Genre : Drame
Durée : 119’
Acteurs : Jordi Pujol Dolcet, Xènia Roset, Anna Otin, Albert Bosch, Ainet Jounou...
Synopsis :
Depuis toujours, la famille Solé passe l’été à récolter des pêches dans son verger d’Alcarràs. Cette année pourrait toutefois être la dernière, le propriétaire envisageant de vendre le terrain. Il est prévu d’abattre les pêchers et d’installer des panneaux solaires. Il en résulte une rupture au sein de la famille très unie, qui risque de perdre plus que sa maison.
La critique de Julien
Récompensé de l’Ours d’or à la 72e Berlinale (le plus prestigieux de ses trophées), devenant au passage le premier film en langue catalane à recevoir ce prix, lequel est nommé à dix reprises pour les 37e Goyas (qui auront lieu le 11 février prochain), "Alcarràs (Nos Soleils en VF)" est la nouvelle réalisation de Carla Simón, née à Barcelone, et ayant grandi en Catalogne. Si on se souvient particulièrement de son premier film multirécompensé "Eté 1993" (2017), dans lequel elle narrait l’été d’une petite fillette de six ans, et cela d’après ses propres souvenirs d’enfance, ici entre deuil et difficulté d’intégrer une famille qui sera, et est désormais la sienne, la cinéaste nous parle aujourd’hui de ses étés passés en famille à cultiver des pêches à Alcarràs, en Catalogne, dans le piémont pyrénéen, avec ses oncles et son feu grand-père, passant toutes ses fêtes de Noël et ses vacances d’été dans leur propriété familiale. Alors que Carla Simón rend hommage ici aux dernières familles d’agriculteurs qui résistent aux nouveaux modèles d’agriculture intensive et leurs conséquences (mais pour combien de temps encore ?), "Alcarràs" met en scène la famille Solé, forcée de quitter, sans compromis, la propriété pour la fin du mois et leur immense verger de pêchers, étant donné que le propriétaire des terres est en train de les raser pour y installer des panneaux solaires, c’est-à-dire une production plus rentable. Simón réalise là un drame rural familial, économique et actuel, qui touche en plein cœur toutes les générations, face à l’inéluctable disparition de l’agriculture écologique...
C’est d’urgence dont il est ici question, au regard de ce qui se passe et se joue devant ses yeux de ladite famille, laquelle se déchire pour garder la tête hors de l’eau, pour se battre et résister face aux grandes entreprises, tuant les paysans à petit feu. Alors que ces dernières reçoivent des aides de l’Etat, les petits agriculteurs et arboriculteurs doivent, eux, vendre leurs récoltes moins chères que ce qu’ils doivent investir comme argent et énergie pour les produire, poussant ainsi certains à revendre leurs biens et leurs terres aux "spéculateurs", et à chercher un nouveau travail. C’est ce qui arrivera ici au sein de la famille Solé, devant le regard médusé et incompréhensif de ses membres, dont le patriarche, silencieux, apathique face à la destruction d’une grande partie de sa vie, sans ne rien pouvoir faire, mais également du fils aîné, faisant tout pour récolter au plus vite les pêches, bien qu’il manque de bras, et n’a qu’une santé...
Même si une fracture interne se fait ressentir, la jeune réalisatrice filme une famille qui tente de survivre unie dans le drame, dans ce qui reste de leur hameau de vie et de paix, au sein de repas familiaux partagés, de traditions et de chants catalans, d’un été aux chaleurs écrasantes. C’est d’un film choral dont il est ici question, où se ressentent les émotions de chacun de ces individus, face à la situation vécue, au pied du mur, entraînant des réactions et frictions en chaîne, des paroles sans les penser. C’est finalement de vivre ensemble dont nous parle "Alcarràs", ce que les modèles économiques actuels semblent étouffer, mettre de côté au profil de la rentabilité, de la passion artisanale perdue. Et sans appuyer le discours moralisateur ni pointer du doigt, Carla Simón se montre alors révélatrice d’un monde à l’ancienne qui s’éteint progressivement, à l’image de la scène d’ouverte et de la scène finale, deux salles, deux ambiances, filmant la propriété en question, tandis que s’entend tout autour le moteur des pelleteuses, arrachant les racines - pourtant bien enfuies - des pêchers.
Porté par une distribution d’acteurs non-professionnels, tous originaires de la région, parlant ainsi un dialecte catalan très spécifique, représentant dès lors au mieux ses habitants, "Alcarràs" brille par sa lumière, par les soleils que filme sa metteur en scène en chacun de représentants de la famille Solé, dont les membres viennent de villages différents, lesquels ont passé beaucoup de temps ensemble, et improvisé des scènes en amont du tournage, afin de nourrir leurs relations. On croirait ainsi voir une seule et même famille, des enfants aux adultes, alors qu’il n’en est rien. Leurs ombres planes alors déjà sur le sol aride catalan de ces terres désincarnées, volées. Mais la lutte n’est pas perdue, l’espoir subsiste, et "Alcarràs" est un de ces films qui donnent la force de se battre pour...