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CINECURE
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Cinécure est un site appartenant à Charles Declercq et est consacré à ses critiques cinéma, interviews. Si celui-ci produit des émissions consacrées au cinéma sur la radio RCF Bruxelles, celle-ci n’est aucune responsable du site ou de ses contenus et aucun lin contractuel ne les relie. Depuis l’automne 2017, Julien apporte sa collaboration au site qui publie ses critiques.

Kôji Fukada
Yokogao (A Girl Missing)
Date de sortie : 19/08/2020
Article mis en ligne le 6 mars 2020

par Charles De Clercq

Synopsis : Une infirmière à domicile se retrouve suspectée de complicité après des violences commises sur la plus jeune fille de la famille où elle officie. En retraçant la chaîne des événements, une question émerge : est-elle vraiment coupable ?

Acteurs : Mariko Tsutsui, Mikako Ichikawa, Sôsuke Ikematsu

A Girl Missing (Une fille disparue) ou L’infirmière (en France) traduisent assez mal le titre original Yokogao qui signifie « profil » et qui est beaucoup plus explicite s’agissant d’un film japonais, réalisé par un japonais nous montrant une face(tte) de la vie et des mentalités japonaises. Sans aller jusqu’à écrire que les protagonistes sont des janus bifrons, ceux-ci nous font découvrir que le profil ne représente qu’un seul côté et qu’il peut y avoir des différences si l’on découvre l’autre. Le synopsis pourrait laisser croire qu’il s’agit d’un film policier alors qu’il n’en est rien.

L’intrigue est une intrication de deux trames temporelles, au risque de déstabiliser le spectateur, car rien n’indique que l’on passe de l’une à l’autre, soit l’aujourd’hui du récit qui se focaliserait sur le thème de la vengeance et le passé qui y a conduit (où l’on se situerait quelques mois plus tôt, voire quelques années, à entendre une réflexion du coiffeur dans la première scène « vous me rappelez quelqu’un », s’adressant à Lisa (Mariko Tsutsui) et qui va (dé)générer des conséquences d’actions ou de silences banals. Ou, plutôt, du fait de se taire et de se confier. Lisa surveille ce coiffeur (Sosuke Ikematsu) depuis un appartement d’en face et qu’elle a loué pour cela, observant aussi ses rencontres amoureuses.

Dans le passé, Ichiko (Mariko Tsutsui !) est infirmière à domicile et prend particulièrement à cœur une famille où elle soigne la grand-mère qui souffre d’un cancer à l’estomac. Elle donne aussi des cours à Saki (Miyu Ogawa), la cadette des deux filles [celle-ci plus enjouée que son ainée, la sérieuse Motoko (Mikako Ichikawa)]. Ichiko est fiancée à un médecin, plus âgé qu’elle, père célibataire d’un petit garçon. Le mariage ici envisagé est typiquement de raison et de statut social à acquérir.

Le réalisateur prend beaucoup de temps pour déployer son intrigue (cette lenteur pourra déconcerter, voire irriter certains spectateurs) et arriver à ce que l’on croit être le noeud de l’intrigue. Au cours d’un repas dans un café avec Saki, elles rencontrent un jeune homme qui est le neveu d’Ichiko.

Les mots que l’on ne dit pas...
L’on apprend plus tard que Saki a disparu. On la retrouve une semaine plus tard et elle semble avoir été violentée tandis que l’on apprend que le coupable pourrait être le neveu d’Ichiko. Celle-ci confie à Motoko que le jeune homme arrêté est son neveu et Motoko lui conseille de ne pas en parler. Ce silence aura des conséquences en cascade qui mettront (à tort bien sûr) Ichiko en cause et celle-ci sera la proie des médias. Le film nous montre cet acharnement médiatique qui, pour le coup, n’est pas propre au Japon.

et les mots que l’on dit en trop !
Très vite l’on aura découvert l’attachement (amoureux ?) de Motoko pour Ichiko qui se confie beaucoup à elle, lui faisant part, très naïvement, d’un souvenir lorsque le neveu était jeune enfant (spoiler : [1]). Lorsque Motoko prendra conscience qu’Ichiko lui échappe, elle fera part de cette « anecdote » qui sera vite rendue publique, jetant l’anathème et l’opprobre sur Ichiko qui passera ainsi pour une pédophile perverse, perdant son emploi, l’estime de la famille et des proches.

Ce sont donc ces mots « tus » et ces « mots dits » qui vont entraîner des conséquences dramatiques pour la vie d’Ichiko qui en sera bouleversée et dont le mariage prévu tombera à l’eau. Hannah Arendt montre bien ce qu’il en est dans La condition de l’homme moderne à propos de l’action (où elle traite de l’homo agissans, différent de l’homo faber qui « fabrique » des choses). L’action, ici ne rien dire ou se confier est à la fois irréversible et imprévisible. L’on ne peut revenir en arrière et l’on ne sait quelles seront les conséquences de notre agir (même dans le cas de ne rien dire, il y a l’action humaine de se taire).

L’aujourd’hui de la narration s’emploie à montrer la mise en place et la vengeance de Lisa/Ichiko et fait découvrir son profil sombre... dans lequel elle pourrait sombrer à jamais. L’on n’en dira pas plus pour laisser un peu de suspens, sachant que la vengeance est un plat qui se mange froid ; mais quand il est si froid qu’il est surgelé, peut-on encore le manger ?



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