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CINECURE
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Cinécure est un site appartenant à Charles Declercq et est consacré à ses critiques cinéma, interviews. Si celui-ci produit des émissions consacrées au cinéma sur la radio RCF Bruxelles, celle-ci n’est aucune responsable du site ou de ses contenus et aucun lin contractuel ne les relie. Depuis l’automne 2017, Julien apporte sa collaboration au site qui publie ses critiques.

Jordan Perle
US
Sortie le 20 mars 2019
Article mis en ligne le 1er avril 2019

par Charles De Clercq

Signe(s) particulier(s) :

  • alors qu’il s’est fait connaître aux États-Unis par la série américaine MADtv et ensuite comme l’un des deux membres du duo d’humoristes de la série télévisée à sketchs « Key & Peele », Jordan Peele a connu un immense succès critique et commercial il y a deux ans avec son premier film « Get Out », qu’il a aussi écrit de ses propres mains, lequel a d’ailleurs été récompensé de l’Oscar du Meilleur scénario original, alliant horreur et critique du racisme américain ;
  • film basé sur basé sur un épisode (« Images dans un Miroir ») de la série télévisée américaine de science-fiction « La Quatrième Dimension » (« The Twilight Zone »), créée par Rod Serling et diffusée entre le 2 octobre 1959 et le 19 juin 1964 sur le réseau CBS, tandis que Jordan Peele en prépare une nouvelle version, qu’il va produire et présenter, comme Rod Serling à l’époque, et ce dès le 1er avril prochain.
  • dans son ouverture, le film fait tout d’abord référence aux kilomètres de souterrains américains abandonnées et connus pour être des refuges aux laissés-pour-compte, ainsi qu’à l’œuvre caritative américaine « Hands AcrossAmerica » du 25 mai 1986, qui était une chaîne humaine au travers des États-Unis où chaque participant payait dix dollars pour en être, lesquels étaient ensuite reversés à des œuvres de bienfaisance qui luttaient contre la faim, l’itinérance ou encore la pauvreté ;
  • dans le film, la famille Wilson se fait attaquer par des « doppelgängers » (littéralement traduit par le double « doppel » qui nous précède « gänger »). Mot issu du folklore germanique, il ferait référence au sosie ou double d’une personne vivante, parfois décrit comme un phénomène fantomatique ou paranormal, et généralement perçu comme un présage de malchance, alors que d’autres traditions et histoires l’assimilent à un jumeau diabolique...

Résumé : De retour dans sa maison d’enfance, à Santa Cruz sur la côte Californienne, Adelaïde Wilson a décidé de passer des vacances de rêves avec son mari Gabe et leurs deux enfants : Zora et Jason. Un traumatisme aussi mystérieux qu’irrésolu refait surface suite à une série d’étranges coïncidences qui déclenchent la paranoïa de cette mère de famille de plus en plus persuadée qu’un terrible malheur va s’abattre sur ceux qu’elle aime. Après une journée tendue à la plage avec leurs amis les Tyler, les Wilson rentrent enfin à la maison où ils découvrent quatre personnes se tenant la main dans leur allée. Ils vont alors affronter le plus terrifiant et inattendu des adversaires : leurs propres doubles.

La critique de Julien

Il y a deux ans, l’un des rois américains de l’humour Jordan Peele signait un premier film inattendu, et paradoxalement situé dans un style à l’opposé au sien, soit l’horreur (mâtinée d’humour et de science-fiction), avec comme point de mire une satire au service d’une histoire aux propos interraciaux, mettant alors le doigt sur l’image que portent les blancs sur les gens de couleurs, et le traitement qu’ils leur infligent (qu’ils leur ont infligés), à leurs propres avantages, et cela au travers de l’Histoire, et malheureusement encore aujourd’hui. « Get Out » permettait aussi de dé-stigmatiser les origines du racisme liées au rejet systématique de la différence, le considérant davantage ici comme une fascination de l’homme blanc pour les attributs physiques et la culture des personnes de couleur faisant défaut chez lui (angle de vue également traité dans le récent « Green Book » de Peter Farrelly). Et avec son nouveau et très attendu second film « US », le réalisateur entend bien confirmer toutes les attentes qu’il avait depuis éveillés en nous. Or, pas besoin de chercher plus loin que le titre du film pour comprendre que « Us » parlera à la fois du mal qui sommeille en nous, ainsi que de la lutte des classes au sein du système américain (US = United States !).

Bienvenu dans un nouveau cauchemar duquel vous ne ressortirez pas indemne...
Au départ, le film nous emmène en 1986, sur la célèbre fête foraine de Santa Cruz, et même en contre-bas, sur sa plage, où la petite Adelaïde Wilson se retrouvera alors confrontée, dans le palais des glaces, à son doppelgänger, c’est-à-dire son double (dira-t-on maléfique). Ensuite, de nos jours, et alors qu’elle vient d’arriver en vacances à Santa Cruz avec son mari Gabe et ses deux enfants Zora et Jason, Adelaïde se verra très vite confrontée à une série de circonstances lui rappelant ce traumatisme d’enfance, comme si quelque chose se rapprochait d’elle... Or, le soir-même, quatre personnes se tiendront main dans la main dans l’allée de leur maison de vacances. Elle et sa famille ne tarderont pas à comprendre qu’il s’agit de leurs propres doubles, aux intentions bien particulières...

Au travers de cette attaque de doppelgängers à la façon d’un « home invasion » rappelant dans un premier temps le « FunnyGames » de Michael Haneke, Jordan Peele révèle une intrigue où les tenants et aboutissements tarderont à pointer le bout du nez, bien que le cinéaste disperse d’innombrables indices au sein de son récit, totalement intriguant. Peut-être même que certains d’entre eux sont trop succincts pour être déchiffrés par le commun des mortels, tandis que d’autres prennent sens au moment où on les a oubliés, ce qui est un peu embêtant, et qui nécessite dès lors une seconde vision du film. D’ailleurs, certains d’entre vous se demanderont si ce qu’ils ont vu est bien un film... Car en plus de ne pas livrer tous ses secrets, « Us » est un véritable film à étages, un puzzle grandeur nature, qui se révèle, de prime abord, peu accessible dans sa résolution. Or, quand on fixe après-coup tous les morceaux ensemble, on se rend compte que le bonhomme est fichtrement malin, lequel maîtrise en plus les codes du film de genre, et avec un savoir-faire qui appelle au génie, alors qu’il n’en est pourtant qu’à son deuxième film. Cependant, lors d’un monologue final un peu trop explicatif entre deux personnages (et rajouté en post-production), le scénario laisse percevoir des failles d’écriture, étant donné que certains éléments ne collent pas, ou semblent totalement invraisemblables… Dès lors, on ne peut que constater le caractère inabouti de l’écriture. Qu’importe, puisque pour en arriver jusque-là, Peele a déjà bien nourri son film, et pas avec des lapins…

Avec « Us », Jordan Peele dénonce à la fois la condition humaine américaine et la terrible lutte des classes qui gangrène le pays. Au travers de ces étranges (et familiers) visiteurs vêtus de rouge et armés de ciseaux, il est bien question ici de notre déshumanisation, de notre capacité à répandre le mal bien plus vite que l’égalité, tout comme le film renvoie à tous ces laissés-pour-compte crées par la société, elle qui n’a alors aucun scrupule à les abandonner, à continuer de creuser le fossé social et économique, tout en leur marchand sur les pieds. Tout comme ce face-à-face questionne sur la nature humaine, et ce sur qui nous sommes, sur les démons qui sommeillent en chacun de nous, et de quels droits nous nous donnons la permission de décider du sort d’autrui. Le film offre aussi un regard absolument dévastateur envers le « rêve américain » en la personne des Tyler, les amis des Wilson, et parfaits représentants du consumérisme compulsif dans toute sa splendeur. « Us » parle donc abondamment de l’être humain et de ses aspérités (le monstre, c’est bien lui), des États-Unis et du tonnerre qui gronde sous ses pieds. Bref, Jordan Peele se réapproprie le mythe du doppelgänger avec une approche politique et sociale très intéressante, et surtout audacieuse, même si elle est un peu confuse.

Très référencé, « Us » rappelle d’autres classiques du genre, que ça soit au niveau visuel que dans sa construction, ou encore par rapport à ses messages déguisés. De « Shining » de Stanley Kubrick, à « La Nuit des Morts-vivants » de Romero, en passant par « Les Dents de la Mer » de Steven Spielberg, Peele construit un récit qui semble de prime abord statique, avant pourtant de déboucher sur quelque chose d’insoupçonnable. Dès lors jonchée de péripéties, la nuit des Wilson jouit d’idées de mise en scène riches et maîtrisées, renfermant des scènes extrêmement séduisantes, telle que l’ouverture, avec un cadrage et une photographie renversante, tout comme un travail du son étonnamment euphorisant, entre orchestres, cœurs et sons dissonants. Le compositeur, Michael Abels, s’est d’ailleurs amusé à ré-arranger le célèbre « I Got 5 On It » du duo californien G-Rap Luniz lors d’une scène de danse mémorable, d’ailleurs montée d’une main de maître, et laquelle donne de nombreuses clefs de compréhension. Des frissons, des frissons !

Faiseur d’ambiance glauque, Jordan Peele parvient à créer un climax à la fois tétanisant, comme à l’opposé humoristique, lequel joue avec intelligence des extrêmes pour détendre l’atmosphère, avant de repartir de plus belle. Pour autant, « Us » n’est pas effrayant dans ce qu’il nous montre, mais bien dans ce qu’il nous dit. Dans sa belle de mise en abîme, il peut largement féliciter ses acteurs, qui en plus de jouer parfois deux rôles dans une même scène, parviennent à nous faire ressentir le niveau de terreur auquel ils sont confrontés. Mais c’est sans doute Lupita Nyang’o qui nous offre la prestation la plus remarquable, et mémorable, laquelle distille aussi, par rapport à ses faits et gestes, des indices liés aux raisons de l’attaque des doubles maléfiques.

Alors qu’il installe au compte-goutte un twist savamment orchestré, bien qu’invraisemblable si on creuse un peu, « Us » prouve tout le talent de son réalisateur pour filmer du cinéma d’horreur et nous raconter une histoire (parfois tordue), imprégnée d’un véritable contexte politico-social, et distillée avec une bonne couche de second degré, laquelle vient d’autant plus nous rappeler toute l’horreur de la chose.



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