Signe(s) particulier(s) :
– premier long métrage du metteur en scène de pièces de théâtre et auteur Alexis Michalik, après les courts métrages "Au Sol" (2013) et Pim-Poum le Petit Panda" (2014) ;
– adaptation de la pièce de théâtre du même nom créée en 2016 par Alexis Michalik lui-même (et lauréate de cinq Molière en 2017), retraçant librement l’élaboration de la pièce de théâtre d’Edmond Rostand "Cyrano des Bergerac", en 1897 ;
– film tourné en République-Tchèque, où l’équipe a déguisé les rues pour recréer celles du Paris de la fin du XIXe siècle, en plein Belle Époque, qui était aussi celle du début de l’électricité, ainsi que celle des frères Lumières, qui dévoilaient deux ans plus tôt ce qui est considéré comme l’un des premiers films de l’histoire du cinéma.
Résumé : Décembre 1897, Paris. Edmond Rostand n’a pas encore trente ans mais déjà deux enfants et beaucoup d’angoisses. Il n’a rien écrit depuis deux ans. En désespoir de cause, il propose au grand Constant Coquelin une pièce nouvelle, une comédie héroïque, en vers, pour les fêtes. Seul souci : elle n’est pas encore écrite. Faisant fi des caprices des actrices, des exigences de ses producteurs corses, de la jalousie de sa femme, des histoires de cœur de son meilleur ami et du manque d’enthousiasme de l’ensemble de son entourage, Edmond se met à écrire cette pièce à laquelle personne ne croit. Pour l’instant, il n’a que le titre : « Cyrano de Bergerac ».
La critique de Julien
"Cyrano de Bergerac" est l’une des pièces de théâtre les plus populaires du théâtre français, ayant vu le jour le 28 décembre 1897, au théâtre de la Porte-Saint-Martin. Son auteur, Edmond Rostand, qui ne connu pas le succès deux ans plus tôt avec sa précédente pièce "La Princesse Lointaine" (interprétée par Sarah Bernhardt), s’est librement inspirée de la vie et de l’oeuvre de l’écrivain libertin Savinien de Cyrano de Bergerac (1619-1655) pour ce travail. Cette comédie héroïque en cinq actes, jouée en alexandrins, et composée de plus de 1600 vers, est d’ailleurs devenue sa plus célèbre pièce, ayant d’ailleurs inspiré de nombreuses adaptations, que ça soit sous forme d’opéra, de ballet, de bande-dessinée, et bien évidemment de film (la dernière en date étant celle de Jean Paul Rappeneau, en 1990, avec Gerard Depardieu dans le rôle-titre). Après une première esquisse de scénario de film, mais finalement avorté faute de budget et d’un cinéaste intéressé par son projet, c’est le film de John Madden "Shakespeare in Love" (racontant l’élaboration par l’auteur anglais de sa tragédie "Roméo et Juliette) qui a donné l’envie au metteur en scène Alexis Michalik de se lancer dans une adaptation théâtrale mettant en scène la création de "Cyrano de Bergerac", par Edmond Rostand.
La suite est alors toute tracée... La pièce connaît un succès si triomphal au Théâtre du Palais Royal à Paris en 2016 qu’elle permet à Michalik d’obtenir rapidement les fonds nécessaires pour financer son film initialement pensé (adapté de sa pièce), et qu’il mettra d’ailleurs en scène.
Tandis qu’il y campe le rôle de l’auteur dramaturge et peintre Georges Feydeau, c’est aujourd’hui dans nos salles que l’on peut découvrir "Edmond", retraçant ainsi, de manière romancée (tout comme sa pièce), la genèse de ce classique du théâtre.
Le film permet tout d’abord de découvrir le jeune acteur français Thomas Solivérès dans un rôle bien plus audacieux que d’accoutumée. Et force est de constater qu’il s’en sort avec les honneurs, dans la peau de d’Edmond Rostand, timide et maladroit, affûté d’un costume, coiffé les cheveux en arrière, et arborant une jolie moustache.
L’acteur y apparaît mature dans son rôle, et plutôt convaincant dans l’art de manier les mots avec élégance, et poésie. Aussi, notre compatriote Olivier Gourmet est fort appréciable dans le rôle cabot de Constant Coquelin (dit Coquelin aîné), qui n’était autre que l’acteur ayant joué le rôle principal dans la pièce de Rostand. Extravagant, exigeant et impatient, Gourmet vaut le détour dans la peau de ce personnage, tout en étant aussi bien déguisé que Solivérès. Enfin, l’interprétation avec autodérision de Tom Leeb (le fils de Michel) sort également du lot, lui qui joue Leo Volny, l’ami de longue date de Coquelin, ayant également tenu un rôle dans sa pièce. Malgré le nombre excessif de personnages, la direction d’acteurs et l’occupation de l’espace (parfois, une vingtaine d’acteurs se retrouvent sur scène !) permettent globalement à l’ensemble du casting d’exister à l’écran. On retrouve ainsi notamment Clémentine Célarié (Sarah Bernhardt), Mathilde Seignier (Maria Legault), Alice de Lencquesaing (Rosemonde Gérard, l’épouse d’Edmond) ou encore Simon Abkarian et Marc Andréoni dans les rôles de producteurs et frères corses. Du beau monde, donc, laissant majoritairement place à la nouvelle génération, tout en permettant à l’ancienne d’arborer des compositions inédites.
Tourné dans les rues de Prague, ainsi que dans un de ses théâtres, le film parvient à reconstituer un Paris idéalisé de la Belle Époque, très chatouillant et vivifiant. Les effets spéciaux utilisés à cet effet illuminent d’ailleurs les arrières plans de scènes extérieures, et surtout de nuit. Pour un premier film, "Edmond" semble avoir été pensé, et repensé. Et c’est en effet le cas, puisque avant de devenir une pièce de théâtre, le premier scénario écrit était celui d’un film ! D’où ce souci du détail obtenu au niveau des costumes, des maquillages, de la posture des acteurs, ou encore du ton des dialogues. D’ailleurs, le style langagier très maniéré, éloquent, et typique de cette époque est omniprésent dans toutes les lignes d’écriture de ce film. Autant dire que c’est un florilège, et de fait un plaisir pour les oreilles.
Entre le défi d’écriture instantanée, les caprices des actrices, les histoires d’amour de son ami snob Leo, la jalousie de sa femme, ou encore les lettres d’inspiration envoyées à Jeanne d’Alcie (Lucie Boujenah, la nièce de Michel), "Edmond" nous transporte ainsi dans les coulisses rocambolesques de la naissance de cette pièce de théâtre, et véritable chef-d’oeuvre.