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CINECURE
L’actualité du cinéma

Cinécure est un site appartenant à Charles Declercq et est consacré à ses critiques cinéma, interviews. Si celui-ci produit des émissions consacrées au cinéma sur la radio RCF Bruxelles, celle-ci n’est aucune responsable du site ou de ses contenus et aucun lin contractuel ne les relie. Depuis l’automne 2017, Julien apporte sa collaboration au site qui publie ses critiques.

Panos Koutras (2014)
Xenia
Sortie le 18 février 2015
Article mis en ligne le 23 février 2015

par Charles De Clercq

Synopsis : A la mort de leur mère, Dany et son frère Odysseas, 16 et 18 ans, prennent la route d’Athènes à Thessalonique pour retrouver leur père, un Grec qu’ils n’ont jamais connu. Albanais par leur mère, ils sont étrangers dans leur propre pays et veulent que ce père les reconnaisse pour obtenir la nationalité grecque. Dany et Ody se sont aussi promis de participer à un populaire concours de chant qui pourrait rendre leur vie meilleure. Ce voyage mettra à l’épreuve la force de leurs liens, leur part d’enfance et leur amour des chansons italiennes.

Acteurs : Kostas Nikouli, Nikos Gelia, Yannis Stankoglou, Marissa Triandafyllidou, Aggelos Papadimitriou.

 Quatrième film !

Je n’avais pas eu l’occasion de voir le film en vision presse. Aussi me suis-je rendu au cinéma Aventure (la seule salle qui le propose à Bruxelles) ce dimanche soir pour le voir en « vrai », avec du public.
Il s’agit du quatrième film réalisé et écrit par Panos H. Koutras. Les précédents sont :

  • L’attaque de la moussaka géante (2000), un nanar devenu culte pour certains (et que je n’ai jamais vu), et considéré comme un film à message « gay », même s’il ne faut pas l’enfermer dans cette catégorie ;
  • Strélla (2009), un film très humain et émouvant au sujet difficile : « Yiorgos, 48 ans, sort de prison où il a purgé une peine de quinze ans pour meurtre. Il passe sa première nuit de liberté dans un hôtel louche du quartier d’Omónia. Il rencontre une très belle transsexuelle, Strélla, 25 ans, avec qui il passe la nuit et dont il finit par s’éprendre. Quand son passé resurgit, il ne peut compter que sur l’aide de celui-ci/celle-ci qui finalement s’avère être son propre fils. » Les acteurs sont des non professionnels, comme ceux qui jouent les rôles principaux de Xenia.
  • et, enfin Alithini Zoï (La vie véritable, 2004), que je n’ai pas vu non plus !

 Deux acteurs exceptionnels

Tout comme dans Strélla, ce sont les acteurs non professionnels qui m’ont le plus impressionné. Ainsi les jeunes Kostas Nikouli et Nikos Gelia qui n’avaient jamais tourné jusqu’à présent et sont encore aux études transcendent littéralement l’écran. Ils interprètent deux jeunes frères, albanais, qui n’ont pas encore 18 ans (l’un en à presque 16, l’autre presque 18), âge « fatidique » en Grèce où un jeune qui n’est pas de nationalité grecque peut être expulsé. Kostas se met littéralement dans la peau d’un jeune homosexuel, prostitué, avec un look queer, terriblement kitsch : cheveux blonds décolorés, piercing dans les narines, vêtement de style « so gay » ! Sans compter qu’il trimbale avec lui un lapin blanc qu’il niche régulièrement dans son sac de voyage pour l’en sortir tout aussi régulièrement ! Il est très sucré : qu’il s’agisse d’une sucette constamment en bouche ou de l’assaisonnement de ses spaghettis ! Nikos, joue le rôle du frère aîné qui lui serait 100% straight, hétéro, donc. Même si la performance des acteurs ne doit pas occulter les enjeux du film, il n’empêche que ceux-là arrivent à donner une densité à ceux-ci et nous invitent à un voyage étonnant avec eux vers Thessalonique, l’un venant de Crête.

 A pied, en barque, en taxi !

C’est en effet à un voyage ou une quête initiatique que nos héros nous convient. On pourrait parler aussi d’une odyssée : nous sommes en Grèce et c’est le prénom du frère ainé (Ody étant un diminutif). Il ne s’agit pas d’un pur « road movie », car nous découvrons qu’une partie de ce voyage s’accomplit en barque, sur l’eau donc ; une autre en taxi et la plus importante, sur les routes, à travers villes et villages, à pied. C’est sur celles-ci que des rencontres se feront. La plupart seront mauvaises, voire dangereuses.

La plus importante, celle des « fascistes » ! Ils se sentent grecs, profondément enracinés dans leur culture et leur pays et les autres n’y ont rien à faire. Alors les descentes dans les rues se multiplient, les chasses à l’homme et surtout aux femmes étrangères, le saccage de magasins « étrangers » : tout est prétexte à un déferlement de haine et de violence, sous le regard approbatif des autorités policières. Ce n’est que mollement qu’elles réagiront ; la plupart du temps, elles pourchasseront ceux-là mêmes qui sont la cible de néonazis, et nous songeons particulièrement à cette émergence du parti « Aube dorée », en Grèce. Le risque serait de n’y voir qu’une question concernant ce pays alors même que dans les nôtres - que nous croyons à l’abri de telles exactions - les ferments de la haine sont également présents. L’actualité récente nous le rappelle. Il y a aussi la rencontre avec des compatriotes albanais. Ceux-ci ne seront pas tendres avec eux, à cause du jeune frère si « pédé » !

 Etrangers en terre étrangère !

Ces deux jeunes se sentent des étrangers dans le pays qu’ils habitent ! Punition d’être origine albanaise. Mais, comme ils le disent lors d’un échange, ils se sentent partout chez eux. Ils sont en quelque sorte « citoyens du monde ». Plutôt, il se sentent tels, car il y a une distorsion entre ce sentiment d’appartenance et la réalité, dramatique, comme présenté dans le paragraphe précédent. Au fait d’être étranger, s’ajoute une « étrangeté » : l’un d’eux est gay, homo, « tapette », « pédé ». Et cette étrangeté s’exprime au mieux par l’insulte (thème développé par le sociologue et philosophe français Didier Eribon) et au pire par la violence extrême qui rejaillit sur ceux qui sont ou se font proches, en l’occurrence, ici, le frère.

Ne pouvant supprimer l’étrangeté de la condition homosexuelle de l’un d’eux, la voie de salut qui s’offre à eux est alors de n’être plus étranger et de revendiquer la nationalité grecque que l’on croit pouvoir obtenir de bon droit puisque leur père est grec et les a abandonnés durant leur enfance.

 En-quête de père !

Une double thématique traverse le film : en-quête (je joue sur le mot !) pour retrouver le père, mais aussi le passage de l’enfance à l’âge adulte. D’une certaine façon, ce passage s’oppose à la quête du père (dont le surnom est l’innommable dans les sous-titres français) puisqu’il faut faire un exode hors de la cellule familiale pour devenir autonome. Il n’est pas possible de narrer les péripéties qui les mèneront vers l’innommable qui est en plus le chef d’un parti politique d’extrême droite. Sachez que sur leur toute ils découvriront un hôtel en ruine qui fait partie de la chaîne Xenia (dont la quarantaine d’établissements seraient eux aussi tous à l’abandon). Xenia donne son nom au film. Xenia (ξενία / xenía), c’est le concept grec d’hospitalité, et, par extension, les présents offerts à un hôte. Mais hôte est un mot ambigu et qui fait peur, car il a un double sens. L’hôte est celui qui reçoit, mais aussi celui qui est reçu. Et hos, la racine ancienne du mot, a dérivé, justement dans des enfantements contradictoires. Ainsi dans des mots antagonistes, tels hospitalité et hostilité ! Mais Xenia consonne également avec le mot xénophobie, la peur de l’autre, de l’étranger, de l’étrange, de ce qui n’est pas mien ou comme moi !

Le passage à l’état d’adolescence ou d’adulte se traduit pour l’un par ses relations (fantasmées) avec son lapin, pour l’autre par le désir de chanter une chanson de la mythique Patty Pravo dans un concours populaire de chants. C’était le souhait de sa mère décédée quelques semaines plus tôt. Sans compter la préparation du concours avec l’aide d’un ami de la maman, Tassos Peris (premier rôle de Aggelos Papadimitriou), véritable « folle tordue » au torse à la pilosité abondante, qui tient un bar, le Paradisio ou chanta jadis la mère de Danny et d’Ody.
Je reviens au lapin. Il est souvent tout tremblant dans certaines séquences (ce ne doit pas être évident d’être sous l’oeil des caméras même si l’acteur est tendre avec vous) et l’on se dira que le calvaire se termine pour le lapin quand celui-ci est déchiqueté par l’ainé à la demande de Danny (vous comprendrez à l’écran !). Et justement il faudra du temps pour faire ce deuil, celui du lapin et celui de l’enfance perdue et ce sera un lapin, géant qui permettra de faire les adieux à celle-ci. Le fantastique est présent en cet endroit, mais pour nous aider peut-être à cheminer avec le protagoniste et faire ses adieux avec lui.

 Film politique ou queer ?

S’agit-il ici d’un film queer ou politique ? En fait ni l’un ni l’autre ou les deux à la fois. Xenia ne peut pas être enfermé dans un « genre » ! Il nous invite à découvrir par la magie de l’image, du chant, du kitsch les démons qui croissent actuellement en Grèce et ailleurs en Europe. Il est probable que le réalisateur se raconte dans ce film, non pas tant une autobiographie qu’une consonance avec le personnage du cadet. Nostalgie d’une enfance et d’un pays perdus ? Catharsis pour mieux préparer ou ouvrir un avenir avec de nouveaux horizons et de nouvelles routes ? C’est ce que j’y décèle et c’est ainsi que je lis les dernières images lorsque je vois nos protagonistes, en marche, sur une route dont on peut espérer qu’elle n’est pas sans issue !



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