel de certains plans qui relèvent d’une psychanalyse de comptoir (les miroirs, l’inversion des plaques professionnelles des thérapeutes, les escaliers, les chats, les fantasmes) c’est l’image de la femme ainsi rendue par le film. Une représentation qui crée le malaise et pose question. Sans compter que le jeu de l’actrice principal déçoit par rapport à son protagoniste/antagoniste masculin ! Enfin, c’est surtout l’ambiguïté du scénario qui a gâché notre plaisir. Là où les codes employés dans Nocturnal animals montraient clairement quand l’on passait du monde "réel" au livre, ici, rien ne permet de dire clairement quand l’on passe dans le registre de la représentation, du rêve, de la divagation, du fantasme. Est-ce dans le musée, plus tôt (l’hypothèse que nous avons choisie ci-devant) ou plus tard ? L’irritation n’est pas ici secondaire, mais oserons-nous : seconde ! Comme si le surcroit de perfection fascinait au point de perdre l’intériorité du regard !
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