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Spike Lee
Da 5 Bloods : Frères de Sang
Sortie du film le 12 juin 2020 sur Netflix
Article mis en ligne le 17 juin 2020

par Julien Brnl

Signe(s) particulier(s) :

  • le film devait à l’origine être présenté hors compétition au Festival de Cannes 2020, tandis que son réalisateur, Spike Lee, devait en être le Président du Jury des longs-métrages en compétition ;
  • initialement intitulé « The Last Tour » et destiné a être mis en scène par Oliver Stone, « Da 5 Bloods » a été réécrit par le duo Spike Lee et Kevin Willmott (déjà tous deux derrière le script du précédent film du cinéaste « BlacKkKlansman »), et cela d’après un scénario de Danny Bilson et Paul De Meo, le modifiant ainsi avec une perspective mettant en lumière le combat que Spike Lee mène depuis plus de trente ans pour la cause afro-américaine, déplorant notamment la discrimination raciale envers cette communauté aux Etats-Unis.

Résumé : Quatre vétérans Afro-Américains de la guerre du Viêt Nam retournent dans la jungle du Viêt Nam des années plus tard. Ils veulent y retrouver un trésor enfoui et le corps de leur chef d’unité. Sur place, ils vont par ailleurs se rendre compte des ravages causés par la guerre.

La critique de Julien

Plein de bon sens, Spike Lee n’a pourtant jamais eu la langue dans sa poche, ni l’art d’être fin dans ses propos. Récemment interrogé par la radio new-yorkaise Wor 710 pour la promotion de son nouveau film estampillé Netflix, le cinéaste s’est d’ailleurs attiré des foudres de toutes parts, en se prononçant au sujet de son ami Woody Allen, car prenant ainsi sa défense face à la culture de l’annulation le visant, avant de se raviser le lendemain sur Twitter. Facile, certains diront. Mais en tant que fervent défenseur de la communauté afro-américaine, Lee n’a jamais retiré ses mots, lui qui a ainsi pu créer des polémiques pour l’agressivité de ses discours. Avec « Da 5 Bloods », s’il peut être parfois démonstratif et erratique pour illustrer la guerre immorale qu’était celle du Viêt Nam, vis-à-vis surtout des Noirs américains envoyés au combat par les Blancs alors qu’il ne s’agissait pas de leur guerre à eux, tandis que leurs droits leurs ont été refusés, Spike Lee divertit autant qu’il côtoie l’Histoire et la vision qu’il en a dans cette fiction ambitieuse entre deux eaux, tombant à point nommé, et poings levés.

Tandis que l’action principale est racontée au présent, « Da 5 Bloods » nous ramène constamment dans le passé pour comprendre ce qui amène ces quatre vétérans GI Noirs américains au Viêt Nam, à savoir une quantité d’or enterrée au fin fond de la forêt bien des années plutôt, après qu’ils aient sécurisé un site d’accident d’avion de la CIA, et récupéré sa cargaison, initialement destinée à payer les habitants indigènes pour leur aide à combattre le Viet Cong. Mais sous les paroles inspirées de leur mentor et chef d’escouade Norman (Chadwick Boseman) sur le mauvais traitement des Afro-américains par le Gouvernement américain à travers l’Histoire, Paul, Otis, Eddie, Melvin et Norman décidèrent de le garder pour eux, avant que leur plan ne tombe par terre, et sous terre. En effet, l’autre raison de leur retour en territoire vietnamien, est de ramener le corps de leur ami Norman, alors que son fantôme hante toujours l’esprit de Paul (Delroy Lindo), se blâmant d’être responsable de sa mort. Commence alors pour les quatre amis une aventure en terrain miné, où d’autres fantômes du passé s’inviteront sur le trajet, alors jonché de serpents (mais pas ceux que l’on croît)...

Il y a beaucoup de choses à dire sur ce film, étalé sur deux heures et trente minutes d’images, en tous genres. Alors qu’il s’ouvre et se referme sur des discours clefs de Muhammad Ali et de Martin Luther King (fervents opposants à la guerre du Viêt Nam), « Da 5 Bloods » se révèle fouillé, lequel ne se contente dès lors pas de filmer des sexagénaire perdus de vue, alors appelés par l’appât du gain, et donc du capitalisme, qui gangrène (aussi) notre société. Si Spike Lee a tenu à appuyer ses messages, il le fait tout en gardant comme fil conducteur une action qui ne se meurt jamais, malgré quelques incohérences, et longueurs et scènes qui auraient pu rendre le récit plus efficace si elles avaient été effacées au montage. Et quel montage de fou !

En effet, le cinéaste a notamment parsemé son film de vraies images d’archive (chocs) datées ou encore d’une émission radio clandestine fictive relatant ce qui se jouait au pays de l’Oncle Sam pendant que les « Bloods » se battaient à l’autre bout du monde contre un ennemi qui n’était pas le leur, et pendant que leurs familles étaient malmenées par les Blancs. Ces différentes interventions nous montrent ainsi combien le traumatisme de cette guerre est bien encore visible aujourd’hui, notamment vis-à-vis du racisme. A leur tour, les flash-back stylisés, notamment en termes de format d’images que du parti pris d’y injecter les protagonistes principaux âgés en présentiel (plutôt que de les rajeunir numériquement), offrent une intemporalité à cette guerre, qui se joue bien encore aujourd’hui d’une certaine manière dans les rues. Mais Spike Lee ne se cantonne pas à la seule guerre du Viêt Nam, et émaille ainsi son récit de références multiples à la Seconde Guerre mondiale, ainsi qu’à la guerre d’Indépendance américaine. Et puis, si la trame narrative est on ne peut plus simple, c’est tout simplement pour mieux s’attarder sur ce qui lui tient à cœur, soit ce pour quoi il se bât personnellement depuis des années. Sans parler des puissants monologues, révélateurs, fédérateurs, face caméra, de certains de ses personnages clefs, relayant certes l’action présente en second lieu, mais aux contenus riches de sens, et d’histoire. Car on comprend très bien où il veut en venir, sans pour autant gâcher le plaisir du divertissement, que « Da 5 Bloods » est aussi. Étonnement d’ailleurs, son film prend une tournure « tarantinesque » (on sait combien la relation est tendue entre les deux réalisateurs), pas forcément utile, où le sang finit par jaillir des corps mutilés, explosés, ou criblés de balles. On remarquera ainsi une fulgurante rupture de ton entre la première heure du film, où Lee signe les retrouvailles bonnes enfant de ses ex-soldats et la préparation de leur escapade sauvage entre rencontres et deals montés, et le reste du film, où ils se retrouvent sur le terrain, faisant ainsi remonter de terribles craintes, traumatismes et peurs à la surface, signe que les événements passés ont laissé des marques indélébiles.

Malgré la multitude de personnages secondaires, l’écriture permet à ses quatre vétérans d’exister (joués par Delroy Lindo, Norm Lewis, Isiah Whitlock Jr. et Clarke Peters), et leur donne ainsi la parole, et dès lors un portrait, bien que celui de Delroy Lindo (Paul) prenne le pas sur les autres, en comptant sa relation père et fils (Jonathan Majors), déchirée par le drame commun, jamais pardonné, tandis que celui de Chadwick Boseman (Norman) mène tambour battant cette troupe dans sa mission (passée et actuelle), au travers de laquelle sa voix résonne on ne peut plus dans la tête de ses amis, et leurs actions. Et sans mal, une empathie, bercée par une sublime partition signée Terence Blanchard (fidèle complice de Spike Lee), grandit en nous envers ces derniers, valeureux ex-soldats surexploités, mais jamais récompensés (bien au contraire). Sur une note d’espoir, « Da 5 Bloods » permet pourtant à ses hommes de vivre un dénouement en paix avec eux-mêmes (pardon, sacrifice, etc.), qu’ils méritaient, malgré l’extrême violence des événements rencontrés, et l’horreur de l’Histoire à leur égard. C’est pourquoi il est dès lors important de manifester, notamment contre la violence policière envers les Noirs, afin que cela cesse.

S’il n’en loupe pas une pour ne pas passer à côté de son sujet, Spike Lee le surexploite tout de même dans ce film de guerre engagé, et aux retombées très actuelles, mais dans lequel la psychologie des personnages et l’Histoire se révèlent plus intéressantes que l’action en elle-même.

https://www.youtube.com/embed/g_vI-IXjMM4
Da 5 Bloods : Frères de sang | Bande-annonce officielle VOSTFR | Netflix France - YouTube


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