Synopsis : Dans une prison-tour, une dalle transportant de la nourriture descend d’étage en étage, un système qui favorise les premiers servis et affame les derniers.
Acteurs : Ivan Massagué, Zorion Eguileor, Antonia San Juan
Attention, ce qui suit est garanti 100% spoiler !
Il est donc vivement conseillé de ne lire cet article qu’après avoir vu le film.
C’est une publication sur Facebook de Thibault, critique cinéma et Short Film Coordinator au BIFFF qui a attiré notre attention sur El hoyo. Le lien pointait vers la page de présentation du film par le BIFFF. Aussitôt lu, aussitôt programmé dans nos visions de cette période de pandémie COVID-19.
Une première réaction, à chaud, après la vision du film où nous écrivions : "je ne suis pas fan de films d’horreur, mais El hoyo méritait bien d’être au coeur de la programmation du BIFFF ! Bien plus qu’un film d’horreur (ce qu’il est incontestablement) j’y ai vu un miroir de nos sociétés. C’est comme si Vincenzo Natali avait revisité Next Floor de Denis Villeneuve en le mixant avec Snowpiercer de Bong Joon-ho en transformant la dimension horizontale en verticale ! Et, j’ai l’impression que le budget n’a pas dû être énorme et que cette économie de moyens a permis de faire un film qui ne laisse que peu d’espoir sur notre capacité d’être humain !".
Hier, nos intuitions se confirmaient à la lecture de cet article sur Ecran large et, plus tard, celle de Julien sur Cinécure, et sans oublier, dès la mise à disposition sur Netflix, celle de François Sabeau sur le site Ecran & Toile.
Commençons par lire la présentation que fait l’équipe du BIFFF avec le second degré qui la caractérise et qui apporte pas mal de détails pratiques sur l’univers du film (trop peut-être et donc là aussi à la limite du spoiler) : "La fosse… Une prison verticale de 333 niveaux. Deux personnes par niveau, dont certaines venues de leur plein gré pour avancer socialement. Une plateforme, remplie à ras bord de mets délicats, de vins fins et de desserts en tous genres, s’arrête à chaque niveau pendant deux minutes tous les jours. Première règle : chaque détenu peut amener un objet personnel. Deuxième règle : si un détenu garde de la nourriture hors de la plateforme, la température de la cellule augmente ou descend drastiquement, transformant ledit détenu soit en glaçon soit en merguez cramée. Troisième règle : chaque mois, les détenus changent de niveau… L’ascenseur social n’aura jamais aussi bien porté son nom. Premier long de Galder Gaztelu-Urrutia, et l’une des plus grosses claques de ces dernières années ! Ce film n’a été projeté que six fois au monde et Netflix lui a sauté dessus dès les premières images, mais le BIFFF a bataillé ferme pour obtenir une projection sur grand écran : dystopie à la métaphore plus qu’éloquente sur la lutte des classes, concept qui renifle du côté de Vincenzo Natali et de Luis Buñuel, allégorie folle qui oscille entre le cannibalisme et la panna cotta, THE PLATFORM a tout pour devenir l’exemple générique accolé à la définition de « chef d’œuvre » dans le dictionnaire. Et, franchement, en tant qu’amoureux du cinéma, si vous ne venez pas le voir, on ne vous parle plus !"
L’essentiel est exprimé là. Un univers clos qui a des règles strictes de fonctionnement. D’emblée ce qui étonne est la différence entre le titre original (le trou, la fosse) et celui prévu à l’international (The Plateform / La Plateforme). L’accent mis à l’origine sur le creux, celui dans lequel on ne peut que tomber, descendre (voir une autre affiche ci-contre - cliquer pour agrandir). La traduction met le focus sur ce qui circule entre les différents étages, cette plateforme, table nourricière pour tous les niveaux.
L’on abordera plus loin la cohérence (ou pas) de l’univers proposé dans ce huis clos vertical. Commençons par les règles exposées ci-dessus dans la présentation du BIFFF et que l’on découvre durant le film. C’est ainsi que l’on apprend que chaque personne peut faire part de son met de prédilection et que les choix sont respectés, qu’il y a assez de nourriture pour tous les niveaux et que cela devrait permettre une autogestion des biens de consommation, dans le cas présent, la nourriture. A noter que l’on ne peut pas garder celle-ci, ce qui nous a immanquablement fait penser au don de la manne par Yahvé dans le désert (voir le récit symbolique de l’Exode). C’est ce qui nous parait le plus parlant dans cette métaphore de notre vie sur la Terre où nous sommes dans un espace limité, mais où il y a assez pour tous, mais où l’inégalité prédomine. Le changement de niveau (aléatoire semble-t-il) mensuel devrait permettre à tous les occupants de tirer des leçons pour lui-même et pour les autres. Toute la dynamique de El hoyo est de montrer qu’il n’en est (sera) rien et que les instincts les plus bas prévaudront sur la fraternité et le partage. En somme comme dans le monde actuel. Le héros (venu dans la fosse de son plein gré), aidé de l’un ou l’autre prisonnier tentera de trouver une alternative aux autres choix (dévoré ou être dévoré ; suicide...). La fin du film semble ouvrir le passage à un "message(r)" cers le niveau 0. C’est celui où la nourriture est produite et dans les règles de l’art culinaire et des règles de bienséance. Le lieu natal de la perfection, de la production du "tout pour tous". Bien plus loin que le film de genre (que l’on appréciera ou pas, notamment dans ses développements gore du type Shaw) le film est à voir pour le regard cru et cruel qu’il nous pousse à jeter sur notre société et nos comportements, d’autant que nous sommes dans les étages supérieurs et qu’en principe nous ne changeons pas (certes il y a les possibilités d’ascension ou de dégringolade sociale).
Pour le reste, l’on renvoie donc à la critique de Julien et l’on s’intéressera à l’univers de la fosse.
La fosse et la plateforme
Il semble important d’associer les deux plutôt que de les réduire comme le font les différents titres. Il y a donc une fosse avec 333 niveaux. Deux occupants par niveaux, soit 666 (est-ce en lien avec le nombre qui est le chiffre de la Bête dans l’Apocalypse ?). Chaque niveau (équipé de toilettes, d’un lavabo, d’un miroir et d’eau) fait environ 3m50 de hauteur, le plancher 50 cm, ce qui donne une profondeur d’environ 1km300. La plateforme est rectangulaire et fait environ 230 sur 170 cm (approximativement en étudiant notamment le rapport avec la taille des corps). Le trou est de même dimension, mais la plateforme donne curieusement l’impression d’être carrée (effet de perspective ?). La plateforme met trente secondes pour passer d’un étage à l’autre et reste deux minutes par étage. Il lui faut donc 13h30 pour passer du niveau 0 au niveau 333 ! La remontée (au vu du plan final) est hyperrapide. Cela tient la route (la profondeur !) mais au vu du principe de base qui voudrait poser l’équité, il y en a quand même qui vont manger chaud et les autres froid (à supposer que l’on partage). Par ailleurs, la "table" fait un peu moins de 4 m2. Difficile d’y placer de la nourriture pour plus de six cent personnes. Ajoutons que rien n’explique le monde de lévitation de la plateforme, et encore moins comment "le système" peut être informé que l’on garde de la nourriture et comment le corps du contrevenant peut être chauffé ou refroidi. Par ailleurs, à supposer que le passage d’un niveau à l’autre soit équitable il faudra 28 ans à un occupant pour passer par chaque niveau (pour autant que la "peine" soit de cette durée bien sûr). Enfin, reste sauve la question de savoir ce que deviennent les cadavres qui ne semblent pas être "récupérés" par le "système". Il n’y a donc pas lieu de se braquer sur l’incohérence et l’invraisemblance de l’univers proposé (pas plus qu’on ne le ferait dans Cube ou Snowpiercer) mais sur le message qui nous est transmis par le réalisateur bien au-delà du film d’horreur. Raison pour laquelle nous avons songé très rapidement au court-métrage Next Floor réalisé par Dennis Villeneuve en 2008, une année avant son troisième long-métrage, Polytechnique.
Bande annonce VF
Bande annonce VO (ST en)