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CINECURE
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Ladj Ly
Les Misérables : Jusqu’ici, tout va bien...?
Sortie du film le 20 novembre 2019
Article mis en ligne le 10 février 2020

par Delphine Freyssinet

Synopsis : Stéphane, tout juste arrivé de Cherbourg, intègre la BAC, la Brigade Anti Criminalité à Montfermeil dans le 93. Ses 2 nouveaux coéquipiers, Chris et Gwada, trentenaires comme lui, sont des vieux de la vieille, roulant leur bosse depuis 10 ans. Lui, découvre rapidement les codes et les tensions entre les différents groupes du quartier. Le point de départ, est banal (si on trouve banal de voler un félin) un vol de lionceau dans un cirque de gitans.
Le trio de flics recherche le gamin, Issa, qui a embarqué le lionceau et s’est affiché avec sur les réseaux sociaux. L’interpellation, au milieu d’une ribambelle de gamins tous aussi désoeuvrés que lui tourne mal.
La bavure, un tir de flashball en plein visage d’Issa, est filmé par un drone. La vidéo, que Chris, le chef autoproclamé du trio, veut absolument récupérer va mettre le feu aux poudres.


Ladj Ly a l’excellente idée d’ouvrir son film sur une foule en liesse, les Champs-Elysées, les beaux immeubles et monuments de Paris. La France a gagné la coupe du monde de football - tiens je vais le redire, la France a gagné avec panache la coupe du monde de football (désolée, amis Diables Rouges). Montrer une ambiance joyeuse, dans la torpeur de l’été, où les températures grimpent, pour faire le contrepoint avec les esprits qui s’échauffent dans une France multiethnique et métissée, c’est malin.

On ressent d’autant plus la tension, façon cocotte minute, de cette ville de Montfermeil où chacun a ses codes. Entre barres d’immeubles, échoppes de kebabs et le marché où pullule la contrefaçon, il y a les barbus salafistes, les frères musulmans, les passés par la case prison faux néo repentis, le caïd en chef qui porte un maillot estampillé le Maire d’où son surnom, les gitans, et cette ribambelle de gamins livrés à eux mêmes.

Ce qui fait la force du film, c’est son côté brut, sans filtre. En prenant le temps de planter le décor, de montrer sa ville telle qu’il la connaît pour y avoir grandi - et c’est d’ailleurs à Montfermeil qu’est située une partie du roman Les Misérables de Victor Hugo, qui donne son titre au film - Ladj Ly nous montre presque un documentaire - là aussi, il en vient.

Ladj Ly montre des mondes parallèles qui se développent, cohabitent avec méfiance sans jamais vraiment dialoguer entre eux.
Seule respiration de cette plongée en apnée glaçante d’1h42, ces scènes de drones survolant une cité qui suffoque. Aux commandes, un gamin solitaire observateur, qui a besoin d’un écran pour appréhender les gens qui l’entourent.

Un scénario et des dialogues qui ne tombent jamais dans l’angélisme, le manichéisme ou la caricature, une réalisation virtuose, Ladj Ly déroule son talent à coups de zooms avant, panoramiques, souvent rapides, gros plans sur la peau, vues larges du ciel sur les barres d’immeuble, tout en dosant parfaitement les scènes filmées caméras au poing comme pour mieux nous faire sentir la sueur stressée des personnages.

Et que dire des comédiens ? Tous parfaits comme Damien Bonnard, Stéphane, (qui jouait déjà un flic dans En liberté de Pierre Salvadori, mais beaucoup plus naïf et lumineux) et surtout Alexis Manenti, Chris, le cowboy de la BAC de Montfermeil, petite frappe arrogante qui se pense intouchable car flic. La scène avec les jeunes filles à l’arrêt de bus notamment est édifiante.

Ce style de flic, qui tripote son arme comme on brandirait son sexe au jeu du qui pisse le plus loin, adoubé depuis l’époque Nicolas Sarkozy au ministère de l’Intérieur et qui ne cesse de se reproduire depuis.

La prouesse du film à mon sens est la scène de la vengeance, explosion de violence dans l’immeuble abandonné. On étouffe, on cherche de l’air devant l’écran : ces gamins grandis sans tige libèrent leur rage sur les flics honnis. Les lionceaux sont devenus des lions.

25 ans après la Haine de Kassovitz, et presque 15 après les émeutes de 2005 après la mort de Zyed et Bouna, ça fait mal. Ça fait mal de voir que rien n’a changé et qu’on n’a toujours rien compris.
« Mes amis, retenez ceci. Il n’y a ni mauvaises herbes, ni mauvais hommes. Il n’y a que de mauvais cultivateurs »
C’est sur cette citation que le film de Ladj Ly s’achève.
J’aimerais rajouter : à traiter les gens comme des chiens, ne vous étonnez pas qu’ils vous mordent la main.



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